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Victor ! Je parie
que tu arrives pas à me rattraper !

Lætitia ?

Lætitia !

C'est Héloïse.
Elle est dans ma classe.

Elle est morte ?

- Ça s'est bien passé, tes cours ?
- Oui.

T'as pas l'air complètement
dans ton assiette.

- J'ai un peu mal.
- Tu veux que je te masse ?

Non. C'est le temps qui change.

Il y a eu des appels, pour toi.

Piqûres, massages.

J'ai marqué les noms.
Ils sont avec le courrier.

J'essaie de me rendre utile.

Tout le monde
essaie de se rendre utile.

Ça va, tes comptes ?
Ils sont en équilibre ?

Ça va. Ça ira.

Il t'envoie ses livres, maintenant ?

Quand il s'est blessé le pied
sur la plage,

je lui ai pas fait payer
le pansement.

C'est pour me remercier.

C'est très gentil.

C'est très gentil.

Viens voir !

Qu'est-ce qu'il y a ?

C'est dingue.
C'est pas du tout la même vision.

J'avais jamais remarqué.

Je te parie que c'est comme ça que
Seurat a eu l'idée du pointillisme.

Hum. Peut-être bien, oui.

C'est la bonne heure.

J'y vais.

Salut, René.

Salut, René !

Dis donc, je suis sur un coup
de magnétoscopes. Des Sony.

Un camion
qui s'est échoué dans le coin.

1 000 balles ! Ils en valent 4 000
normalement. Ça t'intéresse ?

Le mien marche encore.

- À part ça ? Ton boulot ?
- Je me plains pas.

Enfin, pas trop.

- Et toi, quoi de neuf ?
- Cézanne.

Fais de la restauration.
Il n'y a que le XIXe

qui se vend. XIXe, XVIIIe...

Tout le monde veut de l'ancien.

Merde ! C'est foutu,
on voit plus rien !

J'aime quand tu t'énerves.
Ça prouve que tu as du talent.

Les mauvais,
ils sont toujours contents.

Si ça suffisait...

Bon. C'est foutu. Foutu.

C'est foutu, foutu...

- Bon Dieu ! On est déjà en avril ?
- Le 3. Pourquoi ?

Le grand Desmot. C'est la date
où il vient tous les ans.

Il court pas mal, n'empêche !
L'an dernier, c'était le vélo.

Je sais pas comment il se démerde.

Il fait de la télé,
il écrit dans les journaux...

Il fait du sport.
Il tire des gonzesses.

Il m'éclate, ce mec.

Je partage pas ton enthousiasme.

- Qu'est-ce qu'il a, qui t'éclate ?
- Sa façon de vivre.

Ça me plairait, de vivre comme lui.

Qu'est-ce que c'est
que ces cinglés ?

Bonjour.
Commissaire Lesage.

Vous êtes bien René Sterne,
le professeur de dessin ?

C'est moi.

Vous avez fait cours
à Héloïse Michel, cet après-midi ?

Pourquoi ?

On a trouvé son corps
à 500 m de chez vous,

aux environs de 17 h.
On l'a violée et ensuite étranglée.

C'est pas possible.

C'est pas possible.

- C'est ignoble.
- Excusez-nous.

J'aurais besoin de vous parler.
Venez. On va faire quelques pas.

Racontez-moi cette dernière leçon,
s'il vous plaît.

Qu'est-ce que vous voulez ?
C'était une leçon de dessin.

Vous ne l'avez pas raccompagnée ?

Je ne raccompagne jamais
mes élèves.

- Donc vous êtes resté chez vous ?
- Oui.

Qu'est-ce que vous avez fait ?

- J'ai regardé la télé.
- Quoi ?

Un match de rugby.

C'est vous qui avez gardé
le dernier dessin de la petite ?

Elle l'a emporté.
Elle emporte toujours...

Elle emportait toujours ses dessins.

- C'est tellement dégueulasse.
- Oui.

Bon. On n'a rien retrouvé
dans son cartable.

Après la leçon, avant la télé,

vous êtes sûr que vous n'êtes pas
sorti faire un petit tour ?

- Qu'est-ce que vous avez en tête ?
- Rien.

Mais j'ai une gamine de 10 ans
violée, étranglée.

Vous êtes soit l'avant-dernier,
soit le dernier à l'avoir vue en vie.

Vous allez
vous abîmer les yeux.

C'est ouvert. Poussez le portillon.

C'est un jardin extraordinaire.
Eh ! Comme dirait le poète :

"Loin des noirs buildings,
et des passages cloutés."

Vous moquez pas de moi, hein !

Ça vous réussit, la campagne !
Merci pour votre bouquin.

- Vous êtes arrivé quand ?
- Il y a deux jours.

Le temps d'ouvrir la maison,
de ranger mes petites affaires...

Je commençais à être en manque.

J'aurais dû faire ça plus tôt.

Au début, je faisais des bouquets
tout le temps.

On a beau porter des gants,
on a toujours les mains sales.

Où est-ce que j'ai mis mon râteau ?

C'est un petit râteau
à manche court.

Vous le retrouverez sûrement.

Votre jeunesse,
vous ne la retrouverez pas.

Pourquoi vous dites ça ?

Parce que je mets
des sabots pour jardiner ?

- Je m'habille, quand je sors.
- Vous sortez jamais.

Vous m'avez déjà dit ça l'année
dernière à la fête de la mairie.

J'étais bien sortie.

Vous voulez boire quelque chose ?

- Vous faites des confitures, aussi ?
- Oui, quand j'ai beaucoup de fruits.

Vous allez partout, pour votre livre.

Pas moyen d'allumer la télé
sans vous voir.

Ça marche plutôt bien, oui.

Mais je ne suis écrivain
que d'occasion.

Mon vrai métier,
c'est le journalisme.

Et votre émission ?
Qui sont vos prochains invités ?

- Vous la suivez ?
- Oui.

C'est gentil !
Alors, Sollers, la petite Nothomb

et une jeune Canadienne
paraplégique,

qui vient de faire
un premier roman très touchant.

Vous n'arrêtez pas, en fait.

- Je vous l'alcoolise un peu ?
- S'il vous plaît.

J'ai plus la même énergie.
Je manque d'énergie, en ce moment.

Vous courez trop !
C'est mauvais pour le coeur.

Merci.

J'aime bien la discipline du sport.

C'est la seule liberté
qui soit douce.

Ça se discute.
Mais la phrase est jolie.

Je vous la donne.

Il a changé de style ?
J'aimais bien les trompe-l'oeil.

Il en a fait un superbe
pour le nouveau théâtre.

Pourquoi est-ce
qu'il n'expose plus ?

C'est pas l'envie qui lui manque.

Sa dernière grande expo
date de 1986.

Presque 12 ans.
Vous vous rendez compte ?

Il essaie tout le temps. C'est dur.

Les gens n'achètent plus
par manque d'argent.

Plus le temps passe,
plus c'est difficile.

Les galeries refusent les tableaux
sans même ouvrir les envois.

Mais il perd pas courage.

Il a raison.
C'est la moitié du chemin.

L'obstination fait partie du talent.
L'obstination et la patience.

Apprendre à attendre.

C'est ce qu'on fait. On attend.

- À qui il est, le râteau ?
- Ah ! Tu l'as retrouvé.

Tiens. Il y a Germain Desmot
qui est venu me voir.

Germain Roland Desmot.

- Qu'est-ce qu'il voulait ?
- Rien.

Oh, ben ! Dis donc, ça t'inspire !

Il m'inspire pas vraiment, non.

"La discipline du sport
est la seule liberté qui soit douce."

C'est une jolie phrase, non ?

C'est une connerie
de Drieu La Rochelle.

Ah bon ?

Eh oui !

Héloïse ?

Oh non !

C'est en quittant

le domicile de son professeur
de dessin, chez qui

elle allait tous les mercredis,

que l'enfant a été agressée.

Seuls les résultats de l'autopsie

et l'éventuelle analyse du sperme
permettront aux enquêteurs...

Pour eux, c'est moi.

Tu es fou !

Une bonne femme est venue me voir,
le nouveau commissaire, Lesage.

Je suis le témoin principal.
Je sais comment ils fonctionnent.

Nom de Dieu ! Si je pouvais tenir
le salaud qui a fait ça.

Écoute, il faut contacter
la mère de la gosse.

Il faut qu'on lui parle.

- Je vais venir avec toi.
- C'est fait.

Avant de rentrer, j'ai appelé du café
pour lui dire ce que je pensais de...

cette horreur. Pour lui dire...

que j'étais avec elle.
Elle m'a raccroché au nez.

Bonjour. Solard à l'appareil.

J'ai pensé à vos multiplaces.
J'ai une stratégie à vous proposer.

Si vous pouvez me faxer
une réponse, on gagnerait du temps.

Bon. J'attends de vos nouvelles,
mon vieux. Salut.

G. R., c'est Hélène. Merci pour
tes fleurs. Elles sont magnifiques.

Mais j'aurais préféré un week-end.
J'ai repéré un hôtel dans le Gers.

Ou Venise, si tu préfères.

- J'ai envie de toi.
- Petite salope !

Germain, c'est Martine.

Je pars en mission à New York.
J'emmène Saskia avec moi.

On a fêté son anniversaire hier.
Elle a reçu ton somptueux cadeau.

Je lui ai dit
que tu ne pouvais pas venir.

J'ai raconté ce que j'ai pu.

À son retour, essaie
de lui consacrer du temps.

Le fric n'est pas tout. Six mois
que tu n'as pas vu ta fille !

Alors salut, hein ! Et sans rancune.

Saskia et Martine ne sont pas là.
Vous pouvez laisser un message.

Viens ! On va s'étonner
que tu ne sois pas là.

- T'es sûr que tu veux pas venir ?
- Je suis sûr.

- Si t'as faim, il y a ce qu'il faut.
- J'attendrai. T'auras pas dîné ?

Non.

Oui. Nous avons affaire
à des bandes organisées.

Les objets disparaissent.

Ils prennent le chemin de l'étranger.
Mais c'est difficile de savoir.

Les églises, les chapelles,
les musées... tout y passe.

- Ça file en Angleterre ou en Italie.
- Je ne sais pas où ça file, mais...

ça dure depuis longtemps.

- Sophie !
- C'est blasphématoire.

C'est une attaque du patrimoine.
C'est très grave.

Cela dit,
il y a encore plus grave :

la violence.

Est-ce que votre enquête avance ?

Ça suit son cours.
Trop lentement, hélas !

Là, on attend
les résultats du laboratoire.

Cette affaire me fait peur.

Il y a déjà des rumeurs qui
commencent à circuler en ville.

Je vous en prie, commissaire.
Faites vite.

Il faut faire vite et bien, monsieur.
C'est ça, le problème.

Madame Sterne !
René n'est pas avec vous ?

Non. Je suis venue seule.
Enfin, avec des amis.

Notre gloire nationale.

Je regrette que votre mari ne soit
pas venu. J'aurais discuté avec lui.

Son trompe-l'oeil a du succès.

Ouest France a déjà pris une photo
et FR3 l'a filmé.

Tant mieux.

On n'accuse pas sans preuve.

Chère madame,
votre mari n'est pas inculpé.

Il manquerait plus que ça.

Vous avez eu tort de la braquer.
Ne vous en faites pas.

Elle vient d'être nommée.
Elle fait ses preuves.

Elle réagit en femme qui a
une petite fille. Elle se projette.

- C'est pas une raison.
- Votre mari est innocent.

Tôt ou tard, tout va s'arranger.
Ne vous tracassez pas.

- Vous êtes mariés depuis quand ?
- 1986. L'année où il a été blessé.

L'horrible attentat. Je me souviens.
Rue de Rennes.

- Il a failli perdre sa jambe.
- Quelle horreur !

Il s'est retrouvé au mauvais endroit
au mauvais moment.

On s'est connus enfants.

On ne s'était pas revus
depuis 15 ans.

Moi, à l'époque,
je faisais un stage à Necker.

C'est moi qui me suis occupée
de sa rééducation.

Il en a fallu, des coïncidences,
pour qu'on se retrouve.

Il a été formidable. Vraiment.

D'un courage, d'une grâce...
Comment dire ?

C'est à cette époque
qu'il a abandonné le portrait ?

Non. C'est venu petit à petit.

Il n'avait plus très envie
de peindre des humains.

C'est normal,
après ce qui lui est arrivé.

Venez ! On y retourne.

Il fait si doux.
Reynaldo Hahn peut bien attendre.

Vous devriez porter des couleurs
claires. Le bleu vous irait bien.

- Vous entendez la mer ?
- Oui.

Ça, c'est une musique
dont je ne me lasse pas.

C'est un peu comme quand on rêve.

Et puis on se réveille.
On se rendort. Et on rêve encore.

Non ?

Je suis trop énervée pour rêver.

C'est pas compliqué.
Chaque jour une usine ferme.

Les chantiers, c'est pareil.

Et même les commerces !
Tu peux pas savoir.

Diplôme, pas diplôme,
c'est du pareil au même.

C'est pire sans diplôme.

Monsieur Bordier,
je suis ingénieur,

ça fait 18 mois que je cherche.
- Vous découragez pas.

Vous en avez de bonnes !

Tout peut s'arranger.
Il suffit d'avoir la volonté.

Moi, je continuerai pas
comme ça, en tout cas.

Dans six mois, dans un an...

- Un, deux, trois.
- Vous avez l'air d'un spécialiste !

Dans la vie, faut y croire.

Notre commerce marchait pas,
on s'est creusé la tête...

Qu'est-ce qu'elle a exactement
contre moi ?

Faut la comprendre.
Elle fait son travail.

C'est une affaire plutôt moche.

Pas évident.

C'est quand même
une sacrée combine, hein !

Ils nous emmerdent, ceux-là !

Répondez simplement
à ses questions.

- N'hésitez pas.
- Pourquoi une combine ?

C'est un principe. Un bon principe.
Ce sont des échanges culturels.

Si les hommes valaient
les principes, tout irait bien.

C'est une réflexion très juste,
M. Sterne.

Je trouve qu'en ce moment,
après ce que nous venons de vivre,

il est tout à fait opportun
que ce soit vous qui nous rappeliez

des notions aussi fondamentales.

G. R. Vite, vite ! Le son !

...d'avoir accepté mes questions

dans cette interview
accordée à votre domicile...

Regarde l'appartement
qu'il se paie !

...Les Nouvelles de l'amour,
paru chez Grasset.

Un dernier mot,
si vous le voulez bien.

Vous êtes avant tout journaliste,
mais un journaliste atypique.

Vous avez une chronique au Figaro,

une autre
dans un journal d'extrême gauche,

une troisième
dans un magazine, disons, people.

Est-ce que ça ne vous gêne pas ?

Écoutez, tant que ça ne gêne pas
les directeurs de rédaction,

pourquoi voudriez-vous
que ça me gêne ?

J'ai jamais trahi personne
au chant du coq. Et...

Je vais vous dire...
Je suis à l'image du monde :

explosible, combustible.
Submersible.

Ça n'empêche pas la dignité.

Je vais même
vous dire quelque chose, Olivier.

La dignité de l'homme,

c'est la sincérité des passions.

J'arrive pas à m'y faire, à ce type.

- Bordier ?
- Ah non ! Lui, c'est un loustic.

Il a tout un tas de petites combines.

Dans le temps, il avait monté tout
un trafic d'antiquités indonésiennes.

- On m'avait raconté ça, oui.
- Ce serait pas Régis ?

Il en tâte un peu, lui aussi.

Tout ça n'est pas méchant.
Les temps sont difficiles.

C'est Desmot que j'encadre pas.

Vraiment,
j'arrive pas à le tortiller.

Je ne sais pas pourquoi,
mais il ne me plaît pas.

- Je vous raccompagne chez vous ?
- Merci, j'ai la voiture de ma femme.

Elle est à l'inauguration
du théâtre ?

Ma patronne y est aussi.

Ça vous a pas trop déçu,
de pas être nommé commissaire ?

À un an de la retraite.
Et puis l'ancienneté, chez nous...

Ils ont peut-être pas voulu
m'offrir une retraite de commissaire.

Dites donc, c'est vous qui avez pas
l'air dans votre assiette.

Mettez-vous à ma place !

Tout le monde pense,
comme votre commissaire, que j'ai...

Quelle horreur !

Elle ne vous soupçonne pas.

Elle cherche simplement
à y voir clair.

Vous en faites pas.
On l'aura, ce salaud !

On l'aura ! Allez, bonsoir.

René ?

Tu as les amitiés
du directeur du théâtre.

Il s'est étonné de ton absence.

Je crois
qu'on se monte le bourrichon.

La flic va se calmer.
Elle veut faire ses preuves.

J'ai pris ça aussi.
C'est la dernière.

J'ai pas très faim.

Ce sera pour demain.

Tu as vu d'autres gens,
à part la flic ?

Les tronches habituelles.
Tout le monde sur son 31.

Ton trompe-l'oeil a fait effet.

Mon quoi ?

Desmot était là ?

Oui.

Invité d'honneur.
C'est un nom. C'est normal.

Et Dupont ?

Dupont, il était là ?
C'est un nom, aussi.

Tu connais un Dupont
dans la région, toi ?

"Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
de ta jeunesse ?"

C'est de Verlaine, non ?

Il y avait un petit reportage
sur la 3. Tu les as vus ?

J'ai eu un petit malaise.
Il faisait tellement chaud.

Et puis, comme cette musique
ne m'emballe pas,

je me suis tirée à l'entracte.
- Comment ça ?

Je suis sortie. J'ai marché.
C'est passé.

Il fallait m'appeler. Je serais venu.

Pourquoi ? C'est passé tout de suite.

Et Desmot m'a accompagnée.

Il est pas fou de Reynaldo Hahn
non plus.

Il a été très gentil.

Tu sais qu'il est
du même signe que toi ?

Qu'est-ce qu'il y a ?
Qu'est-ce que j'ai fait ?

Tu es jaloux ?

Il faut de l'admiration,
pour être jaloux.

Ce type me fait l'effet
d'une mauvaise blague.

Moi, ça me distrait
de parler avec lui.

Il est léger et j'ai besoin
de légèreté en ce moment.

- C'est dur, ce qu'on vit, tu sais ?
- Je sais.

Qu'est-ce qu'il y a encore ?

Il a plein d'histoires marrantes
sur plein de gens.

L'édition, c'est quelque chose.

Vue par lui, j'imagine !

"Explosible, combustible,
submersible !"

C'est un bon jongleur, mais...

Il avale pas les couteaux.

Il les fait avaler
par ses admirateurs.

C'est là qu'il est fort. Méfie-toi !

- Il m'a rien fait avaler du tout.
- J'espère ! Méfie-toi quand même !

Allô ?
Oui. Bonjour, Mme Benoît.

J'ai reçu votre chèque. Merci.
Mais vous n'étiez pas obligée

de payer le mois entier.
Je vous renverrai la différence.

Si, si. J'y tiens.

J'en ai gardé quelques-uns,
des dessins d'Angèle.

Ben,
elle n'a qu'à passer les chercher.

Bon.

Je vous les ferai porter.

Attendez.

C'est vous qui avez un problème.
Pas moi.

Débrouillez-vous
avec votre conscience.

- Une élève en moins ?
- Oui.

Strangulation.
L'assassin portait des gants.

Viol, sans aucun doute, mais...

l'analyse du sperme est impossible.
Il n'y a pas eu éjaculation.

Un crime parfait. Quasi virtuel.

Une gosse assassinée, du virtuel ?

Je n'ai pas envie
que ce type recommence.

Pourquoi un type ?

Ça peut être une femme.

Comment ça ?

Ça peut être une femme.

Il y a des femmes qui ont
beaucoup de force dans les mains.

Non. C'est pas une femme.

Oui. Je ne crois pas non plus.
Mais ce n'est pas impossible.

Il va falloir en surveiller,
des pères.

Qui vous dit
que c'est un père de famille ?

Ou un instituteur,
un notaire, un banquier...

Un flic.

Pas de citoyen au-dessus de tout
soupçon. Vous lisez les journaux ?

Vous allez tous les interroger,
les uns derrière les autres ?

Ça peut être n'importe qui.
Vous aurez beau vous agiter,

la police est impuissante.

Il y a trop de choses
à changer dans ce pays.

Dans tous les pays, d'ailleurs.
Le monde est malade.

Peut-être.

En tout cas, une maladie est pire
que toutes les autres : la flemme.

Soyez gentil, faxez le plus vite
possible votre rapport au juge.

Je n'aime pas la savoir ici
en votre compagnie.

Tu peux arroser un petit peu là ?

Stop.

Tiens, regarde
dans la poche de ma veste !

C'est Françoise
qui nous invite trois jours à Rennes.

On n'aura qu'à se laisser dorloter.
Ce sera une détente.

Elle ferait mieux
de prendre mes tableaux.

Ben quoi ? C'est plutôt sympa,
de nous inviter, non ?

- Elle veut reprendre contact.
- Dis-moi...

Ça t'embêterait de poser pour moi ?

- Tu veux te remettre au portrait ?
- Ça dépend un peu de toi.

- Cet après-midi, tu veux bien ?
- Quoi ? Tu veux dire aujourd'hui ?

J'ai pas mal de visites.
Je dois piquer à tout-va.

C'est toujours comme ça, en avril.
Mais bon. Après, si tu veux.

Ce serait mieux demain, tu sais.

Mais c'est toi qui sais.

Régis m'a proposé
de faire un tour en bateau.

- Je vais y aller.
- Et Françoise ?

- Quoi, Françoise ?
- On y va ou on n'y va pas ?

Comme tu veux.

- On y va.
- C'est fou, ton enthousiasme.

À tout à l'heure.

Regarde. Ce sont tous les clippers
qui naviguaient autrefois.

- C'est beau, hein ? Ça fait rêver.
- Oui.

Alors, M. Desmot,
vous trouvez l'inspiration ?

Oui, M. Chouten.
C'est très beau. Très émouvant.

Si vous avez besoin
de renseignements,

je suis à votre disposition.
Vous aussi, madame.

Et toi aussi, s'il y a des choses
que tu veux savoir.

Je reviens lundi.

Si vous avez mal au coeur,

ou des boutons, appelez le docteur.

Quelle divine surprise !

Vous vous intéressez aux voiliers ?

Non. Service commandé.

Je vous accompagne.

Je suis sûr que vous n'êtes jamais
allée sur le chemin de ronde ?

J'avoue.

Venez voir. On a une vue formidable
sur toute la région.

Non. J'ai du travail.
Je n'ai pas le temps.

Cinq minutes ! Ça vaut le coup.

Cinq minutes.

Il est en train de perdre ses élèves,
les uns après les autres.

Pourtant il s'était bien adapté ici.
Tout le monde l'appréciait.

Il a l'impression d'être devenu
comme un sauvage.

Il fait peur aux gens ?

Ben, c'est l'impression qu'il a,
en tout cas.

Il se cache.

Il veut plus sortir.
Il veut voir personne.

Moi, je peux rien faire.
Il y a des moments, je...

Oui ?

Il y a des moments, j'ai l'impression
qu'il croit que je le soupçonne.

Il est trop fragile.

Le plus terrible, c'est la façon
dont il reçoit les choses.

On sait jamais où on le touche.
Parfois j'hésite à ouvrir la bouche.

Ce qui lui arrive
n'est pas très drôle.

Ça ne lui donne pas le droit
de vous utiliser comme béquille.

Vous êtes jeune, vivante.

Laissez pas le mort saisir le vif.

Tu te débrouilles en chef.

C'est comme la bicyclette.
Ça ne s'oublie pas.

C'est pas pareil
quand il y a de la brume.

Alors, tu te sens mieux ?

- Ça me change les idées.
- Vous avez des problèmes ?

Ton commissaire te harcèle ?

Son commissaire ?

Je fais la baby-sitter pour sa fille.
Pourquoi elle vous harcèle ?

Elle se demande si c'est pas lui
qui a violé Héloïse.

C'est idiot !

Tiens,
la maison de l'homme illustre !

Celui-là, il m'a collé au train
pendant 15 jours.

- T'as pas succombé à son charme ?
- Non. Il sent le papier.

Allez, amiral ! On rentre.

- J'ai du boulot.
- Ben voyons !

Pas mal !

Si ça t'amuse, je te le prête.
Quand tu veux.

Vous n'avez pas eu envie
de partir d'ici, d'aller ailleurs ?

Vous m'avez toujours vue ici.

Si ça se trouve,
ailleurs, je vous plairais moins.

C'est une jolie idée mais vous
savez bien que ce n'est pas vrai.

Je vous trouve très émouvante.

Je suis en retard.

Ne te laisse pas dévorer
par la mélancolie des autres.

Embrassez-moi.

Je m'en vais.

Promets-moi de te battre.

J'y vais.

Je suis contente de vous voir.
J'allais m'en aller.

Je peux vous parler ?
Pas longtemps.

Je vous en prie.

Ah, vous avez retrouvé ses dessins.

Ouais.

La maman d'Héloïse
me les a confiés.

Un psychologue les a analysés.

D'après lui, cette enfant sans père
a beaucoup reporté sur vous.

Vous le saviez ?

Héloïse parlait très peu.

Il y a des attitudes.

Elle était amoureuse de vous.
Vous ne l'aviez pas remarqué ?

Héloïse ne disait rien
en votre présence,

mais à la maison, elle parlait
de vous. Vous étiez partout...

même dans ses rêves.

Qu'est-ce que vous voulez
que je vous réponde ?

Les petites filles
sont souvent amoureuses

d'un prof qui, inconsciemment,
veut les séduire.

C'est très banal.

- Vous prenez du sucre ?
- Non, merci.

Je n'ai jamais cherché
à séduire mes élèves.

- Je ne suis pas un tordu.
- J'ai dit "inconsciemment".

"Inconsciemment" ? Bon.

Je voudrais voir sa mère.
Avec un psychologue, si vous voulez.

Elle ne tient pas à vous rencontrer.

Elle se repose.
Elle est très secouée.

Vous dessiniez Héloïse ?

Je dessine toujours pendant
mes cours. C'est encore mon métier.

Absolument. Mais d'après
les autres élèves, d'habitude,

vous dessinez des paysages.
Pourquoi un portrait, subitement ?

Je ne sais pas. J'en ai eu envie.
C'est tout.

Ah oui ?

Le portrait d'un élève,
c'est un viol ?

Non. Je me renseigne.
J'essaie d'avancer. C'est tout.

Et les résultats du labo ?

À moins
que vous ne puissiez en parler ?

Il n'y a pas de raison
que je vous cache quoi que ce soit.

Non.

Il n'y a rien de nouveau.

C'est pour ça.
Ça risque d'être un peu long.

Mais je trouverai le coupable.
Il finira par se trahir.

J'espère.
Je suis le premier à le souhaiter.

Bien sûr. Tout le monde le souhaite,
sauf une personne.

C'est l'enterrement de la petite
demain, vous y allez ?

Oui. Enfin je pense.
Oui. Ben, bien sûr.

Bien sûr.

Que fais-tu ?

Tu vois, je range.

Ça te plaît ?

Je ne sais pas. Tourne-toi.

- Ça te plaît pas ?
- C'est bleu.

Tu aimes t'habiller en bleu ?

Elle était en solde.
Betty trouvait que ça m'allait bien.

- Ça fait vide, hein ?
- Je sais. J'ai besoin de vide.

Tes paysages vont me manquer.

J'en ai assez, des paysages.
J'ai envie...

de revenir au visage.
Ça triche moins, le visage.

Ça ne change pas toutes
les deux minutes comme la lumière.

Tu es toujours d'accord
pour poser pour moi ?

Comme avant.

- Tu m'engueulais quand je bougeais.
- Je t'engueulerai plus.

- Tu dis ça...
- Promis.

C'est Héloïse ?

Oui. Oui, c'est Héloïse.

C'est marrant, c'est... Enfin.

C'est elle qui m'a donné envie
de revenir au visage.

- Tu veux que je pose pour toi ?
- Oui.

S'il te plaît, oui. Mais quelques
minutes. Je vais faire un croquis.

- Tu peux retirer ta robe.
- Tu veux que je pose toute nue ?

Non. Je voudrais l'autre. J'aime pas
ce bleu. Il me déconcentre.

C'est l'enterrement
de la petite Héloïse, demain.

Oui, je sais.

Pourquoi tu me l'avais pas dit ?

Ce genre de cataclysme
est insupportable

pour une communauté
comme la nôtre.

Il plane sur nous l'ombre terrible
du soupçon ou de la médisance.

Soyez certains,
mes chers concitoyens,

que tout est mis en oeuvre,
tant de la part des forces de police,

de justice que de la municipalité.

Les municipales sont pour bientôt ?

- C'est pas le moment.
- Allez, circulez.

...si gentille, si rieuse. Tu étais
aimable avec tout le monde.

Tu étais généreuse et douce.

Nous sommes tous très malheureux.

Tu la jetteras sur le cercueil
quand il sera au fond de la tombe.

Tu la jetteras sur le cercueil.

Tu dors ?

Non.

J'ai réfléchi. Je ne vais pas
t'accompagner à Rennes.

Ça me barbe.

Pourtant ça te ferait du bien.

Ce serait l'occasion
de discuter avec Françoise.

J'ai l'impression que les gens
prendraient ça pour une fuite.

Je veux pas fuir.

- Tu te fais des idées.
- Je le pense. C'est la vérité.

Tout ce qu'on pense
n'est pas toujours la vérité.

Ce serait trop facile.

Tu veux que je reste avec toi ?

Non, non.

Enfin, tu fais ce que tu veux.
Mais j'aime mieux pas.

- Je voudrais savoir...
- Quoi ?

Si j'ai assez de force,
moi, tout seul, pour tenir le coup.

Trois jours, ça fait long.
Je resterai que deux jours.

Fais comme tu veux.

Ça va me faire du bien de sortir
un peu de tout ça.

Je te comprends.

Tu m'excuses auprès de Françoise.
Dis que je travaille. Comme un fou.

T'en fais pas.
Je vais la travailler au corps.

- Qu'est-ce qui te fait rigoler ?
- Tu perds jamais la tête. Jamais !

Allez ! Amuse-toi bien.

- Tu te sens assez fort ?
- Ne t'en fais pas.

De toute façon,
je pars deux journées.

Deux jours,
c'est pas l'éternité, hein ?

Je te dirai ça dans deux jours.

Deux jours, c'est pas l'éternité !

Mes amitiés à Françoise !

- T'es perdue ?
- Oui.

- Vous avez très bien réagi.
- C'est la moindre des choses.

Tiens, Jérôme. Sois galant.
Occupe-toi de la petite fille.

- Elle s'appelle comment ?
- Nathalie.

- C'est mon petit-fils.
- Allez, les enfants. On y va.

- Viviane n'est pas là ?
- Elle est à Rennes.

Chez sa copine Françoise.
Elle t'a pas dit ?

Non.

Elle m'a invitée à dîner samedi
avec Christian. Mais il sera pas là.

Il part samedi matin.
Il ne va rentrer que dimanche.

- Ça va, toi, le moral ?
- Ça va. Pourquoi ?

- Moi, pas trop.
- Restons pas là. Rentre.

- Je fais un café.
- Laisse.

Je sais que tu as du boulot.

Je t'embrasse pas.
Je suis enrhumée.

Oh, dis donc !
C'est pas trop habillé, samedi ?

C'est nous trois.
Mais tu peux t'habiller !

J'ai envie.

Comment trouves-tu la robe bleue ?

Vous l'avez achetée ensemble.

On l'a pas achetée ensemble.

Mais je vais prendre
la même en rouge.

Allô, Régis ?

C'est pour ton bateau.
Tu peux vraiment me le prêter ?

J'ai envie de faire un tour.

Merci, Loudun.
Juste le café sans sucre.

Merci.

- Qu'est-ce que c'est ?
- La liste des ex-voto

piqués depuis un an.

Ils y vont pas de main morte.
De vrais Attila !

Le religieux est très coté.

- Ça se revend à l'étranger.
- En Suisse.

Plus tellement.
Ils commencent à serrer la vis.

Plutôt les Caraïbes, je crois.

Ouais. Remonter les intermédiaires,
ça va pas être de la tarte.

Un jeu de piste comme un autre.

Dans une petite ville, on se connaît.
Il y a des jalousies, des rancoeurs.

Les gens peuvent pas s'empêcher
de parler. Il suffit d'écouter.

Voyez du côté des corps de métiers

qui travaillent dans ces églises.
Mais discret. Informel.

Et pour le violeur ?
On est au point mort.

On a interrogé 32 types du coin.

33 avec Sterne. Tintin !
Ils ont tous un alibi béton.

Sauf Sterne.

Il a regardé le rugby.
Il me l'a raconté.

Il a pu lire le compte rendu
dans L'Équipe ?

Non, non ! Pas de la façon
dont il l'a raconté. Il l'a vu.

- Vous aimez bien Sterne.
- Pas plus qu'un autre.

Je le connais.

Ici, tout le monde se connaît.

Pas tout le monde. Mais c'est bien.
Ça simplifie les rapports.

Oui. Ça peut aussi les compliquer.

- Vous disiez le contraire.
- En tout cas, moi, je me comprends.

Passions, règlements de comptes...
pour embrouiller.

Ça m'embrouille.

C'est bien une réaction
de Parisienne, ça !

Tous la même parano !

Votre prédécesseur, pareil.

Vous allez penser que je divague.
Mais il y en a un 34e.

On pourrait interroger
son emploi du temps.

Qui ça ?

Desmot.

Oh, c'est pas
parce qu'il passe à la télé.

Mais il est arrivé la veille
de la mort de la gosse.

Oui, je sais. J'y ai pensé.
Régis Marchal, le plombier, l'a vu.

D'après lui, il est resté
l'après-midi chez lui à bouquiner.

Il était là-bas, Marchal ?

Des problèmes de fuite
et de chaudière.

Il a pu s'absenter une demi-heure.

Régis travaillait. l était pas sur
le dos de l'autre à le surveiller.

En plus, quand il est à découvert,
Desmot lui avance de l'argent,

de temps en temps.
Ils ont des comptes.

Comment vous savez ça, vous ?

C'est une petite ville. Les gens
parlent. Il suffit d'écouter.

Et vous y croyez, vous,
à cette piste ? Franchement ?

Faut voir.

Bon. D'accord. On va le convoquer.

Mais il va falloir faire ça
en douceur.

Quelle langue de pute !

Il va nous ridiculiser vite fait,
bien fait dans ses journaux préférés.

Toutes opinions politiques
confondues !

Je m'en occupe. Je vais l'appeler.

Mais comme ça. Mine de rien.
La semaine prochaine.

De toute façon,
il est parti ce matin.

On va encore le voir à la télé.

Il va vous inviter au restaurant.

Il adore les dames.

Vous plaisantez, mais j'aimerais
que quelqu'un m'invite à dîner.

Bonjour, Mme Lemoine.

- M. Desmot n'est pas là ?
- Ah, pas aujourd'hui.

- Il s'est absenté.
- Il a dit où il allait ?

Je sais juste qu'il a pris le train.

- J'ai un service à vous demander.
- Allez-y.

Mon neveu prépare
une école de dessin.

Il a son examen dans un mois.

Si vous regardiez son dossier...
Il a confiance en vous.

Avec plaisir.

Attendez ! Il est là. Je l'appelle.
Victor !

Bonjour !
Ma tante vous a expliqué ?

J'ai failli venir vous voir
plusieurs fois, mais j'ai pas osé.

T'as eu tort.

M. Desmot revient quand ?

Ah, il ne l'a pas dit.
Mais demain ou après-demain.

Il part jamais longtemps.

Attends, attends !
T'énerve pas. Te précipite pas.

C'est agréable, comme ça.
C'est euphorique.

On n'est plus des gamins...
On n'a pas besoin de se précipiter.

On n'a même pas besoin
de conclure.

J'ai envie d'essayer ça avec toi.

J'ai envie de rester
avec le désir de toi.

Si on rentre dans cette brutalité,
on risque plus rien.

Il faut toujours
risquer quelque chose, non ?

Même dans l'amour.
Surtout dans l'amour.

C'est de Drieu La Rochelle,
ça aussi ?

Non, c'est de moi.

Mais il aurait pu le dire, je pense.

Qu'est-ce qui t'arrive ?
T'as un problème ?

Tout est un problème, avec vous.

Vous parlez, vous parlez,
mais rien ne suit.

Vous êtes rusé mais creux.

J'aurais dû me méfier.
Je me demande ce que je fais là.

Qu'est-ce que tu fais ?

J'appelle un taxi.

Tu as un gros bouton sur la joue.
Tu l'avais cet après-midi ?

Oui. Est-ce que je pourrais avoir
un taxi tout de suite ?

Dans cinq minutes ?
D'accord. Merci.

Tu vas débarquer chez ta copine
en pleine nuit ?

Elle va être étonnée.
Que vas-tu dire ?

Je ne sais pas. Je mentirai.
Vous m'aurez au moins appris ça.

Heureusement
qu'il y a le mensonge.

La vie en société serait intenable,
sinon.

C'est de qui ?

De tous les menteurs qui font salon
au purgatoire depuis l'éternité.

Et ça fait du monde,
tu peux me croire.

Vous êtes un petit cynique.
Et je suis très heureuse.

Mais de quoi, mon chat ?

De pas m'être fait baiser.

Jolie phrase. Hors contexte.

C'est la marchandise. Du tout bon.
XVIIe authentique.

XVIIe ? Je suis pas sûr.
On dirait plutôt début XIXe.

Non. Trop chaud pour moi.
Je ne touche pas à ça.

Vous avez tort. C'est du sûr.

Ça ferait ça.

C'est plus cher qu'au Louvre
des antiquaires.

Ça m'étonnerait.
C'est eux qui m'achètent.

Ben, faut leur vendre.

Écoutez. Moi, je vous le dis, c'est
une affaire. Il faut sauter dessus.

Vous réfléchissez pas trop,
trop longtemps.

Vous avez mon numéro de portable ?

- Comment ça va, les affaires ?
- Ah, c'est toi.

Ben, non. Non, c'est pas moi.

- Dis donc, t'as une belle montre.
- Je l'adore. Toi aussi, je t'adore.

Je termine la partie avec la petite,
je la ramène à sa mère et on y va.

T'as vu l'autre, avec qui il sort ?

Tu la connais, la môme.
Elle était avec Jérôme.

- Avec Jérôme ? Non, non.
- Mais si, tu la connais !

Elle s'appelle Sophie.

C'est la fille de la commissaire.
Bien sûr que tu la connais.

Et la grande fille, qui c'est ?

Une pute. Je te dis pas ce qu'elle
lui coûte en lingerie et en bijoux.

Comment tu sais ça ?

J'ai acheté un soutien-gorge.
Il était là.

Il en a eu pour 4 000 balles !

Et la vendeuse m'en a raconté.

- Des montres et des colliers...
- Bon. Je te laisse cinq minutes.

Tu aurais pu faire ça avant.

Merci, Roger.

- J'ai pris ton sac.
- Fais attention, quand même !

Pas besoin de parler à ta mère
du bistrot.

Ça lui est égal.

René.

- Ta femme est à Rennes, il paraît ?
- Elle rentre demain.

Bon.
Ben, ça ira mieux demain, alors.

- Bonsoir, Anna.
- Bonsoir.

Le hasard fait bien les choses.
Vous êtes passé à la maison ?

Venez prendre un verre.

C'est idiot, j'étais à Saint-Brieuc.
J'adore les déballages.

- Les déballages ?
- Oh, vous êtes comme moi.

Les brocantes, les déballages des
camions au petit matin à la lanterne.

Oh ! Ça donne le frisson.

- Vous avez trouvé votre bonheur ?
- Une petite nature morte du XVIIe.

Elle est en très mauvais état.

- Vous pourriez me la restaurer ?
- J'ai pas le temps, en ce moment.

Allez, Sterne.
Vous pouvez bien faire ça.

- Vous êtes compétent.
- Le boulot, il faut le prendre.

Alors, d'accord ? Je vous l'apporte ?

- Vous buvez quelque chose ?
- Rien. Non, merci. Rien.

Ah, ils prennent leur temps !

Avec leurs conneries de bouquins !

- Mme la commissaire ?
- Bonjour, Victor.

Je voulais vous dire.
J'ai vu M. Sterne, l'autre jour.

- Je le trouve vachement sympa.
- Absolument.

Moi, je pense pas que ce soit lui.

- Le violeur, je veux dire.
- J'avais compris.

Je sais pas encore qui c'est,
mais je suis sur une piste.

Bon. Hercule,
t'as qu'à passer me voir au bureau.

Je t'offrirai un Coca
et tu me raconteras.

- Je ne bois pas de Coca.
- Tiens, voilà ta soeur.

Bonjour, commissaire.

Vous n'avez pas votre jeune fille,
aujourd'hui ?

Anna ? Non.
Elle a son stage de coiffure.

Tous les enfants ne sont pas
encore sortis. Ouf !

- J'avais peur d'être en retard.
- Rassurez-vous.

Ben !

Il travaille pour l'école, Marchal,
maintenant ?

Faudrait lui demander.

J'imagine qu'il doit leur réparer
quelques bricoles.

C'est vrai,
ce qui est écrit dans le journal ?

On a encore volé
un saint Christophe à la chapelle ?

Ouais.

C'est pas Marchal
qui réparait le toit là-bas ?

Qu'est-ce que vous voulez me dire
exactement ?

Il y a ceux qui passent
à travers les gouttes

et ceux qui n'y passent pas.
C'est normal, ça ?

- Non. Mais c'est courant.
- Mais c'est ce que je veux dire.

C'est pas normal.

Quand on va en Indonésie
et qu'on ramène nos meubles,

on paie la douane,
on paie les taxes, on paie tout.

Et les objets en magasin ?

Vous pouvez consulter
le livre de police. Il est à jour.

Et vos cotisations
pour l'école d'agriculture aussi ?

Ah, voilà Jérôme !

Tu m'as manqué !

Toi aussi, tu m'as manqué.

Comment tu trouves ?

Je trouve pas les mots.

Je suppose que c'est moi.

- Tu as mal à ta jambe ?
- Non, non.

Je me suis...

un peu foulé le pied
en faisant du bateau.

Tant mieux, si ça te ressemble.

J'ai eu du mal.
J'ai essayé d'après les croquis,

mais ça valait rien.

Je l'ai fait de mémoire. J'ai hésité
puis j'ai mis la robe bleue.

Il est très, très bien, ce bleu,
finalement.

Touche pas, malheureuse !

C'est pas sec.

Et le bonhomme, c'est qui ?

On s'en fout.
Ça n'a pas d'importance.

Il est de dos.

Ce qui compte, c'est toi.
C'est toi qu'on voit, non ?

Arrête !

Arrête !

Je t'aime.

Arrête !

- Pourquoi tu m'as pas appelée ?
- Je voulais pas t'emmerder.

Et puis
je me suis imaginé des choses.

Comment ça,
tu t'es imaginé des choses ?

Quand t'es pas là, tout s'effrite.
Je me pose trop de questions.

Cette fois plus que d'habitude.
Nettement plus que d'habitude.

- Des choses graves ?
- Légères.

Amères mais légères.
Pourquoi tu es partie ?

Des fois, je me dis que c'est mieux
quand tu es seul.

Que tu es encore plus seul
avec moi.

Comment tu peux dire ça ?

Si je suis là,
je t'empêche de te retrouver.

Mais c'est le contraire !
C'est exactement le contraire.

Quand t'es là, tout tient debout.

J'ai l'impression
que le vent a tourné.

Tant mieux.

J'ai invité Desmot à dîner.

- Ah bon ?
- Oui.

- Tu l'as vu ?
- Chez Roger.

Il va me porter un tableau
à restaurer.

Ça nous fera un peu de blé.

Il va rester dîner, alors ?

Ben, oui. On s'en fout.
Il y aura Betty et lui.

C'est une connerie ?
Tu veux que je décommande ?

Si on faisait des homards, demain ?

- On peut se le permettre ?
- Tout juste.

Des bons homards bretons.
Régis a une combine.

- Ça, j'en suis sûre.
- Avec un petit sancerre.

Ça nous changera.

- Elle est pas bonne, l'omelette ?
- Elle est magnifique, ton omelette.

C'est la meilleure omelette
que j'aie jamais mangée.

Je les mets maintenant ?

Il y a un sacré brouillard.

C'est pas vrai !

Qu'est-ce que je me suis laissé
embarquer dans ce merdier, putain !

Connard de pays !

Eh ben, si je me casse pas
la gueule, moi... Merde !

Ah, putain ! C'est pas vrai.

Tenez. Prenez ma canne.

Ah, Viviane. Vous êtes superbe.

Plus que moi.
Je suis tombé dans la boue.

Heureusement, René était là.

Je vous montre la salle de bains.

Je ne vais pas dîner en caleçon.
Ça va bien finir par sécher.

Mais je me laverais bien les mains.

- Je vais vous montrer.
- Dans la cuisine, ce sera parfait.

Betty a appelé.

Elle viendra pas.

Elle a l'air en pleine crise.
Délirante, comme l'année dernière.

Je lui ai dit de rester chez elle.

Elle me fait penser à moi,
par moments.

Dès que quelqu'un va mal,
tu t'identifies. Arrête.

Oui, t'as raison. J'arrête.

Oh, des homards !
Quelle merveille !

- Qu'est-ce qui se passe ?
- C'est une panne.

Ne vous inquiétez pas.

Merde !

Je saigne.

J'ai ce qu'il faut.

Amène la lampe !

Ils n'y arrivent jamais
du premier coup.

C'est superficiel.

Se cogner à un faux trompe-l'oeil,
ça n'arrive pas tous les jours.

Ça pique ! Vous avez pas
du Mercurochrome, plutôt ?

Pourquoi ?
Vous tenez à avoir le nez rouge ?

- Voilà.
- Merci.

Ils sont absolument magnifiques.
Ils viennent de la baie ?

Le masque est finalement
plus révélateur que le visage.

Je connais des gens dont
l'apparence est devenue la nature.

Le mensonge le plus fructueux...

c'est faire croire à quelqu'un
qui vous ment qu'on le croit.

Votre sauce, Viviane,
est absolument miraculeuse.

Vous méritez vos étoiles
au Michelin.

C'est fou ce que ça donne soif,
le homard.

Et ça vous intéresse tant que ça,
le mensonge ?

Moi, je préfère la vérité.

Parce qu'elle est hors d'atteinte,
mon vieux.

C'est l'imagination, qui fait rêver.

En tant que journaliste,
j'exerce mes dons d'observation.

Comme je suis plein d'imagination,
je suis également romancier.

L'imagination n'est pas le mensonge,
c'est même le contraire.

Qu'en penses-tu, ma chérie ?

Ce genre de discussion,
tu sais ce que j'en pense !

Voilà ! Une femme a parlé.

Moi, j'écris
pour faire rêver les femmes.

Eh ben, voilà !

Bougez pas. Le sel, ça sert à rien.

Vous avez quelque chose en train,
en ce moment ?

Je suis sur un autre roman.
Un peu en panne, je dois le dire.

J'ai confiance en mon imagination.
Elle me laisse jamais tomber.

Je ne me tracasse pas pour vous.

Sur cette histoire de violeur qui
n'avance pas, j'ai ma petite idée.

Ah oui ? C'est quoi ?

Ben,
vous lirez mon papier, mon vieux !

Je ne suis pas un journaliste qui
déflore ses articles dans les dîners.

C'est votre idée de l'être humain ?

C'est juste pour m'amuser.

Dites donc,
vous avez retiré vos toiles, non ?

Oui. J'avais envie de changer
un peu, de chercher ailleurs.

Vous connaissez
la phrase de Picasso ?

- "Je ne cherche pas, je trouve."
- Il en est mort.

C'est pas un Till Burs, ça ?
Il avait du talent, ce cochon, hein ?

Vous n'avez pas toujours dit ça.
Ni écrit.

Ben, qu'est-ce que j'ai écrit ?

Qu'il aurait dû s'arrêter à 50 ans.

Dans vos chroniques, en 1987.
Vous vous souvenez pas ?

Non.

Il était persuadé que vous aviez
empêché deux galeries

de prendre ses oeuvres.

Le pauvre.

Il s'est suicidé six mois après.

Tu m'avais jamais dit ça.

Pauvre vieux !

Mais j'ai pas autant de pouvoir,
hélas.

Il avait des problèmes
avec sa femme.

Très jolie fille, d'ailleurs.
Très touchante.

Vingt ans de moins que lui.

Elle sentait le pain chaud.

Vous l'avez sautée ?

J'aurais peut-être dû.

Déjà 23 h.
Je ne prendrai pas de café, Viviane.

Tu pourras t'occuper
de ma petite toile ?

Elle a morflé.

J'ai confiance.

Un petit pour la route ?

Magnifique soirée. Allez !
Je peux passer un petit coup de fil ?

Oui. Dans le petit bureau, là-bas.

Il n'est pas plein
que d'imagination, on dirait.

Étonne-toi, avec tout
ce que tu lui as servi à boire.

Tu vas être obligé
de le raccompagner chez lui.

On va pas le laisser repartir seul.

Le vent est tombé, mais il y a encore
un sacré brouillard.

Je vais le ramener en bateau.

- En bateau ?
- Celui de Régis.

C'est plus sûr que la route.
La mer est plus grande.

Viviane m'en veut, hein ?

Oui ? Et de quoi ?

Qu'est-ce qui vous fait rire ?

Moi !

Moi. Je me fais rire.

Vous savez où vous allez ?

Oui, je sais où je vais.

- Hé ! On traverse quoi, là ?
- Un moment difficile.

Ça va s'arranger.

Vous avez raison.
Vous méritez mieux.

C'est trop étriqué,
l'univers de votre femme.

Elle vous tire vers le fond.

Vous faites bien d'en parler.
Je me demandais.

Attention, hein !

Fragile, l'inspiration.

Qu'est-ce que vous faites ?

On est arrivés. Vous ne
reconnaissez pas ? C'est chez vous.

Dites donc, ça a été vite.
Regardez.

J'ai un groupe autonome
qui éclaire tout.

- Même la maison est allumée !
- Épatant.

Vous êtes un sacré marin, hein !

Venez prendre votre voiture demain.

Accompagnez-moi
jusqu'à la maison.

Je me sens oppressé, ce soir.

Tachycardie. Il bat au moins à 180.
Je peux pas compter.

Taisez-vous, ça aidera.

Oui. C'est vrai, je parle trop.

Non, mais elle est très bien,
votre femme.

Si vous l'avez choisie,
c'est qu'elle vous convient.

- Tant mieux, si elle vous convient.
- Fermez votre gueule.

Je comprends votre agressivité,
mon vieux.

Vous avez raison. Il est trop tard.

Les rencontres,
c'est comme les accidents.

Vous connaissez ça, non ?

Mauvais endroit, mauvais moment.
C'est la faute à personne.

- C'est la malchance.
- Fermez votre gueule.

C'est ce qu'il y a de mieux à faire.

Quand on n'a plus rien à dire,
il vaut mieux fermer sa gueule.

Si vous n'avez plus rien à dire,
c'est pas votre faute.

En allant téléphoner,

je suis tombé
sur votre petit tableau, là.

Viviane à la robe bleue.

Il était tout tranquille
dans son petit coin.

Hé ! Vous essayez encore, hein ?
Dans l'ombre.

Comme si vous aviez honte.

C'est assez poignant, je dois dire.

La peinture, c'est autre chose.

Il faut du sang frais.

Fermez votre gueule.

René ?

René !

C'est moi, oui !

C'est moi.

J'ai crapahuté dans la boue
comme un malade.

Regarde comme je suis dégueulasse.

T'as surtout l'air très fatigué,
mon chéri.

Viens.

Je crois que j'ai un peu présumé
de mes forces.

Viens.

On aurait pu passer
une soirée tranquille tous les deux.

Qu'est-ce que tu as eu besoin
de l'inviter ?

- Je sais pas ce qui m'a pris.
- C'est pas grave.

Viens.

Monsieur ?

Monsieur ?

C'est cette baignoire pleine d'eau
qui m'intrigue.

Il ne prenait que des douches.

S'il vous plaît.

C'est avec son papa...

décédé l'an dernier.

Ils étaient très liés. Toutes
les semaines, ils se téléphonaient.

- Il avait un enfant lui-même, non ?
- Oui, je crois.

- Il en parlait pas beaucoup.
- C'était une fille ?

Oui.

Il marchait au Prozac.

Il n'était pas le seul.
Dans ce milieu, c'est courant.

Excusez-moi.
Vous savez où sont ses carnets ?

"Ses carnets ?"

"Ses carnets ?"

Oui. Des carnets. Là où il notait
les idées qui lui venaient.

Il avait pas ça.
Il tapait tout sur son ordinateur.

Il est où, cet ordinateur ?

Je vais vous montrer.

Loudun.

Quand vous aurez fini de manger,
ce sera à vous.

- Faut un chalumeau pour ouvrir ça.
- Ben, un chalumeau.

Merci.

Contrat d'éditeur,
contrat d'assurance vie.

Ses oeuvres posthumes.

Ils sont neufs.

L'ordinateur.

Je m'occupe de ça.
Ramassez le reste.

Il y a rien.

Vous comptiez trouver des photos
d'enfants à poil ?

Vérifiez plutôt auprès de sa banque
s'il a fait un retrait récemment.

Une dernière question.

Est-ce que vous savez si quelqu'un
devait lui rendre visite ce matin ?

Il m'avait rien dit.

Les gens de Paris restent dormir.
Je prépare les lits.

Mais là, il m'a rien dit.

Il faisait trop confiance.
Jamais il fermait à clé.

- Ça entrait, ça allait, ça venait.
- Des gens que vous connaissiez ?

Je pourrais en dire. Ça soulagerait.

- La police donne trop d'interviews.
- Ça, je suis de votre avis.

Ce que je peux vous dire,
c'est qu'hier, il dînait dehors.

Il m'avait dit
que je pouvais partir à 18 h.

- Il dînait chez M. et Mme Sterne.
- Merci.

Donc, il a bien dîné ici, hier soir ?

Oui, bien sûr.
Vous avez vu sa voiture ?

On l'a raccompagné
à cause du brouillard.

Enfin, il avait l'air
tout à fait normal en partant.

Vous avez bu beaucoup ?

Du vin. Du sancerre.

- Beaucoup ?
- Non.

Enfin, peut-être un peu plus
que la normale.

- Trois bouteilles.
- Non. Pas tout à fait.

- Il restait la moitié de la 3e.
- Oui.

Ça n'a pas
une importance considérable.

Il est parti à quelle heure, d'ici ?

23 h et quelques.

En fait, c'était même pas
une invitation.

Il m'apportait ce tableau
à restaurer.

Il est resté dîner. Normal.

Il vous confiait souvent du travail ?

Non. C'est la première fois.

J'aimerais que votre mari réponde.

Elle me connaît bien.
Elle me sent anxieux.

C'était une mauvaise idée,
cette invitation.

C'était une mauvaise idée
de prendre des élèves

et de leur donner
des cours de dessin.

Je n'ai que des mauvaises idées.

Tout ce que je fais ne réussit
qu'à m'enfoncer un peu plus.

Il y a des gens comme ça.
Moi, je suis comme ça.

C'est toi.
Je suis sûre que c'est toi.

C'est moi quoi ?

Mais enfin, Viviane...
C'est pas possible.

Viviane.

Je veux pas que tu me parles.

Tu me fais peur.

Le bateau, c'était pour le noyer ?

Oui.
Cent fois, j'ai imaginé ce salaud

coulant à pic comme une pierre.

Mais on fait pas
tout ce qu'on imagine, hélas.

Dis-moi.
Dis-moi ce que tu as fait.

Vas-y, je t'écoute. N'aie pas peur.

- Je veux savoir ce que tu as fait !
- Rien !

J'ai failli.

J'ai failli, c'est tout.
Il racontait des conneries.

Je lui ai dit de fermer sa gueule.
Il voulait pas.

Il cherchait à t'humilier.
À nous humilier tous les deux.

Attends,
tu crois pas ça, quand même ?

Hein ? Tu sais qui je suis.
Tu me connais.

Oui, je sais. Je sais.

Pardon.

Il fallait que ça sorte. C'était
du pus qui empoisonnait ma tête.

Qu'est-ce qu'elle va croire,
la flic, elle ?

C'est la deuxième fois.
Tu te rends compte de ça ?

Oui, je me rends compte. De tout.
Je suis dans un tunnel.

Sans lumière. Et je vois tout.

C'est horrible.

Je ne crois que toi.

C'est toi la réponse à mes questions.

Tu t'exprimes jamais.
Comment veux-tu qu'on devine ?

Je te le dis maintenant.
Quand t'es pas là, j'existe plus.

- Je sais plus qui je suis.
- J'ai même pas couché avec lui.

L'accident classique
de la quarantaine.

Surtout quand elle est médiatisée.

- Et ça vous rend gai ?
- La gaieté du bon sens.

Sport, surmenage, alternance
de régimes et de suralimentation.

Manque de sommeil.

C'est vrai qu'il a l'air d'un clown.

Je sais pas
s'il aura une gloire posthume,

mais il aura une belle enquête.

- C'est récent, ce pif cassé ?
- Dramatisez pas. Juste dévié.

Récent, certainement.

Bon. On n'en meurt pas.

Mettez-le quand même
dans votre rapport.

Par ailleurs, il prenait du Prozac
et il a bu pas mal de vin la veille.

Allez, docteur. Autopsie.

Ça met de bonne humeur,
la morgue.

C'est pas la morgue,
c'est le légiste.

J'ai jamais vu quelqu'un
d'aussi léger.

- Ça vous embête pas, de conduire ?
- Non, ça va.

Bon. Si c'était Desmot, le violeur,

peut-être qu'un proche d'Héloïse
a voulu la venger.

Elle a que sa mère,
partie en Suisse.

N'empêche que ça aurait pas
été plus mal de le convoquer avant.

Avant sa mort ?
Ça, ça aurait été plus efficace.

- J'aurais dû vous écouter ?
- Eh !

Mme Sterne ! Bonjour. Vous auriez
quelques minutes à m'accorder ?

Entrez.

Je suis désolée.
Je viens sans prévenir.

- Ça vous dérange ?
- Non.

Vous avez un cendrier sur l'étagère.

Moi aussi, j'aime bien repasser
avec la radio.

C'est même le seul moment où j'ai
le temps d'écouter de la musique.

- C'est à votre mari, ça ?
- Oui.

La dernière fois que je suis venue,

il était à sécher.
Je reconnais la doublure.

- Il y avait cette robe bleue, aussi.
- Rien ne vous échappe.

C'est parce que je la trouve jolie.
C'est tout.

J'aimerais bien qu'on se parle
sincèrement, toutes les deux.

Je vous écoute.

Le cadavre de M. Desmot
a le nez légèrement cassé.

Cassé ? Ça, sûrement pas !

Il s'est ouvert
à la panne de courant.

Il s'est cogné
contre le trompe-l'oeil.

Ça, c'est le problème
avec les trompe-l'oeil.

On se cogne dedans.

Il est mal placé.
En plus, avec les assiettes peintes,

on a l'impression
que l'étagère est peinte aussi.

C'est un effet d'optique.

Oui.
Mais si c'était pendant la panne

de courant, les effets d'optique
dans le noir... Faut m'expliquer.

Il a regardé le trompe-l'oeil.
Ensuite, la lumière s'est éteinte

et il s'est payé l'étagère.

Bon.

Vous aviez une histoire avec lui ?

Une histoire ? Comment ça ?

Comme il en existe
entre un homme et une femme.

J'ai exploré son ordinateur.

Il parle de vous
dans son essai sur le mensonge.

J'ai les passages
qui vous concernent, si vous voulez.

Alors il s'agit
d'une jeune femme, Liliane,

qui ne peut pas avoir d'enfant,
qui adore le jardinage, les romans,

jeune doctoresse de province

et mariée à un professeur de dessin
psychologiquement fragile,

un peu pervers sur les bords.

Oui. Elle devient la maîtresse
d'un grand journaliste...

qui passe quelques semaines
sur la côte.

C'est vous, ça, non ?

Qu'est-ce que vous voulez
que je réponde ?

Non, c'est pas moi.

Tiens, mon mari arrive.

Ah, M. Sterne. Bonjour.

Vous vous en doutez,
j'ai une question à vous poser.

Oui. Quelle question ?

L'heure à laquelle vous avez quitté
M. Desmot sur la plage.

Ah, je ne porte plus de montre
depuis la sixième.

Vous êtes plus costaud
que vous n'en avez l'air.

Quelle chance de pas avoir
d'horaires. Je n'ai pas de montre,

mais malheureusement,
j'ai des horaires.

Alors...

M. Desmot est parti de chez vous
vers 23 h.

C'est ce que vous m'avez dit hier,
hein ?

Comment savez-vous
qu'il était 23 h ?

Il a regardé sa montre
avant de partir.

D'accord.

Et vous êtes revenu ici directement
après l'avoir raccompagné ?

Oui. En bateau, ça roulait tout seul.
Une fois accosté,

j'ai dû ramer pour rentrer.

Vous roulez en bateau,
vous ramez en marchant...

Décidément, vous faites rien
comme tout le monde.

Elle va s'acharner.

T'as remarqué son oeil ?
On dirait un chasseur.

T'as rien fait. Elle a pas de preuve,
elle tourne en rond.

- Tu crois ?
- Oui.

Je t'aime.

J'ai besoin de te toucher,
de sentir ton corps.

J'ai besoin que tu sois réelle.

M. le juge,
elle n'était pas son genre.

Son portrait d'elle
ne prête pas à confusion.

Mais elle devait se sentir flattée
et elle est tombée dans le panneau.

J'ai un tas d'indices. La robe bleue,
un grain de beauté dans le cou...

En plus, dans ce qu'écrit Desmot,

il drague la femme parce qu'il pense
que le mari est malade mental.

Il parle de psychose, de perversion.
Il le soupçonne de viol.

Il drague la femme
pour la faire parler.

Ah, c'était un drôle de type.

La rumeur,
je suis sûre que c'est lui.

Ah oui, oui ! Sterne
avait toutes les raisons de le tuer.

D'un autre côté, l'autopsie
conclut à une crise cardiaque.

Comme vous voulez, M. le juge.
C'est vous qui décidez.

Au revoir.

Quel con.

Peut-être qu'il a raison.

Faut qu'on se voie.

- J'ai un truc intéressant.
- D'accord.

Je vous dérange pas trop ?
Je suis en avance.

Voilà votre gardénia.

Alors pas de lumière directe
et surtout pas d'eau du robinet.

C'est gentil. Combien je vous dois ?

Oh là là, une fortune !

J'ai cinq billets neufs
avec des numéros qui se suivent.

Alors j'ai pensé aux billets perdus
chez M. Desmot.

- Vous êtes au courant de ça, vous ?
- On ne parle que de ça en ville.

Qui vous les a donnés ?

Je vous en ai pas parlé l'autre jour,

par discrétion.

C'est Régis Marchal.

Il est endetté vis-à-vis de nous.
C'est le 10e de ce qu'il nous doit.

Quand j'ai vu les billets neufs
avec les numéros qui se suivent,

je sais pas vous, mais moi,
ça m'a paru très clair.

Et où est passé le reste ?
Vous avez une idée ?

Oui, j'ai ma petite idée.

Vous en avez parlé à quelqu'un,
de votre idée ?

Non. Enfin, à mon mari
et au commissaire Loudun.

D'ailleurs, il m'a donné un Nuts.

Ah oui ! Il adore ça !

Oui. Loudun ?

Vous pouvez me trouver
Régis Marchal et l'amener ici ?

Oui, je sais. Mais tranquille, hein ?
Pas de remous.

D'accord.

Je vais m'en aller. J'ai rendez-vous.

Je vais vous demander cinq minutes.

Je voudrais pas rencontrer Régis.

Non. Rassurez-vous.
Vous ne le verrez pas.

J'ai horreur
de ce genre de confrontation.

Vous me disiez

qu'en ville on parle
de la mort de M. Desmot.

On parle que de ça.

Un clou chasse l'autre,
en quelque sorte.

- "Un clou chasse l'autre" ?
- Je veux dire...

que la mort de l'écrivain
supplante la mort de la petite fille.

- La pauvre petite !
- Oui, justement...

Vous connaissez Victor,
qui a trouvé le corps d'Héloïse ?

Oui, bien sûr. Sa soeur est en classe
avec mon petit-fils.

Il est marrant. Il fouille partout,
il est curieux de tout.

Il me fait penser à Tintin.

Bien.
Il est venu me voir tout à l'heure

et il m'a raconté
une drôle d'histoire.

Figurez-vous
qu'il a trouvé un dessin d'Héloïse.

Je l'ai là. Tenez, regardez.
Asseyez-vous !

C'est joli.

Oui. Très joli.

Vous voulez savoir
comment il l'a trouvé ?

En fouillant
dans le sac de votre mari.

Il a fouillé dans son sac ?

Hier soir,
au bar de Roger, justement.

Ah non ! Hier soir, on n'a justement
pas été au bar de Roger.

Ou avant-hier. Ou le jour d'avant.

Victor était au comptoir, vous vous
êtes absentés tous les deux

et il en a profité
pour fouiller le sac de votre mari.

Pourquoi il a fait ça ?

Je sais pas.

Ça devait être dans les affaires
de Jérôme. Elle lui avait donné.

Les cadeaux que les gosses se font.
Quand le cartable est trop lourd,

le grand-père met les affaires
dans son sac.

Non, Mme Bordier.
Ce dessin était le dernier d'Héloïse.

Elle est partie avec
de chez M. Sterne. Vous comprenez ?

Dans le sac de votre mari,
Victor a aussi trouvé ceci.

J'avoue que nous nous sommes tous
demandé à quoi ça pouvait servir.

C'est Loudun qui a trouvé
la réponse, dans cette revue.

Je lis.

"Ce petit appareil qui ressemble
à un stylo dans son coffret gris

"vous permet d'améliorer
vos performances sexuelles.

"À base de substances naturelles
utilisées depuis toujours...", etc.

Alors, Mme Bordier,

votre mari se fait des piqûres
dans la queue pour bander ?

Il a une maîtresse ?

Une maîtresse ? Tu parles !

Non, non.
Les femmes ne l'intéressent pas.

Moi, je suis juste sa maman.
Vous comprenez ? Et pour le reste...

Il a jamais été normal.
Il se faisait des injections.

Quand même, je pensais pas
que ça finirait comme ça.

On sait pas à côté de qui on vit.

On sait rien.

C'est en Indonésie
que ça lui a pris.

Là-bas, des petites filles sont...

Quand même, hein !
S'intéresser aux petites filles...

Vous vous rendez compte ?

Il pensait qu'à ça. Quelle honte.

Il voulait toujours prendre Jérôme
à l'école, ces derniers temps.

Toujours ! Je me bagarrais
pour qu'il y aille pas.

Alors je pouvais pas faire plus.
Qu'est-ce que je pouvais faire ?

Ce que vous venez de faire.

Venez, Mme Bordier.
On va chercher votre mari.

Venez avec moi, M. Bordier.

Tranquillement.

C'est la seule chose à faire.
Venir avec moi.

Tu t'occuperas de Jérôme ?

Oui. Votre femme s'occupera
de Jérôme. Allez !

Saint-Malo s'éveille
du cauchemar qui l'étreint

depuis plus d'une semaine.

Le commissaire Lesage vient
de procéder à une arrestation

dans la très triste affaire du
meurtre de la petite Héloïse Michel.

Il ne nous est pas encore permis

de nommer le suspect,

mais il s'agirait
d'une personnalité inattendue

et connue dans la ville.

Il semble que les efforts
de la police malouine,

sous la direction
du commissaire Lesage,

et avec l'aide des gendarmes,
aient porté leurs fruits.

- C'est fini, René !
- Quant à l'autre affaire...

- Enfin, c'est fini !
- Tu crois ?

Oui, je suis sûre.

...là aussi, nous nous dirigeons

vers un éclaircissement définitif.

Un témoin important est entendu
dans les locaux de la police.

J'ai peur que rien ne soit fini,
ma pauvre chérie.

Bonjour, René.

Comment allez-vous ?

Mieux qu'hier matin.

Finalement, notre commissaire
a fait du bon boulot.

Vous êtes seul ?

Ma femme fait bouillir la marmite.
Elle a eu une dure journée.

Vous pouvez m'accompagner
au commissariat ?

Pour quoi faire ?

Mme Lesage demande ça
comme un service.

Pourquoi lui rendre un service ?

Soyez pas comme ça.

Bon. Depuis hier soir, on tient
Régis Marchal en garde à vue.

Les billets, c'est embêtant.

Il se défend en mentant
comme un arracheur de dents.

Anna est mignonne
mais doit lui coûter cher.

- C'est pas le genre de fille...
- Peut-être. Mais il l'aime.

Il lui fait des cadeaux. Elle est
contente, il lui en fait d'autres.

Il veut vous voir. Mme Lesage pense
que ça peut faire avancer l'enquête.

Je vous remercie d'être venu,
M. Sterne.

M. Marchal me raconte des histoires.
Il s'enferre.

Pourtant, il n'a ni le profil
ni le comportement d'un assassin.

Ça, j'en suis sûr.

Il a demandé à vous voir.

J'ai accepté, pensant
que ça ferait avancer l'enquête.

C'est ça.
Vous allez cacher un micro.

Non, M. Sterne. Ce genre de trucs,
c'est dans les films.

J'ai la pauvre Anna dans le bureau.

Dur de boucler le petit ami
de sa baby-sitter.

Pour votre fille, vous n'avez qu'à me
l'envoyer pour des cours de dessin.

Je ne suis plus dangereux.

Ni même inquiétant, je vois.

Je fais mon métier, M. Sterne.
L'important, c'est de le faire bien.

Bon. Ben, je vous laisse.

T'as pas une cigarette ?

Je suis dans la merde.

Samedi soir,
je suis allé chez Desmot.

Vers 3 h du matin.
Il travaillait toujours la nuit.

Je sais même pas quand il dormait.

Qu'est-ce que tu racontes ?
C'est pas possible.

Si. C'était prévu,
il m'avait dit de passer.

Quand je suis arrivé,
c'était tout éclairé.

J'ai sonné.
J'ai frappé et il a pas répondu.

J'ai rien compris.
On avait rendez-vous.

J'avais plus qu'à repasser
et je suis reparti avec le matos.

Le matos ?

La marchandise que je devais livrer.
Les ex-voto.

Il m'avait déjà versé 10 %.
25 000 balles.

Il y en avait un paquet.
Peintures sur bois XVIIe.

- C'était lourd.
- Qu'est-ce que tu en as fait ?

Ben, je les ai ramenés au fourgue.
J'allais pas les garder.

Ce qu'il y a, c'est que les 25 000,
il me les a donnés le vendredi.

La veille où il a dîné chez toi.

Moi, comme un con,
dimanche matin,

j'ai été chez les Bordier
pour leur rembourser du pognon.

Puis j'ai payé le collier
que j'ai offert à Anna.

Tu parles ! Une heure après,
on découvrait le corps.

Je suis fait comme un rat.

En plus,
j'ai pas raconté la vérité.

Qui va me croire, maintenant ?

Moi.

On m'a dit...

On m'a dit : "En Bretagne, il fait
beau plusieurs fois par jour."

Je suis vraiment désolée.

Mais avec tout ça,
il va falloir que je garde votre ami.

Vous me comprenez, j'espère.

- Je suis crevée.
- Ma pauvre chérie.

Je vais me faire du thé.
T'en veux ?

Pourquoi pas ?

- Et toi, qu'est-ce que t'as fait ?
- Rien de particulier.

- Tu as peint un petit peu ?
- Non.

Viviane !

C'est moi.

Ferme ta gueule.

Ferme ta gueule !

Ensuite,
je suis remonté à la maison.

J'étais apaisé, tu vois.

C'était comme une grande force
qui m'obligeait

à tout faire dans le calme.
- Comment tu l'as tué ? Comment ?

Je sais plus, moi. Je l'ai frappé.
Je ne sais plus comment.

- C'est un accident, si tu sais plus.
- Mais non ! C'est trop enchaîné.

J'ai tout préparé.
J'ai tout mis en scène, après.

Comme pour un tableau. Pour faire
croire qu'il avait passé la nuit ici.

Je lui ai fait couler un bain.
Il prenait jamais de bain.

Je le savais pas.

J'ai fait n'importe quoi, en fait.

Je suis pas doué pour le crime.
C'est moi, ça.

C'est moi, c'est moi.

C'est fini, maintenant. C'est fini.

Tu sais pas qui je suis.
Je t'ai menti, Viviane.

Je suis quelqu'un d'autre.

- Non.
- Je pouvais pas le dire.

- Je voulais pas te perdre.
- Je veux pas te perdre non plus.

Je suis là maintenant, René.
Je suis là.

Bienvenue au royaume des morts.

René.

René.

René.

Sous-titrage : Caroline Barzilaï
pour ECLAIR