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Qu'est-ce que vous voulez savoir ?

Une seconde, ça n'enregistre pas.

Voilà.

Votre description
de l'accident du fils...

C'est perturbant à lire,
vu que c'est votre vie.

Pour vous, on ne peut écrire
que sur du vécu ?

... et ça m'amène
à une histoire intéressante,

je décide
de vous mettre dans mon livre,

et voilà, vous êtes dedans.

Pourtant, je ne sais rien de vous.

Je sais que vous m'intéressez.
Ça, c'est réel.

Mais il a fallu me rencontrer,
d'abord.

Je suis bien réelle, là, devant vous.

Je vous le confirme.

Donc, pour commencer à inventer,

vous devez partir du réel.

Vos livres mêlent vérité et fiction.

Ça donne envie
de démêler le vrai du faux.

C'est votre but ?

Vous écririez sur quoi, vous ?

C'est Samuel qui travaille au-dessus.
Mon mari.

Alors, qu'est-ce qui vous intéresse,

ou vous énerve
au point de vouloir fouiller ?

Oubliez votre thèse, vos études.

Je ne veux pas être écrivaine.

D'accord, oubliez l'écriture,
on peut juste parler.

Vous ne voulez plus me répondre ?

Si, bien sûr.
Mais on peut aussi discuter.

On pose une question chacune.

Comme ça, personne n'est frustré.
Comme une discussion normale.

Vous vous intéressez vraiment...

À ce qui vous intéresse ?
Mais, évidemment.

Je ne vois personne,
je travaille ici toute la journée,

vous venez me voir,
vous m'intéressez.

Je cours.

C'est une des choses
que j'aime le plus.

Ça me fait planer, comme une drogue.

Vous vous y connaissez en drogue ?

C'est la prochaine question.

Gros dossier.

Vous n'êtes pas obligée
de tout noter.

Non, c'est clair.

Je vous l'avais dit,
on aurait dû faire ça à Grenoble.

Ça ira.
Je vais prendre des notes.

Mais j'ai plein de questions.
Vous n'avez peut-être pas le temps.

Ne vous inquiétez pas,
le temps n'est pas le problème ici.

Cool.

J'aimerais parler du récit comme...

Je n'aime pas le sport.

Première chose.

Marcher, pourquoi pas.
Mais courir, non !

D'accord, j'ai compris.

Donc,

vous...

Ça devient difficile, là, non ?

Oui, c'est compliqué.

On va devoir arrêter, Zoé.

Je viens bientôt à Grenoble.
Je vous appelle, d'accord ?

Vraiment désolée.

- À bientôt.
- Oui, sans faute.

Oui...

Non, je ne sais pas.

Je ne l'ai pas déplacé,
je ne l'ai pas touché.

Il ne respire pas,
c'est pour ça que j'appelle.

Non, venez, je ne peux pas
répondre à toutes les questions.

Non, il ne bouge pas.
Je vous en prie, venez.

Merci d'être venu.

C'est étrange
de se retrouver comme ça.

C'est vrai.

J'avais pas compris
que c'était aussi haut.

Viens.

C'est Samuel qui a grandi ici.

C'est son...

Comment on fait ?

Tu veux me poser des questions et...

Désolée, mon français n'est pas
meilleur que quand on s'est connus.

L'anglais, c'est bien.

T'as été interrogée combien de fois ?

Une fois ici, par les gendarmes,

et une fois
par le juge d'instruction.

Tu peux me dire ce que tu leur as dit
sur le jour de sa mort ?

Bien sûr.

Je leur ai tout raconté,
depuis mon entretien avec l'étudiante

jusqu'à l'arrivée de l'ambulance.

J'étais en rendez-vous
avec cette jeune femme,

et Samuel a commencé

à passer une chanson en boucle
pour m'emmerder et la chasser.

Tu leur as dit
que c'était pour t'emmerder ?

Non.

J'ai juste dit que c'était trop fort
et qu'on avait dû arrêter,

car elle enregistrait
et ce n'était plus possible.

J'ai besoin que tu sois précise.

Dis-moi exactement
ce que tu leur as dit.

Je leur ai dit que j'avais mis
un terme à l'entretien.

Elle est partie.

Je suis montée dans ma chambre

et c'est là que j'ai vu Daniel
sortir se promener.

Il n'était pas à l'école ?

Il n'y va que deux fois par semaine,
à Grenoble.

Il a quel âge, maintenant ?

Onze ans.

Une fois la jeune femme partie...

Samuel est descendu
me voir dans ma chambre.

On a parlé
de ce qu'on allait faire ce jour-là.

Rien de spécial.

Il est remonté travailler dans
les combles et j'ai bossé au lit.

Tu as écrit ?
Sur ton ordinateur ?

Oui, j'ai fini une traduction.

Je traduis pour des hebdos allemands,
c'est alimentaire.

Et puis...

Je l'ai entendu travailler au-dessus
avec sa musique

pendant à peu près, je dirais,

dix minutes.

Puis j'ai mis des boules Quies
pour faire une sieste.

Et...

je me suis endormie.

Une heure plus tard, je crois,

j'ai entendu Daniel crier, et...

J'avais dû perdre une boule Quies
parce que ça m'a réveillée.

Il y avait encore la musique.
J'ai couru en bas et...

Voilà.

J'ai appelé le SAMU
qui est arrivé 30 min plus tard.

- Je peux faire le tour ?
- Bien sûr.

Par où on commence ?

Est-ce que je t'explique...

Oui, peut-être.

D'accord. Bon...

C'est là qu'on mange.

Donc...

il travaillait en haut ?

Oui, il isolait les combles.

Et pendant ta sieste,
il était juste au-dessus de toi ?

Ça devait être son prochain chantier.

On voulait faire
des chambres d'hôtes.

Donc, il travaillait là ?

Ces jours-ci, oui.

Et la fenêtre,

à l'arrivée du SAMU,
elle était ouverte ?

Oui, elle l'était.

Il l'ouvrait tout le temps ?

Je ne sais pas trop.

Parfois, il aérait

à cause de la sciure de bois.

Il était imprudent ? Il prenait
des risques en travaillant ?

Non, il était prudent et méticuleux,
il travaillait lentement.

Est-ce qu'il aurait eu une raison

de se pencher à la fenêtre,
peut-être pour t'appeler ?

Ou Daniel ?

Non, quand il travaillait,
surtout quand il mettait sa musique,

il se coupait du monde.

Il ne nous appelait jamais d'ici.

De toute façon, vu la hauteur de...

Il avait bu ?

Non, jamais la journée.

Surtout quand il travaillait.

Viens te laver et t'habiller.
Il fait jour, allez.

Mon chou, je sais que c'est dur.
Pour moi aussi.

Et ça va être dur pendant un moment.

Mais on doit essayer
de faire les choses comme avant.

Monica est là,
elle t'a fait du tiramisu.

Tu peux pas
passer tes journées enfermé.

Il fait beau
et Snoop aussi a besoin de sortir.

Qu'est-ce que je peux faire ?

Les assiettes ?

J'en peux plus de pleurer.

Je suis tellement épuisée.

- Tu veux du parmesan ?
- Oui, parfait.

- Je sais pas où est le poivre.
- Je m'en occupe.

Tu le sais, l'autopsie ne tranche pas

sur la cause de la mort.

Le médecin légiste
manque d'éléments concrets.

Mais...

Ce qu'on peut défendre,

c'est une chute depuis la fenêtre
des combles, avec...

un rebond sur le toit de l'appentis.

Son crâne a pu heurter le rebord
quelque part par là.

Tu vois ?

Et il aurait atterri sur le sol,

à peu près là.

Apparemment, il a trouvé la force
de ramper un ou deux mètres

avant de s'écrouler
dans cette position finale.

Ça explique le sang dans la neige.

Mais premier problème,

on n'a rien retrouvé sur le toit,
pas d'ADN.

Et il y a ces trois projections
de sang ici, sur le mur.

Apparemment, ça colle pas
avec le choc de la tête sur le toit.

Le juge a demandé à un expert
d'éclaircir ça.

Et toi, quand tu vois ça,
t'en penses quoi ?

Je sais pas, je suis pas
spécialiste des projections.

Mais j'en connais une très bonne.

Je vais lui demander.

Il y a un dernier problème pour nous.

Ce bleu sur ton bras.

Ça peut faire penser
à une trace de lutte.

Ils l'ont vu quand ?

En m'examinant le soir même,
ma manche était relevée.

Tu leur as expliqué tout de suite ?

Je sais d'où ça vient.
Je te montre ?

Dans la cuisine, je me cogne
tout le temps le bras ici.

Quand je me déplace.

C'est ridicule, ça m'est arrivé
plusieurs fois cette semaine-là.

Je leur ai dit
que je marquais facilement

et que Daniel confirmerait
que je me cogne souvent.

D'accord.

Comme tu le vois, une chute
accidentelle va être dure à défendre,

vu la hauteur du rebord
de la fenêtre.

C'est pour ça
qu'une enquête est ouverte pour...

Et toi, tu es...

"Mort suspecte".

Tu es témoin assisté
car tu étais la seule présente.

Et bien sûr, tu es sa femme.

Chercher un étranger qui s'introduit

et le tue pendant que tu dors
et que Daniel est en promenade,

c'est une stratégie foireuse.

Samuel n'avait pas d'ennemis.

Je ne l'ai pas tué.

Ce n'est pas la question.

Vraiment.

Il faut qu'on se penche
sur la personnalité de Samuel.

Ce qu'il traversait.

Tu vois quelque chose
qui pourrait faire penser

à un suicide ?

J'y ai pensé, bien sûr.

Mais je ne peux pas l'imaginer sauter
avec Daniel si près.

Je n'arrive pas
à me le rentrer dans la tête.

Oui, mais c'est sûrement
notre meilleure défense.

Enfin, si t'es inculpée,

c'est notre seule défense.

Moi, je pense qu'il est tombé.

Mais personne n'y croira.

Moi, j'y crois pas.

J'ai besoin d'une clope.

Vincent.

Il faut que je te dise quelque chose.

Il y a six mois environ,

je me demande si...

Samuel n'a pas avalé des médicaments.

Je l'ai trouvé ivre,
inconscient au sol.

Il avait vomi.
C'était très tôt le matin.

Il y avait des points blancs

dans le vomi,

et je me rappelle m'être demandé
si c'était des cachets.

Ah bon ?

Vous en avez parlé après ?

Non, il voulait pas en parler.

Daniel a vu ça ?

T'as pas appelé un médecin ?

Non, j'ai pas percuté sur le coup,
mais avec le recul,

ça pourrait ressembler
à une tentative de suicide, non ?

Quelqu'un est au courant ?

Je te rappelle.

Salut.

C'était dur, cet après-midi, hein ?

Mais t'as pas menti ?

Je veux pas
que tu changes tes souvenirs.

Il faut dire exactement
ce dont tu te souviens.

Ça pourra pas me nuire.

Donne-moi ta main.

On fait quoi maintenant ?

Tu veux un verre ?

Whisky ?

Viens là.

Pardon.

Comment t'as pu me cacher ça ?

Je savais pas qu'il enregistrait.

Et alors ?

Vous vous êtes disputés
la veille de sa mort.

Cet enregistrement,

c'est pas la réalité.

Ça en fait partie,

mais si on se focalise sur un moment
d'une extrême intensité,

forcément, ça écrase tout.

Ça ressemble à une preuve irréfutable
mais ça déforme tout.

C'est pas la réalité, c'est nos voix,
mais c'est pas nous.

Je me fous de ce qu'est la réalité.

Tu dois commencer à te voir

comme les autres vont te percevoir.

Un procès ne vise pas la vérité.

J'ignorais qu'il
y aurait un procès.

C'est le cas.

Ce qui va vraiment compter, c'est...

qui tu as autour de toi.

Il y a personne.

Si, il y a Daniel.

Daniel est important.

Et avec Samuel, vous aviez pas...

des amis ?

On n'aurait jamais dû venir ici,
j'étais tellement bien à Londres.

C'est lui qui a insisté.

Il disait qu'on serait tranquilles
pour travailler.

Ça résoudrait
nos problèmes financiers.

J'ai quitté mon trou
en Allemagne pour

finir coincée dans
son trou à lui.

C'est absurde, franchement.

OK, on y va ?

C'est une des seules personnes
que j'ai connues...

Quand il entrait dans une pièce,

quelque chose basculait,

l'atmosphère changeait.

Je crois que c'est ça, le charme.

Je suis tombée amoureuse
de son charme.

J'avais passé ma vie à ne pas
comprendre ma famille et mes amis.

Et il est entré dans ma vie
et j'ai eu la sensation

de comprendre ce qu'il disait,
les signes qu'il m'envoyait.

On n'était pas forcément d'accord,

mais on avait...

On avait des choses à se dire.

Je l'ai compris plus tard,
quand ça a disparu.

Dis pas que ça a disparu.

Concentre-toi sur lui.

Sur votre rencontre.

Quand on s'est connus, il commençait
à enseigner à la fac à Londres.

On s'y est installés ensemble.

C'était un prof génial.

Il avait une façon
de tout rendre vivant et accessible,

c'était génial.

Mais ça ne lui suffisait pas,

alors...

Au fond, ce qu'il voulait vraiment,
c'était écrire.

Il a passé des années sur un roman.

Je le voyais lutter, c'était dur.

Et j'ai fini par comprendre

que son rapport au temps,
au travail, était...

compliqué, à l'inverse de moi.

Non, arrête de te comparer à lui.

Reviens à votre relation.

Notre relation tournait autour
d'une complicité intellectuelle,

quitte à négliger tout le reste.

Tout le reste ?

De l'accident, je veux dire.

Je savais pas que ce serait si...

- Ça va ?
- Oui.

C'est juste que je savais pas
que ce serait aussi...

comme ça, bref.

Tout a changé après l'accident.

Daniel avait quatre ans.

Ce jour-là,
Samuel devait le récupérer à l'école.

Mais il était plongé dans l'écriture.

Il a appelé une baby-sitter
in extremis,

et elle est arrivée en retard.

Ils traversaient la rue,

une moto a percuté Daniel.

Son nerf optique
a été gravement touché.

Après ça,

Samuel est devenu obsessionnel,

il s'accusait en boucle.

S'il était allé le chercher
à l'heure...

Il était ravagé par la culpabilité.

Et peut-être
qu'il en est jamais sorti.

On a passé toute cette année-là
à l'hôpital,

avec Daniel.

On a commencé à avoir
des problèmes d'argent

et Samuel s'est mis à prendre
des antidépresseurs.

On pourrait ne pas le salir ?

Je voudrais préserver son image
et ménager Daniel.

On va essayer.

Mais ce sera comme ça...

il va falloir
que j'affronte les choses.

Il faut que tu te prépares

à tout dire, et la difficulté,
c'est de le faire en français.

Vous vous intéressez vraiment...

À ce qui vous intéresse ?
Mais enfin, évidemment.

Je ne vois personne,
je travaille ici toute la journée.

Vous venez me voir,
vous m'intéressez.

Je cours.

C'est une des choses
que j'aime le plus.

Ça me fait planer, comme une drogue.

Vous vous y connaissez en drogue ?
C'est la prochaine question.

Gros dossier.

Vous n'êtes pas obligée
de tout noter.

Non, c'est clair.

Je vous l'avais dit,
on aurait dû faire ça à Grenoble.

Ça ira.

Je vais prendre des notes.

Comment on dit "speaker" ?

C'est compliqué.
Je peux répondre en anglais ?

Je pense qu'il avait honte.

Samuel avait un rapport
très fort à la honte.

C'est compliqué.

Il était frustré d'enseigner,
c'était devenu un poids.

Et il voulait écrire.

Il a travaillé des années
sur un roman,

avant et après l'accident de Daniel.

Je lisais tout,

et pour moi, c'était très bon,
je le lui disais.

Mais du jour au lendemain,

il n'y est plus arrivé, il a arrêté.

Il s'est senti lâche,

il se rabaissait.

Il a fini par se persuader
qu'il ne pouvait pas écrire

à cause de sa dépendance
aux médicaments

et il a voulu s'en libérer.

Et il n'a pas pu...

Pardon, je n'ai pas fini.

Il n'a pas pu parler
de sa tentative de suicide

parce que son sentiment d'échec
était trop douloureux.

Il vous reprochait de l'avoir rendu
accro aux cachets dès le début.

Et ça le rendait fou.

Pardon de vous interrompre.

Vous arrivez comme ça,

avec votre opinion, peut-être,
et vous me dites

qui était Samuel
et ce qu'on traversait.

Mais ce que vous dites est seulement

une petite partie
de la situation globale.

Parfois,

un couple...

c'est une sorte de chaos

et tout le monde est perdu.

Et parfois on se bat ensemble,
parfois seuls,

et parfois l'un contre l'autre,
ça arrive.

Je pense qu'il est possible
que Samuel

ait eu besoin de voir les choses
comme vous les décrivez.

Mais si j'avais vu un psy,

il pourrait aussi rapporter ici
des horreurs sur Samuel.

Mais est-ce qu'elles
seraient vraies ?

Nous étions tous les deux traversés

par des émotions très différentes,
à l'époque.

Oui, pendant quelques jours.

Daniel était sous sa responsabilité.

Oui, pour sa responsabilité
dans l'accident.

Bien sûr.

Tout à l'heure, le psychiatre
a parlé d'une situation tragique.

J'ai tout de suite refusé
de voir ça comme ça.

Je n'ai jamais vu Daniel
comme un handicapé.

J'ai voulu le préserver
de cette perception.

Dès qu'on définit un enfant ainsi,
on le condamne

à ne pas voir sa vie
comme étant la sienne,

alors qu'il doit sentir
que c'est sa meilleure vie

parce qu'il n'en a qu'une,

c'est la sienne.

Il lit des livres,

il va sur les réseaux
comme tous les jeunes,

il joue du piano,

il rêve, il pleure, il rit.

C'est un enfant plein de vie.

Il va bien.

Alors peut-être que oui,

j'en ai voulu à Samuel de projeter
sa propre douleur sur Daniel.

J'ai envie de boire toute la nuit.

Pareil.

Je vais boire.

Pour oublier.

T'es le seul avocat...

OK, réessaie.

Vraiment,
t'es le seul avocat que je connaisse.

C'est une bonne raison
pour confier sa vie à quelqu'un ?

- Tu trouves ?
- Non, mais tu es bon.

Pas vrai ? Tu es bon.

J'en sais rien.

Tu ressembles à un chien.

Pardon ?

Non, un beau chien.

Comment on dit ?

Un basset, ça se dit ?

Moi, je peux pas me fier à quelqu'un

si je trouve pas
à quel animal il ressemble.

C'est vrai ? Alors, je suis quoi ?

Je sais pas encore.

Après tout ce temps,

tu sais toujours pas ?

Tu te souviens de moi avant,
quand on s'est connus ?

Oui, bien sûr.

Moi, non. J'étais comment ?

T'étais un peu paumée,

dans mon souvenir.

Seule.

Et...

ambitieuse.

Et moi,
j'étais désespérément amoureux.

Je me souviens de rien.

Je suis innocente.
Tu le sais, hein ?

Non, vraiment.

Je sais pas ce que tu penses.

Je pense beaucoup de choses
que je te dis pas.

Sinon tu me virerais direct.

Non, Vincent.

Dans ta tête, tu te dis...

Des fois, quand tu me regardes,
comme tu fais là,

je sens que tu me juges.

Je sais pas ce que tu penses.

Sandra, je te crois.

Je te juge pas.

Mon amour,

je veux que tu saches...

Je ne suis pas...

Je ne suis pas ce monstre, tu sais ?

Tout ce que tu entends au procès,

c'est...

C'est déformé.

C'était pas comme ça.

Ton père...

C'était mon âme sœur.

On s'était choisis, et je l'aimais.

Mais comment prouver ça ?

J'aurais voulu
que tu sois protégé de tout ça,

que tu puisses faire
des trucs d'enfant,

que tu sois un enfant
un peu plus longtemps.

Ça fait partie de mon travail.

Organise-toi autrement.

Je vais pas annuler.

Je m'organise autrement tout seul ?

On doit planifier
les choses ensemble.

Je vais pas laisser Daniel seul
quand tu t'absentes.

Laisse-le à Monica,
où est le problème ?

Trois jours par semaine ?

Il faudrait la payer,

on n'a pas les moyens.

J'ai besoin de temps.

Pas juste quelques heures.

Je parle de dégager
du temps pour moi toute l'année.

Là, ça ne me va plus.

Gère ton temps autrement,
ça dépend de toi.

Tu l'as aidé récemment
pour ses devoirs ?

Il y a mille trucs dont tu te fous,
je te parle de ce temps-là.

Le livre vient de sortir.
C'est juste en ce moment.

C'est toujours "juste en ce moment".

Soit tu sors un livre, soit t'écris,

soit t'as besoin d'espace
pour trouver quoi écrire.

Et moi,
je te suis depuis des années !

Je peux rien faire de mon temps.

Tu comprends ?

C'est pas mon temps, c'est le tien !

Est-ce que je te force à enseigner ?

Est-ce que je te force
à faire la classe à Daniel ?

Personne te force.

Si tu veux du temps pour toi,
je t'en empêche pas.

Tu te fous de moi ?

J'enseigne 2 fois moins cette année

et ça suffit pas.

J'ai les travaux à finir
et je gère tout le reste !

Pourquoi tu refuses d'en parler,

et d'admettre que c'est lié

à notre répartition des tâches ?

Parce que tu te trompes.

Je te dois pas de temps,
je fais ma part.

On va pas compter les points,
s'il te plaît.

On se calme.

Je t'aime.

Quand t'as choisi
de faire la classe à Daniel,

je t'ai dit attention.

C'est beau et généreux,
je t'en remercie,

mais tu n'as pas à le faire,
et ça t'oblige...

À quoi ? À passer plus de temps
avec mon fils ?

Je regrette pas.

J'aurais pas la relation
que j'ai avec lui, sans ça.

La relation que je n'ai pas avec lui,
c'est ça ?

J'ai pas dit ça, non.

Je dis que peut-être,

peut-être que les choses sont
un peu déséquilibrées entre nous.

Pourquoi c'est si difficile
d'en parler ?

Déjà, je crois pas
à la réciprocité dans le couple.

C'est naïf et surtout déprimant.

Et en parler,
c'est une perte de temps,

au stade où t'en es.

Tout ce blabla,
c'est encore du temps perdu.

Tout ce temps à discutailler,

tu pourrais l'utiliser
à faire ce que tu veux,

si seulement tu le savais.

Je veux du temps pour écrire,
comme toi.

Fais-le.

Je connais pas d'écrivain empêché
par un fils et des courses à faire.

Arrête de geindre
avec tes conneries d'agenda

et de me rendre responsable
de ce que t'as fait ou pas.

Je vis avec toi,
j'organise ma vie autour de toi.

Si je t'imposais ce que tu m'imposes,

aucun de nous ne pourrait écrire.

T'inquiète pas pour moi,
j'y arriverai toujours.

Super.

Parfait.

Si t'es si sûre de toi, adapte-toi.

Je m'adapte,
j'emmène Daniel à l'école.

- Une fois par semaine.
- On a Monica le mardi.

Sois pas malhonnête.

- C'est toi qui pinailles.
- Je t'ai trop donné.

Trop de temps, trop de concessions.

Je veux récupérer ce temps.

Et tu me le dois. Sois juste !

Désolée, mais non. T'es fou ?

Je te dois rien.

Vraiment.

C'est à cause de ta relation
à ton fils.

T'as préservé ton confort,
t'as eu peur et voilà où t'en es.

C'est toi qui as voulu venir ici
et faire ces travaux.

C'est ton propre piège !

Je te prends pas du temps,
tu l'as perdu tout seul !

Je veux que ça change.

Je veux du temps
pour me remettre à écrire.

Vas-y.

Un conseil,
reprends celui que t'as lâché.

C'est ton conseil ?
Reprendre un livre que t'as pillé ?

Maintenant, c'est du pillage.

On en avait parlé,
tu l'avais abandonné.

T'as pris la meilleure idée du livre.
Comment je pourrais le reprendre ?

Tu mesures ton cynisme ?

Publie ta version,
dis que ça m'a inspirée,

je confirmerai.

Quand quelque chose doit être écrit,
quelqu'un doit l'écrire.

Tu penses comme un animal.
Tu fais la gentille, mais...

Regarde-toi.
Même tes conneries moralisantes...

Oui, c'est encore un moyen
de perdre plus de temps.

Tu devrais être flatté
de m'avoir inspirée.

C'est la vie, les choses circulent.

J'espère qu'un jour,
t'auras l'idée de me piller.

T'es pas dans ta jungle,
je suis là et t'imposes tout.

T'imposes ton rythme,
ta gestion du temps,

même ta langue.

Même avec la langue,
je suis sur ton terrain.

On parle anglais à la maison.

Je parle pas ma langue maternelle.

Ni la mienne, alors qu'on vit ici.

Oui, c'est un terrain d'entente.

Je suis pas française,
t'es pas allemand.

On crée un terrain d'entente,
c'est un juste milieu.

L'anglais est notre point
de rencontre, me le reproche pas.

On vit en France.
C'est notre réalité.

Daniel t'entend parler
une langue étrangère à sa vie,

parce que tu le lui as imposé,
comme le reste.

On est sur ton terrain, toujours.

Dans ton pays !

Tous les jours, je dois accepter
de vivre dans ta ville natale !

Tes amis d'enfance me méprisent

dès que je fais pas l'effort
de leur sourire.

Tu crois pas que vivre ici,
c'est être sur ton terrain ?

Tu souris jamais à personne.

C'est pour ça que tu m'aimes, non ?

Si t'avais voulu une connasse
qui sourit à tes amis au ski,

t'aurais choisi quelqu'un d'autre.

T'as honte de rien.

C'est ta grande force.

Tu vois pas l'autre.

Je te vois très bien,
mais pas comme une victime.

Tu imposes

ta façon de vivre, de parler,
de manger.

Même de baiser.

J'ai jamais pu baiser autrement
avec toi.

Tu veux qu'on te suive,
c'est ta conception du couple.

J'ai aucune conception,
j'en ai rien à foutre du couple.

Tu dis que je t'empêche
de baiser comme tu veux.

- Sérieux ?
- Oui.

Qui refuse de baiser
depuis l'accident ?

Je te parle d'avant.

Qu'est-ce que j'ai refusé
de faire sexuellement ?

Tout.

Et je dois accepter
que tu baises avec d'autres.

Je baise personne d'autre.

Arrête de nier.

Une fois,
et tu t'y accroches pour souffrir !

- T'en as baisé plusieurs.
- Tu fais encore la victime !

Je suis pas une victime,
je suis un homme trompé !

Pillé et trompé.

Je peux vivre sans sexe.
Mais pas éternellement.

Donc c'est ma faute, je te frustre ?

Peu importe qui...

qui accuse qui, qui frustre qui.

La frustration est là,
pour nous deux.

Personnellement,
je refuse de pourrir de l'intérieur,

je trouve des solutions.

À ce stade, le sexe,
c'est une question d'hygiène !

Mais tu imposes tes solutions,
qui n'en sont que pour toi.

Tu t'en fous
si ça nous blesse avec Daniel.

Laisse Daniel en dehors de ça.

Je ne lui impose rien.

Tu nous as imposé de vivre ici
avec les chèvres.

Tu te plains d'une vie
que tu as choisie !

Tu n'es pas une victime.

Pas du tout !

Ta générosité cache quelque chose
de plus sale et mesquin.

Tu n'affrontes pas tes ambitions
et tu m'en veux à moi.

C'est pas moi qui t'ai mis
là où tu es, j'y suis pour rien !

Tu te sacrifies pas, comme tu dis.

Tu te mets hors-jeu
parce que t'as peur !

Ton orgueil fait exploser ton cerveau
avant d'avoir un embryon d'idée !

Tu te réveilles à 40 ans
et il te faut un coupable.

Eh bien, c'est toi !

T'es pétrifié par ta putain
d'exigence et ta peur de l'échec.

Voilà la vérité.

T'es intelligent,
tu sais que j'ai raison.

Et Daniel a rien à voir là-dedans.
Arrête !

T'es un monstre.

Même Daniel le dit, avec ses mots.

Retire ça, espèce de merde.

Il me dit tout le temps
que t'es trop dure, tu le sais ?

Il te dit ce que tu veux entendre.

Il sent que tu culpabilises
et il veut te rassurer,

tu le vois pas ?

T'es jamais sorti de ta culpabilité !

T'es glaciale.

T'as aucune pitié.

Toi, t'en as trop pour toi-même.

Je supporte plus
ta putain de froideur !

- T'es violente !
- Oui, je suis violente !

Oui.

Parce que...

j'ai pensé que si j'en parlais,

ça ferait de moi une suspecte,
j'ai eu peur.

Pour moi, c'était un seul mensonge.

Si j'avais parlé des bleus,
j'aurais parlé de la dispute.

Je ne voulais pas
qu'on me croie coupable.

Le premier bruit de verre cassé,

c'est moi qui jette un verre
contre le mur.

Un verre à vin qui était
sur la table.

Après ça, je suis allée
vers mon mari et je l'ai giflé.

C'est là qu'il m'a attrapé le poignet
assez violemment,

c'est la lutte qu'on entend.

Juste après ça, j'ai voulu l'empêcher
de jeter des cadres au sol,

mais on les entend se briser.

On entend ensuite

Samuel se frapper plusieurs fois
le visage et la tête,

puis mettre un coup de poing
dans le mur.

On voit encore la marque.

Il y en a plusieurs dans la maison,
il avait déjà fait ça.

Il y a des années,
il s'était déjà cassé un doigt

en frappant le mur pendant une crise.

Non, mais je savais qu'il
enregistrait souvent notre quotidien.

Au début, il nous prévenait.

Mais il a fini par ne plus
nous le dire.

Il enregistrait des conversations,

Daniel au piano,

et parfois, il s'enregistrait juste
en train de parler tout seul.

Je crois que c'était de la matière
pour se remettre à écrire.

Aujourd'hui, avec le recul,
ça me semble possible

qu'il ait provoqué cette dispute
pour l'enregistrer.

Dans mon téléphone,
il a trouvé des messages

d'une femme que j'avais rencontrée
cette année-là.

C'était sexuel,
on a couché ensemble deux fois.

Ça voulait dire
avec une seule personne.

Non, c'est faux.

J'ai eu quelques histoires
l'année de l'accident de Daniel.

Et je ne le trompais pas,
Samuel savait.

Non, je lui disais.

C'était une année difficile.

Je ne dis pas ça,
je dis que j'ai été honnête avec lui.

La situation était différente.

J'ai pensé que ça le blesserait trop
à ce moment-là.

Non, ça l'aurait blessé
parce qu'il était fragile.

Comme j'ai dit,
avec elle, c'était juste sexuel.

C'est pour Samuel
que j'avais des sentiments.

Je ne sais même pas
ce que ça veut dire.

Non, on n'a jamais eu
ce genre d'accord.

Après l'accident, on cherchait
tous les deux à aller mieux.

Et j'avais besoin de ça pour tenir,

et j'ai été honnête.

Non. Je ne sais pas...

Il était blessé, c'est vrai.

Et quand on se disputait,
il y revenait.

Mais il n'y pensait pas
tout le temps.

D'après votre logique,
tous ses problèmes venaient de moi.

C'est faux,
son mal venait de plus loin.

Non, il n'y a jamais eu de pillage.

Dans le livre qu'il avait lâché,

il y avait un passage
très intéressant...

Une vingtaine.

C'était juste une ébauche.
Je trouvais l'idée brillante.

C'est un type qui imagine
ce qu'aurait été sa vie

sans l'accident mortel de son frère.

Un jour,
il se réveille dans deux réalités,

l'une où l'accident est central,
et l'autre où il n'a pas eu lieu.

J'ai dit à Samuel que j'adorais.

Je lisais
tout ce qu'il écrivait à l'époque.

Peu après,
il a abandonné l'écriture du livre.

Je lui ai demandé si je pouvais
reprendre l'idée, il a dit oui.

C'est une dispute.

On exagère et on déforme les faits,
dans une dispute.

Tout ce que j'ai pris,
c'est cette idée.

Mes personnages
sont une femme et sa fille,

j'ai développé l'histoire

sur 300 pages.

C'est fou de devoir expliquer ce qui
distingue une ébauche d'un roman.

Il avait accepté.

Et en le lisant, il a reconnu
que c'était très différent.

Et parfois, oui, dans nos disputes,
ça ressortait, parce que...

il vivait mal le fait
de ne pas pouvoir écrire.

On était...

tous les deux sonnés.

Chacun restait dans son coin
et Samuel était...

Quelque chose était cassé.

Il était vidé,
il n'avait plus d'énergie.

C'était pas Samuel.

C'est ce que tu veux ?

C'est à cause
de l'audience d'aujourd'hui ?

Je pouvais pas t'en parler avant,
tu comprends ?

On avait interdiction d'en parler.

Je comprends
que tu aies besoin de calme,

mais je peux rester dans mon coin.

Je te parlerai pas, si tu veux.
On essaie ça ?

Je vais prendre mes affaires.

Quelqu'un a dit :

l'argent ne rend pas heureux,

mais c'est quand même mieux de
pleurer en voiture que dans le métro.

Qui a dit ça ?

Je sais pas.

J'ai besoin d'un verre.

Un autre !

Vous êtes toujours...

Quand vous gagnez,
vous êtes toujours comme ça ?

On gagne jamais.

C'est la putain de première fois
qu'on gagne !

- Non !
- Mais si !

Tu m'avais dit
que t'étais un bon avocat.

C'est pas vrai !

C'est pas épicé.

Il faut que vous goûtiez ça.

On a trop mangé.

Je vais vomir.

À toi l'honneur.

Pas facile, hein ?

Avec les arêtes...

Après ça, on y va ?

T'es prête à rentrer ?

Je peux conduire, je te ramène.

Un dernier.

Pour la route.

C'est ça, pour le chauffeur.

La même chose ?

À toi.

Ça va ?

Dis-moi.

En fait, je croyais...

Je croyais que
je me sentirais soulagée.

Ça vient pas tout de suite.

T'es sûr ?

Non.

Quand on perd, on perd.

C'est le pire qui puisse arriver.

Mais quand on gagne...

on attend une forme de récompense.

Mais il n'y en a pas.

C'est juste fini.

Peut-être que parfois,
on attend trop.

Oui, peut-être.