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Mardi, 9h47.

Mon chéri, écoute-moi attentivement.

Mon avion a été détourné.
Je suis dans l'avion, là.

Je voulais te dire que je t'aime.
Dis aux enfants que je les aime

et que je suis désolée...

Je ne sais pas quoi dire.
Trois hommes ont détourné l'avion.

J'essaie de rester calme.
On a fait demi-tour,

il paraît que des avions ont percuté
le World Trade Center.

J'espère que l'on se reverra, mon chéri.

Je t'aime. Au revoir.

Fin du message.

Parmi les images que j'ai vues,
celles qui m'ont le plus touché

sont celles de gens
sautant du bâtiment en flammes.

Un acte aussi désespéré
montre bien ce que les hommes...

ce que les hommes sont amenés
à faire dans de telles conditions.

C'était déchirant.

C'est ignoble
qu'on ait laissé cela se produire.

Le programme ThinThread

aurait dû empêcher
les attentats du 11-Septembre.

Tout a commencé avec ce programme.

Quand j'ai rencontré Bill Binney,

la première chose qu'il m'a dite a été :

"Je tiens à vous dire que jamais

je ne mettrai fin à mes jours."

AVOCATE DES LANCEURS D'ALERTE

Je pensais qu'il en rajoutait,

mais après avoir entendu ses révélations

sur ce qui se passait dans notre pays,

j'ai commencé à m'inquiéter aussi.

Je tenais à ce que mon avocate sache

que si on me retrouvait mort,
ça ne pouvait pas être un suicide.

EX-DIRECTEUR TECHNIQUE, NSA

J'y tenais, car je connaissais
certaines des personnes impliquées.

C'était très sérieux, certains des membres

les plus haut placés du gouvernement
étaient impliqués.

Dans tous les ministères.

Donc je voulais qu'elle comprenne

que si on me retrouvait mort,
ça n'était pas un suicide.

Parce que j'allais me battre
jusqu'au bout, avec elle.

J'ai grandi à l'ouest de la Pennsylvanie,
une région plutôt sauvage

perdue au milieu des collines,
près des Appalaches.

C'est la tombe de mon père.

Un jour, je lui ai demandé :

"Pendant ton service militaire,
combien d'hommes as-tu tués ?"

Il a répondu : "Un, peut-être."

C'est tout ce que je sais,
il n'en parlait jamais.

Typique des vétérans
de la Seconde Guerre mondiale.

Ils pensaient juste faire leur devoir,

comme tous les autres soldats
de l'époque le faisaient.

Ils ne se prenaient pas
pour de grands héros.

Ce qu'il y a de pire avec la guerre,

c'est qu'on n'y met fin qu'en étant
aussi vicieux que ceux qui l'ont déclarée.

C'est pour ça, je pense, qu'il ne voulait
pas parler de ce qu'il avait fait.

Les guerres sont
le résultat de gouvernements

mal informés, voire pas informés du tout.

Sur le principe, mon travail consistait

à faire en sorte que les informations
que je récoltais

arrivent aux oreilles du gouvernement,
et qu'il en fasse bon usage.

Rappel pour ceux
qui viennent de nous rejoindre :

une explosion dans les sous-sols
du World Trade Center à New York

a, selon les autorités, causé trois morts

et au moins 150 blessés.

Des centaines de personnes
sont évacuées des tours jumelles

dans le quartier sud de Manhattan.

Personne ne nous a aidés,
on était coincés au 94e étage.

Les murs ont explosé,
on ne voyait plus rien.

Tout s'est écroulé : les murs,
les meubles, un vrai carnage.

Les attentats
du World Trade Center de 1993

ont alerté l'opinion publique
sur la menace terroriste.

Ils ont introduit des bombes au sous-sol

et ont tâché de les placer
près des fondations

afin qu'en explosant, elles fassent
trembler ou s'effondrer le bâtiment.

Il ne s'est pas effondré,
mais il y a eu beaucoup de morts

et la CIA a commencé à mettre la pression

aux services de renseignement
pour lutter contre le terrorisme.

C'est ce qu'on a fait, à la NSA.

On suspecte un attentat à la bombe

Enquête sur des groupes terroristes

Un terroriste présumé arrêté

Au même moment,
on entrait dans l'ère du numérique

avec l'explosion des communications,
d'Internet, des téléphones...

Les terroristes se sont retrouvés piégés

dans ce vaste réseau
mondial de communication.

Nous étions face
à un nouveau problème technique :

comprendre qui communiquait avec qui,
qui était un terroriste

et comment trouver ces données
dans un flot constant d'informations.

Quand j'ai accédé au poste

de directeur technique de l'analyse
géopolitique et militaire mondiale,

j'ai rassemblé les meilleurs analystes
de l'agence, et du monde.

Je leur ai dit :
"Voilà en quoi consiste notre projet :

nous allons établir un schéma
des échanges téléphoniques mondiaux."

On avait donc à tracer les échanges
entre 2,5 milliards de téléphones.

Quelqu'un dans le fond a dit :
"On ne peut pas faire ça."

"Pourquoi cela ?"
"Car les combinaisons sont infinies."

J'ai dit : "Si l'on y réfléchit,

à chaque point donné dans le temps,

le nombre d'atomes
qui composent l'Univers est fini.

Ces 2,5 milliards de téléphones ne sont
qu'un sous-ensemble de ces atomes.

Ce n'est rien du tout.

Commencez à y réfléchir."

C'était le principe
du programme ThinThread.

De tous les analystes que j'ai connus

dans ma carrière, que ce soit
dans l'US Air Force ou à la NSA,

Bill est de loin le plus habile,

le plus compétent, le plus précis.

Il utilise tous les outils nécessaires
pour reconstituer une histoire,

mais aussi pour la compléter.

Quand on ne pouvait pas lire des messages

qui étaient cryptés,

Bill avait des façons
de déchiffrer ces messages...

ANCIEN ANALYSTE SENIOR, NSA

...qui n'appartenaient qu'à lui.

Bill était le pro de l'externe à la NSA.

ANCIEN MEMBRE
COMITÉ DE SURVEILLANCE DU RENSEIGNEMENT

De l'agence, c'était celui
qui s'y connaissait le plus

en ce qu'on appelle aujourd'hui
les métadonnées.

Quand on ne savait pas déchiffrer
un message crypté,

on pouvait toujours se baser
sur des signaux externes.

C'était la spécialité de Bill.

Bill arrivait à repérer
dans les messages codés

des choses dont on ignorait
jusqu'à l'existence.

Il pouvait résoudre tous les problèmes,
relever tous les défis,

grâce à ses connaissances mathématiques
et ses compétences analytiques,

tout en restant toujours
très ouvert d'esprit.

On ne la lui faisait pas,

il savait toujours quand on lui mentait.

ANCIEN INFORMATICIEN SENIOR, NSA

C'était le meilleur analyste de trafic
de l'agence, et de loin.

En 1965, je sortais du lycée.
La guerre du Vietnam battait son plein.

Le service militaire existant encore,

beaucoup de mes camarades
partaient au front.

Comme dans ce pays
on sait généralement se servir d'un fusil,

l'armée nous envoyait
toujours en première ligne,

tirer sur des soldats ennemis
dans la jungle vietnamienne.

Je n'avais aucune envie
de participer à cela.

J'ai arrêté la chasse
pour ne plus tuer d'animaux.

Comment aurais-je pu faire le Vietnam ?

Je pouvais m'enrôler dans les troupes
qui partaient en Europe.

Ils m'ont fait passer des tests
et ont dit :

"Vous avez d'excellentes
facultés d'analyse."

"Vous êtes la recrue idéale
pour nos services de renseignement."

Et ils m'ont envoyé en Turquie.

C'était après la crise
des missiles de Cuba de 1962,

nous n'avions jamais été si proches
d'une guerre nucléaire.

Tout le monde a pris conscience
de la menace.

La Turquie s'intéressait au sud de l'URSS,

où se trouvaient des zones de recherche
en technologie militaire.

Je travaillais sur une large
base de données militaires,

la base de données soviétique,
qu'on n'avait pas encore réussi à décoder.

On se penchait sur leurs communications
en morse, par la radio

ou par satellite.

On en tirait des informations
qu'on appelait le "trafic".

Soit on les enregistrait,
soit on les traduisait

ou on les convertissait
en flux de caractères.

Certaines données étaient
entièrement cryptées.

À défaut de pouvoir les lire,
on en étudiait la durée.

Cela ne représentait qu'un vingtième
de leurs données militaires.

Et à partir de ce petit fragment,

je devais développer des techniques
pour comprendre ce qu'ils préparaient.

Seul à mon bureau,
devant ces données abstraites,

je bataillais
pour découvrir leur signification.

En les étudiant, j'ai compris qu'elles
contenaient des formules mathématiques.

J'ai mis en place un schéma pour
comprendre ces formules et leurs liens.

Cela m'a permis de commencer
à comprendre et interpréter

les communications que l'on interceptait.

Et de les mettre en relation
avec ce qu'il se passait sur le terrain.

Tout s'est mis en place à ce moment-là. On a pu reconstruire tout leur système,

tout leur système
de commandement et de contrôle.

Tout repose sur la nature humaine.

La nature humaine répond toujours
à des schémas précis.

La façon dont les gens agissent,
interagissent, et comment cela se reflète

dans les communications abstraites
qu'on intercepte.

Il s'agit d'identifier ces schémas
et d'en tirer la bonne conclusion.

Se retrouver devant ce genre de défi,

parvenir à dégager un schéma,
à décoder un message...

C'est une expérience réellement grisante.

C'est ce qu'on appelle aujourd'hui
l'analyse de métadonnées.

Personne ne le faisait à part moi.

La NSA a fini par m'offrir un poste
au quartier général.

J'ai reçu une lettre de "Dieu"
en personne en février 1967.

Les métadonnées sont simplement
des "données sur les données".

En tant qu'analyste de trafic,

on ne se préoccupe pas
du contenu de la conversation,

mais de qui sont les interlocuteurs,
de la fréquence de leurs échanges,

de l'heure des échanges,
de la façon dont ils parlent,

qui sont les supérieurs,
qui sont les subordonnés,

quelle est la hiérarchie
au sein de leur organisation.

En mai 1968, j'ai été transféré
au service de surveillance.

Au début de l'été, les troupes russes
ont commencé un exercice

aux frontières de la Tchécoslovaquie.

J'ai étudié les communications
qu'ils émettaient lors de déplacements...

et j'ai pu isoler un nombre infime
d'éléments remarquables

n'entrant pas dans la composition
d'un entraînement ordinaire.

Je les ai donc enregistrés.

J'ai dit : "De toute évidence,
ils préparent une invasion."

Deux jours après,
l'invasion eut bien lieu.

C'était la première fois

que je me trouvais en situation réelle.

C'était bien différent de ma formation.

J'ai compris quels éléments permettaient
de prévoir un événement de ce type.

Ces éléments étaient
au nombre de cinq. Pas plus.

Juste cinq éléments indicateurs.

On avait une centaine d'indicateurs
de ce genre sur une liste

qui ne servait à rien. Les cinq éléments
utiles n'étaient pas sur la liste.

J'avais trouvé ces cinq éléments.

Peu m'importait le reste,
je devais juste détecter ces éléments-là.

Au fil des cas,
après de nombreuses années de travail,

j'ai constaté
qu'à chaque événement important,

on retrouvait au moins
un ou deux de ces éléments.

Durant la guerre du Kippour de 1973, on retrouve aussi ces mêmes indicateurs.

Ainsi qu'en 1979, en Afghanistan.

C'était une semaine avant l'invasion,
un peu avant les vacances de Noël.

J'avais prédit qu'elle aurait lieu
la veille de Noël, vers minuit,

à l'heure où les gens dorment
dans le monde libre.

Et c'est ce qu'il s'est passé,
à une heure près.

Je ne comprenais pas pourquoi
si peu de gens comprenaient cela.

Mes prédictions n'étaient rien de plus

qu'une meilleure compréhension

des individus et de leur comportement.

J'ai travaillé au secrétariat
de lutte contre le terrorisme en 1993.

J'y travaillais lors des premiers
attentats du World Trade Center.

C'est là que j'ai entendu parler
d'Oussama Ben Laden.

Et je me rappelle clairement

avoir publié des rapports...

INGÉNIEUR LOGICIEL
ANCIEN CADRE SUPÉRIEUR, NSA

...sur la gravité de la situation.

"Ce n'est pas un événement isolé."

"Une grosse organisation est derrière
ces actes, ils ont d'autres projets."

Le réseau Al-Qaïda
et son leader Oussama Ben Laden,

ne se contentaient pas de faire
des déclarations, mais appelaient à agir.

Le département des renseignements
du Comité des chefs d'état-major

envoie alors un officier au Centre
National des Renseignements Militaires.

Il dit : "J'ai lu vos rapports.

Qui se soucie d'un enturbanné
qui déblatère ses fatwas

tout seul dans le désert
sous un figuier ?"

"Ce gars n'est pas une menace."

La National Security Agency a toujours été

une des agences de surveillance
américaines les plus productives.

On se reposait beaucoup sur elle depuis
la Seconde Guerre mondiale, au moins.

Quand j'ai été nommée
en charge de la NSA au Congrès,

on m'avait dit
que l'agence se portait bien.

J'ai eu plusieurs
réunions intensives avec eux,

et après trois mois, j'ai réalisé
que l'agence était en piteux état.

Nous n'étions pas prêts à entrer
dans l'ère numérique.

Mais les responsables de la NSA

croyaient encore
être les meilleurs du monde

et être à la pointe de la technologie,
comme le voulait leur réputation.

Ils étaient convaincus
qu'il n'y avait aucun problème.

J'étais convaincue
qu'il y avait des problèmes, sur le plan technique,
mais surtout culturel.

Très vite, j'ai commencé
à m'inquiéter pour eux.

C'était un vrai merdier.

Les procédés qu'ils utilisaient

avant l'élaboration de ThinThread

étaient des brasseurs d'ordures
aux noms improbables.

Ils stockaient tout
dans une immense base de données,

et les analystes étaient perdus,
ils se demandaient :

"Qu'est-ce que je dois garder ?"

ThinThread devait être
notre porte d'entrée dans l'ère numérique.

Il s'agissait de prendre en charge
une grande quantité de données.

Les terroristes utilisent des GSM,
des téléphones fixes,

une connexion Internet pour communiquer.

Une sorte de "nouvelle Guerre Froide"

se jouait avec l'entrée
dans l'ère numérique.

La NSA avait une autre approche :
"Rassemblons toutes les informations

et laissons nos analystes
se débrouiller avec."

Sauf que les analystes
ne pouvaient pas faire cela.

Il y avait trop d'informations, ils
sondaient la base de données chaque jour

et avaient plus de 100 000 résultats.

Ils ne s'en sortaient pas.

Ils croulaient
sous les informations inutiles.

J'ai donc commencé

à chercher une solution
à ce problème d'abondance de données

et une méthode pour détecter
les données essentielles à analyser.

Les métadonnées étaient la clé de tout ça.

Elles permettent d'identifier
des liens au sein d'un réseau.

Pas besoin de connaître le contenu
des communications, juste les liens

entre les interlocuteurs ou organisations
qui communiquent dans le monde.

Cela permet de faire le tri dans toutes
ces données, rapidement et efficacement,

et de dégager des informations
en rapport avec notre cible.

Ma plus grande crainte à la NSA était

qu'il y ait une erreur humaine

dans l'interprétation
ou l'identification des données.

Je sentais que ce procédé devait être
le plus automatisé possible

afin d'éviter que l'information ne passe
par des mains humaines.

Beaucoup de gens
me surnommaient "Le Grand Satan",

"Le Maléfique",
et autres noms du même genre.

De nombreuses personnes refusaient
de me parler ou de me fréquenter

parce qu'elles pensaient
que cela leur coûterait leur poste.

À mon bureau, avec du papier et un crayon,

j'essayais d'établir le schéma
des forces de commandement soviétiques.

De chaque division.

Pour cela, j'avais besoin
de l'aide des cryptologues.

Je suis donc allé voir
les informations qu'ils avaient.

Ils m'ont fourni une réponse minimaliste.

Je leur ai dit :

"Si vous ne voulez pas vous en charger,
je le ferai pour vous."

Je ne pouvais pas attendre.

Un missile balistique intercontinental met 30 minutes
pour se rendre d'un continent à l'autre.

Si l'on veut riposter
avant que le missile n'atterrisse,

il faut se décider en moins de 30 minutes.

Des civilisations entières peuvent
désormais s'annihiler en une heure.

Grâce à l'arme nucléaire.

Longtemps pendant ma carrière
à la NSA, j'ai essayé,

pendant près de 13 ans,
de travailler avec les informaticiens.

Je voulais qu'ils créent des programmes
pour m'assister dans ma tâche.

À chaque fois
que je leur demandais quelque chose,

ils disaient : "Envoyez-nous
un mémo avec votre requête."

J'en envoyais sans arrêt.

Cela créait de la demande.

Et donc, leur donnait le droit
de demander de l'argent

au Congrès
ou à leurs supérieurs, en interne.

Cela les aidait à bâtir leur empire.

Ils n'ont jamais réglé mon problème,
ils demandaient juste de l'argent

et quelles étaient mes requêtes.

Un jour en 1983, ce PC est
miraculeusement apparu sur mon bureau.

J'avais un ami, probablement
le meilleur programmeur de la NSA.

Il s'appelait Bill aussi.
Je lui ai demandé :

"Si jamais j'arrivais
à établir un algorithme,

est-ce qu'on pourrait le programmer
dans ce PC à 64 ko de mémoire ?"

Il a dit que c'était possible.
J'ai dit : "Génial."

Et dès qu'on recherchait la solution
à un problème dans la base de données,

la réponse apparaissait.

Là où des ordinateurs d'environ 35 000 m²
n'arrivaient pas à identifier une donnée,

je l'analysais
dans mon petit PC à faible mémoire

et trouvais la réponse.

J'ai prévenu l'équipe informatique.

Je leur ai dit de venir
jeter un coup d'œil à mon programme.

J'ai imprimé le contenu de la base
de données et choisi un cas irrésolu.

Je l'ai entré dans le PC,
j'ai eu la réponse.

J'en ai choisi un autre,
et j'ai eu la réponse.

Je les voyais suer à grosses gouttes.

Ils voulaient intégrer
ce système d'ordinateur central.

Je leur ai dit : "Bien sûr,
envoyez-moi un mémo avec votre requête."

J'étais content de moi.

Ça m'a appris qu'on n'était jamais
mieux servi que par soi-même.

Ne jamais demander la permission,
demander pardon si besoin.

Parfois, on n'en a pas besoin. Le problème
est résolu ? Alors, pas de problème.

Ma philosophie était simple :

"Si quelqu'un affirme que quelque chose
est impossible, il faut le faire."

Il ne faut pas mettre
de barrières à sa réflexion,

il faut laisser vagabonder sa pensée.

C'est comme cela qu'on peut être créatif
quel que soit l'environnement.

Je tâchais donc d'être créatif
quel que soit mon travail.

C'était le rôle du SARC,
le "SigInt Automation Research Center".

Le SARC était une organisation autonome
comptant une douzaine de membres.

Bill Binney était l'un des cofondateurs,

Ed Loomis, l'intégrateur.

Kirk Wiebe était
leur directeur administratif.

Plus quelques associés
et quelques donneurs d'ordres.

Le SARC était fier
d'être une petite équipe.

Ils se voulaient
très créatifs et accessibles.

Ils étaient contre la bureaucratie.

C'était si confidentiel
que quand j'ai voulu en savoir plus,

les responsables ne les connaissaient pas.

Ils ont eu du mal à trouver
qui ils étaient.

Ils se cachaient,
le temps de mettre au point leur système.

C'était une organisation extraordinaire.

Et Bill était le maître de l'algorithme,

le crypto-mathématicien
à l'origine des algorithmes

qui allaient constituer ThinThread.

On me disait : "Méfie-toi de Bill !"

"Méfie-toi de Bill, car c'est
un crypto-mathématicien de génie."

"Au moindre problème,
il te mettra en pièces."

Je lui ai dit que je voulais le rencontrer
et suis allé à son bureau.

J'ai tout de suite compris
qu'on allait très bien s'entendre.

La moitié de notre conversation
portait sur les mathématiques.

Ce que Bill aime le plus au monde,
ce sont les maths.

Dès que quelqu'un parle de mathématiques,

ses yeux s'illuminent, il rayonne

et il est intarissable sur le sujet.
Il adore les maths.

C'est formidable
qu'il ait pu en faire son métier.

C'était son destin.

La beauté des maths,
c'est qu'elles permettent de donner

une structure, un sens
et une cohérence à notre Univers.

Car il en a.

Le chaos n'existe pas.

Rien n'est infini.

Tout est structuré.

Il s'agit juste
de trouver cette structure.

Je me représentais mon schéma

comme un large globe, disons la Terre...

contenant sept milliards
de nœuds, ou de points

représentant chacun un individu,

et présentant les connections
reliant chacun de ces individus

aux autres individus de la planète.

Imaginez-vous pénétrer dans ce globe...

et une fois dedans, pouvoir atteindre
n'importe quel point du globe.

Et voir quelles relations relient ce point
à tous les autres points du globe.

À l'intérieur du globe,

vous pouvez choisir un point
et le sortir du schéma :

tous les points en relation
avec celui-ci viendront avec.

En isolant ce point
et sa communauté, son "réseau social",

on isole aussi toutes les données
aux origines de ces interactions.

On peut donc situer
ces interactions dans le temps

et se pencher sur la période de son choix.

C'était comme cela
que je voyais le schéma.

Je voulais faire plaisir à Bill Binney.

Bill Binney est analyste de trafic.

Ma tâche consistait donc
à créer des métadonnées

pour qu'il ait du trafic à analyser.

On peut obtenir énormément
de renseignements sur une personne

rien qu'avec les métadonnées.

De nos jours,
quand on voit toutes les métadonnées

qui circulent à travers le monde,

sur les GPS, les GSM...

dans les ondes radio pour les télépéages,

quand on insère sa carte de crédit
dans un distributeur

ou dans une caisse automatique
au supermarché...

Toutes ces données sont collectées

et permettent de remonter
jusqu'à leur émetteur, jusqu'à vous.

Peu importe
ce que vous racontez dans votre mail,

quel site vous avez visité
ou ce que vous avez téléchargé.

Ce qui importe, c'est de pouvoir
retracer votre parcours en ligne.

Et relier ce parcours à vos
empreintes digitales, voire votre casier.

J'ai commencé à élaborer une partie
de ce qui deviendrait ThinThread,

la partie secondaire,
dédiée à l'analyse de données.

Ed se chargait du "sectionneur",

la partie qui rassemblait
les données à analyser.

Ce fut notre porte d'entrée sur
la recherche d'informations sur Internet.

J'étais convaincu qu'Internet était
le nouveau moyen de communication

des terroristes et des criminels,

et nous savions déjà
que certains d'entre eux l'utilisaient.

Internet a décollé.

La NSA tâchait de rattraper son retard.
Ils étaient vraiment à la traîne.

La direction de la NSA
s'est sérieusement demandé

si cela valait le coût
d'avoir des adresses mail.

Sous prétexte qu'on ne savait pas
ce que les agents allaient envoyer. Et ils pensaient qu'il n'y avait
rien de secret sur Internet.

C'est ouvert.
Pas de secrets, pas d'effort à faire !

On veut de vrais secrets.

Pas des secrets sur Internet.

En 1996, il me semble,

nous avons découvert le numéro
de téléphone d'Oussama Ben Laden.

Nous avons ainsi pu suivre ses
déplacements et activités de 1996 à 1998.

Jusqu'à ce que quelqu'un révèle
que nous avions ce numéro

et le rende public, nous faisant perdre
cette source de renseignements.

Plus de 80 morts, plus de 1 700 blessés
aujourd'hui dans deux attentats

perpétrés à seulement
quelques minutes et 700 km d'écart.

Ces attentats visant
les ambassades américaines

de Tanzanie et du Kenya

font clairement partie
d'une guerre contre les États-Unis,

même s'il est encore difficile
de déterminer qui est notre ennemi.

Il y avait beaucoup de fumée.
On est sortis immédiatement,

sans savoir ce qu'il se passait.
Des personnes gisaient au sol,

et tous les gens qu'on croisait
étaient en sang.

Nous sommes en duplex avec le conseiller
à la sécurité nationale, Sandy Berger.

Est-ce un échec
de nos services de renseignements ?

L'enquête est en cours,
mais je ne pense pas.

Je pense que ce n'est pas à moi d'évaluer

ce que l'on sait et ne sait pas.

En août 1998,

nous avons pu faire fonctionner
notre appareil par fibres optiques.

Ed en a envoyé une copie
à un de nos camarades de Bad Aibling,

une base d'interception de communications
au sud de l'Allemagne.

On voulait juste qu'ils le testent
et nous donnent leurs impressions.

Il nous a dit :
"Votre système marche extrêmement bien,

je vais l'appliquer à toute la base."

Le vendredi suivant, il l'a fait.

Et après cela,

ils ont récolté tellement d'informations

qu'ils ont envoyées à la NSA,

que le lendemain, leur base de données
était sur le point d'exploser.

Ils ne pouvaient pas gérer
autant d'informations.

On nous a dit que la base de données
avait atteint ses limites.

Et qu'il fallait arrêter le programme.

Un programmeur a dû interrompre
son week-end

pour venir éteindre notre appareil.

Cet essai a démontré
qu'il y avait bien plus de données utiles

en tant que source d'informations
que la NSA ne le pensait.

C'est cette sonnette d'alarme
qui leur a fait comprendre

qu'ils devaient voir plus grand
que leur mode opératoire habituel.

Je savais qui était Bill Binney,
mais je ne l'avais jamais rencontré.

Je l'ai appelé. J'ai dit : "Bill,

puis-je venir voir comment vous travaillez
avec votre organisation ?"

Il a dit : "Bien sûr, venez."

J'ai donc rejoint Bill Binney

au "SigInt Automation Research Center".

En observant ces gars travailler,

en leur parlant,
en découvrant leurs différents rôles,

et en voyant le résultat
de leurs recherches,

j'étais littéralement surexcité.

Face aux défis lancés
par le stockage des données,

et les communications en ligne,

la solution était sous mes yeux.

Ce petit groupe de recherche

était l'avenir de la NSA.

Je me suis immédiatement demandé :

"Est-ce que quelqu'un en a conscience ?"

"Y a-t-il quelqu'un

d'influent au sein de l'organisation

qui a conscience de leur potentiel ?"

J'ai suivi l'évolution
du projet ThinThread depuis 1997.

J'ai pu m'entretenir
avec Bill, Ed et leur équipe.

J'ai trouvé cela assez impressionnant
comparé à d'autres projets de la NSA.

Cela me paraissait très prometteur.

J'ai commencé à les financer

et j'ai pu convaincre le Congrès

de leur accorder des fonds
pour développer leurs systèmes.

Car l'agence reconnaissait

devoir passer de l'ère analogique
à l'ère numérique.

La transition n'avait pas commencé

et rien qu'avec un système analogique,

le flux de données était déjà énorme.

Avec les données numériques
et l'abondance des informations,

cela allait encore être pire.

Il fallait absolument trouver un moyen

de cibler les informations
que l'on cherchait,

un moyen plus efficace que le système
de mots-clés que la NSA utilisait alors.

Peu après le premier test,
nous avons lancé le programme

et avons récolté
de plus en plus de données

provenant de nombreux téléphones
et de nombreux ordinateurs.

Nous avons commencé à intégrer
ces données à mon schéma.

On l'appelait "le méga schéma".

On rassemblait
une telle quantité de données

et le système marchait si bien,
qu'il paraissait sans limite.

On retraçait les liens
entre des milliards d'individus.

On parle de plusieurs
milliards d'échanges.

Nous étions clairement en train de créer

le programme d'analyse le plus puissant
jamais développé

pour surveiller le monde entier

quasiment en temps réel.

Cela revient à surveiller
chaque membre de la population.

À envahir l'intimité de chacun.

C'est incompatible avec la démocratie,
tout simplement.

C'était comme la Stasi sous stéroïdes,
ou le KGB sous stéroïdes.

Ils auraient rêvé d'une telle technologie.

C'est là que j'ai compris qu'il fallait
protéger la vie privée des individus,

en particulier de ceux
qui n'avaient rien à se reprocher.

Il n'y avait aucune raison
de s'approprier leurs données.

Le général Hayden
a pris la direction de la NSA.

À l'époque, le comité
responsable des renseignements

ne se faisait plus d'illusions
sur la capacité de la NSA à se moderniser.

Hayden était en un sens plus ouvert
à la modernité, au changement,

mais pas forcément dans les domaines

où le Congrès l'aurait souhaité.

Il parlait vraiment très vite.

Quand il s'adressait aux agents,
il parlait très vite, il utilisait

toutes sortes de comparaisons
et d'analogies, des choses

qui laissaient perplexe,
et sans s'interrompre.

C'était toujours comme ça avec lui.

Je pense que,
au vu de la difficulté du sujet,

les agents ne comprenaient rien.

Quand Michael Hayden
a pris la direction de la NSA,

une de ses premières déclarations a été
que la NSA devenait aveugle et sourde,

il a donc créé le NTO,
le "NSA Transformation Office".

Un de mes amis a été nommé à sa tête.

Il a compris ce qu'était ThinThread
et a trouvé ça génial.

Il nous a envoyé son adjoint,
qui nous a demandé :

"Qu'est-ce que vous pouvez faire
avec 1,2 milliard de dollars ?"

Recevoir une telle offre tout d'un coup,
c'était inespéré, difficile à gérer.

Notre budget s'élevait alors
à quelques millions de dollars.

On lui a demandé un peu de temps pour
réfléchir à ce qu'on pourrait en faire.

Quand il est revenu, on lui a dit

qu'on pouvait mettre à jour
le monde entier.

Implanter notre système dans le monde
et aux États-Unis.

Mais que pour cela, il nous faudrait

peut-être un peu plus
de 300 millions de dollars.

Il a dit : "Génial !"

Quelques jours après, il nous a dit :

"Vous avez fait du bon boulot
avec 1,2 milliard,

que pouvez-vous faire avec 1,4 milliard ?"

Peu de temps après,

mon ami au NTO a été remplacé,
pour ne pas dire viré,

et Hayden a proposé
un programme appelé Trailblazer.

Un programme
de plusieurs milliards de dollars

qui allait être développé en externe
par des sociétés privées.

Quand la NSA a commencé
à développer Trailblazer,

je leur ai demandé de m'envoyer
les plans pour que je les lise.

Après les avoir lus, je les ai appelés

et j'ai demandé à parler
aux responsables du projet.

Je leur ai dit :

"Je veux m'assurer d'avoir bien compris."

"Si j'ai bien compris, pour entrer
dans l'ère numérique, vous comptez

partir de votre système analogique

et le transformer en un système numérique

en mettant à jour chaque partie du système
et en en créant de nouvelles."

Ils ont dit : "Tout à fait."

Je leur ai dit
que ça ne marcherait jamais.

Que leur projet était voué à l'échec.

Pourquoi prendre une technologie obsolète

et tenter de la transformer
en technologie numérique ?

Cela n'a pas de sens. Il faut,
dès le départ, penser en numérique.

Une des raisons pour laquelle
je soutenais ThinThread était

que ce programme était bien plus innovant

avec un design plus épuré et élégant

que ce qu'ils envisageaient

et donc sans doute moins problématique.

Après le test avec le "méga schéma",

il nous a semblé primordial
de protéger la vie privée des individus.

Nous avons donc mis en place
plusieurs protections.

Nous avons pu crypter leurs identifiants
afin qu'ils soient anonymes

et qu'on ne puisse ni analyser
leurs actions, ni les identifier.

S'ils n'entraient pas dans la zone
suspecte définie par le schéma,

leurs données n'étaient pas
prises en compte,

et personne ne pouvait
empiéter sur leur vie privée.

Ce sont aussi des métadonnées.

Le filtre que nous utilisions

protégeait tous les citoyens américains

ou groupes présents
sur le territoire américain,

à moins qu'ils ne soient
dans notre ligne de mire.

Et même dans ce cas, il fallait
un mandat pour révéler leur identité.

En 2000, tout était au point.

Le programme fonctionnait,
les informations circulaient...

24h sur 24, sur trois sites différents,

tous concentrés sur l'Asie.

Les seuls sites qui acceptaient

de collaborer avec nous

était ce qu'on appelait
des sites de recherche.

Je ne dirais pas que c'était
une version d'essai mais...

C'était de vrais sites en tout cas.

Et ils nous ont fourni des renseignements
pendant très longtemps.

On a organisé une réunion avec la NSA.

Les membres du SARC étaient là,

et à ma grande surprise,
l'équipe Trailblazer aussi,

bien qu'on ne les ait pas invités.

Bill et Ed ont présenté le programme.
Ce qui était incroyable,

c'est que ce programme
gérait la collecte de données

ainsi que les rapports d'analyse

et fournissait des rapports automatiques.

J'ai dit à l'équipe Trailblazer :

"Allez-vous incorporer cela à Trailblazer,
c'est utile, non ?"

Ils ne se sont pas exprimés,
ils sont restés de marbre.

Le SARC devait regretter cette réunion

après que des membres
du Congrès sont partis.

Le général Hayden a convoqué
le SARC au complet,

les a alignés dans son bureau,
les a humiliés,

les a réprimandés
sans les laisser se défendre.

Il a publié un communiqué

pour avertir toute la NSA

qu'une fois qu'une décision
avait été prise,

le Congrès n'avait pas à intervenir.

En d'autres termes, il fallait taire
toute information indésirable.

Pour moi, c'était un appel
à garder le Congrès

en dehors de leurs affaires.
J'ai trouvé ça gonflé.

Le général Hayden nous a dit

que ThinThread n'était pas utile
au projet Trailblazer

et que Trailblazer était
le seul programme qu'on développerait.

Selon moi, ThinThread, une fois au point,

aurait résolu les problèmes
de volume, vitesse et diversité.

Nous avions trouvé des solutions

à tous les problèmes
qu'ils avaient relevés.

Mais ils ont rejeté notre programme,
même en tant que "roue de secours".

Cela m'a rappelé mes expériences
similaires avec des généraux en 1968,

au Vietnam,
où nous avions prédit l'offensive du Têt

deux mois à l'avance.

On m'avait montré des rapports d'activités
des troupes vietnamiennes.

Ils préparaient une offensive majeure

pour envahir le Vietnam du Nord
depuis le delta du Mékong.

Les grands chefs militaires
ainsi que le Pentagone étaient au courant.

Mais aucun dirigeant ne s'en est soucié.

Le général Westmoreland répétait
au peuple américain que nous gagnions.

Nous étudions la situation avec attention,

je suis convaincu que toute
offensive potentielle sera avortée.

Je voyais dans cette attitude
l'incarnation de l'arrogance du pouvoir.

Ils pensaient qu'avoir tout ce pouvoir
les rendait invincibles.

J'avais des amis mobilisés au Vietnam.

L'un d'eux était colonel, et son bataillon

se trouvait sur la route
entre Saïgon et le Cambodge,

une des zones ciblées.

Il avait, lui aussi, lu les rapports

et a posté la moitié de ses hommes
dans les tranchées

en permanence, 24h/24,

jusqu'à l'offensive.

Il était prêt.

Il n'a perdu qu'un homme le premier jour
et a stoppé l'ennemi.

Le problème, c'était que les autres
bataillons dans la zone

étaient tombés
et avaient perdu leur position.

Ils n'étaient pas prêts,
faute d'informations.

Le colonel a donc dû se retirer.

Si tous avaient été prêts,
l'offensive aurait été un échec.

Mais ils ne nous ont pas écoutés.

C'était une manœuvre fourbe et déloyale

de la part de l'ennemi.

On s'est dit qu'ils étaient idiots.

Je pensais que tous les généraux du pays
auraient dû être virés après cela.

Tous, sans exception.

Ils auraient dû être radiés de l'armée.
On a vu des cas de négligence similaires

durant la Seconde Guerre mondiale.

Je ne comprends pas pourquoi
ces généraux-là ont été épargnés.

Il me semble que nous avons perdu 2 000
soldats américains dans cette offensive.

Sans compter les blessés.

On traitait les soldats
comme des morceaux de chair.

Comme de la chair à canon.

Nous entamerons cette édition spéciale
avec le récent attentat

contre le destroyer USS Cole.

La Marine a retrouvé
les corps de sept marins

et en recherche dix autres
à l'intérieur du vaisseau.

On dénombre en outre 35 blessés.

Sous une pluie de circonstance,

les corps des premières victimes sont
arrivés en Allemagne dans l'après-midi.

On estime que l'explosion
qui les a emportés était due

à des centaines de kilos d'explosifs,
une nouvelle manœuvre des terroristes.

Il ne reste plus rien
de la petite embarcation,

qui selon la marine
transportait les explosifs.

Malgré l'instabilité de ce secteur,

le port stratégique d'Aden servait de
point de ravitaillement depuis deux ans,

et l'USS Cole était
en état d'alerte maximale,

mais n'a apparemment rien pu faire
contre quelques kamikazes dans un canot.

NOVEMBRE 2000

Nous avons décidé de continuer
à développer ThinThread

pour être sûrs d'avoir
un programme fonctionnel

d'ici fin 2000 et pouvoir combattre
la menace terroriste dans le monde réel,

pas le monde fantasmé
de Trailblazer, par exemple.

J'ai été demandé au centre d'analyse
du terrorisme quels étaient les sites

qui fourniraient des infos utiles
sur les cibles d'attentats dans le monde.

Ils m'ont donné une liste de 18 sites
permettant d'identifier ces cibles.

Et donc, en novembre 2000,
j'ai suggéré que l'on applique

le programme ThinThread à ces sites
dès janvier 2001.

Mais cette proposition fut rejetée.

Je ne sais pas qui l'a rejetée,
probablement le chef du SID,

Maureen Baginski.

Elle était le numéro 3 de l'agence.

Il y avait le directeur,
le directeur adjoint, puis elle.

Le général Hayden a nommé Bill Black

directeur adjoint de la NSA.

Bill Black venait
d'une société militaire privée, la SAIC,

dont il avait été le vice-président.

Au printemps suivant, Hayden embauchait
un autre ancien vice-président

de la SAIC,

en la personne de Sam Visner.

Et quelle société détenait le brevet
du projet Trailblazer ?

La SAIC.

Le problème là-dedans ?

La SAIC était une société privée

presque entièrement composée
d'anciens de la NSA.

Les retraités de la NSA rejoignaient
des sociétés comme la SAIC,

puis utilisaient leurs contacts à la NSA

pour obtenir des contrats pour la SAIC.

Quand Sam Visner est arrivé
pour prendre la tête du NTO,

la première chose qu'il a faite
a été de me convoquer.

Je suis venu le voir dans son bureau,

et j'ai vu qu'un haut responsable
du programme Trailblazer était là.

La première chose que m'a dit Sam était :

"Je ne veux plus que vous présentiez
ThinThread à qui que ce soit."

S'il m'a dit ça, c'est que j'avais

déjà pris rendez-vous avec Charlie Allen
pour parler du programme.

C'était un agent haut placé de la CIA,

quelqu'un de très influent.

J'ai demandé à Sam
s'il voulait que j'annule ce rendez-vous.

"Non, non, vas-y, fais ta présentation."

J'ai dit : "D'accord."

Quand Charlie Allen est venu,
il s'est assis et a dit,

avant même qu'on lui ait montré
quoi que ce soit :

"Il paraît que vous développez
une version bon marché de Trailblazer."

J'ai invité Maureen Baginski à nous
rejoindre car elle connaissait Charlie.

Ils étaient amis depuis des années.

Elle était là,
et elle lui a dit : "Oui, Charlie,

mais on a quand même besoin d'argent."

C'était la fin de notre présentation.

Le 20 août 2001,

Maureen Baginski m'a appelé
et a demandé à me voir ainsi que Bill

à 4h30 de l'après-midi.

Elle voulait nous voir dans son bureau.

J'y suis allé avec Bill,

et c'est là qu'elle nous a annoncé

qu'elle allait mettre fin à ThinThread.

Elle a dit avoir pris cette décision,

car elle devait choisir entre
décevoir 6 personnes ou en décevoir 500.

Elle avait décidé
de décevoir six personnes.

Sa décision reposait en quelque sorte
sur une "politique de la déception".

TROIS SEMAINES PLUS TARD

Newark nous ouvre les voies aériennes,
je ne sais pas pourquoi.

Seuls les hélicoptères
de reportage sont autorisés,

on doit être cinq, tout au plus.

Mon Dieu, qu'est-ce qu'il se passe ?

Il y a eu une explosion
de l'autre côté de la tour.

Regardez ça !

Mon Dieu !

Toute la tour s'est effondrée,
le bâtiment en entier.

Daniella, vous avez entendu ?
Le bâtiment entier s'est effondré.

L'autre tour s'est effondrée !

Oh mon Dieu, tous ces pauvres gens !

Le 11 septembre, j'accompagnais
mon beau-père chez l'ophtalmologiste,

et je regardais la télévision dans la
salle d'attente pendant sa consultation.

C'est là que j'ai vu le premier avion
heurter l'une des tours à New York.

Et j'en ai immédiatement conclu

que notre agence avait échoué
à anticiper cet attentat.

Après sa consultation,
j'ai ramené mon beau-père chez lui

et j'ai voulu me rendre à la NSA
pour voir si je pouvais

les aider à découvrir
qui était à l'origine de l'attentat.

Mais ils n'ont pas voulu
me laisser entrer,

car Hayden avait renvoyé chez eux
les agents inutiles pour cette mission.

Les gardes empêchaient
tout le monde d'entrer, y compris nous.

Le lendemain, je suis revenu
déguisé en balayeur,

et on m'a laissé entrer.
Sans cela, je serais resté dehors,

car les ordres du général Hayden
étaient les mêmes.

Quand je suis entré, j'ai été voir le SARC

et alors que j'étais là,

examinant des données sur mon ordinateur,

le président de la société
avec qui j'avais collaboré pour ThinThread

est venu me dire qu'il sortait
d'une réunion avec Sam Visner.

Durant cette réunion,
Sam Visner lui avait dit :

"Ne contrarie pas les grosses sociétés."

"Joue ton rôle et tu auras ta part.
Il y en a assez pour tout le monde."

Il m'a aussi rapporté que Sam avait dit :

"On en a pour 15 ans
à traire cette vache à lait."

On a fait le tour de toute l'agence.

J'accompagnais Maureen Baginski.

Les membres de l'agence
l'ont vraiment très mal vécu.

Ils lui demandaient :
"Qu'allez-vous faire ?"

Je l'entends encore dire :

"Le 11-Septembre est
un vrai cadeau pour nous."

"On va recevoir tous les fonds
dont on a besoin", ce sont ses mots.

"Le 11-Septembre est un cadeau."

Elle ne voyait que les dollars
qu'allait nous donner le Congrès

et qu'on dépenserait librement.

Notre rôle n'a jamais été
de faire du profit,

mais de protéger notre pays,
et le monde libre.

Notre but n'était pas
de bâtir un grand empire,

ni de gagner beaucoup d'argent.

C'était révoltant.

Vers fin septembre ou début octobre,

l'équipe du SARC a vu
beaucoup de matériel arriver,

s'entasser dans les couloirs des locaux
et dans les locaux,

jusque dans les allées entre nos bureaux.

En voyant cela, on a compris
que quelque chose se tramait.

Plus tard, début octobre, le matériel
s'est volatilisé petit à petit.

Ils installaient le matériel informatique
dans un local

un peu plus loin du nôtre.

Et vers mi-octobre,
la deuxième semaine d'octobre,

certaines personnes qui étaient...

qui travaillaient sous contrat
avec nous, sur les logiciels,

sont venues me dire :

"Vous savez ce qu'ils font là-bas ?"

"Ils récoltent des données
sur tous les citoyens américains."

Pour espionner les citoyens américains,
ils avaient besoin

du seul programme capable
d'opérer à grande échelle,

c'est-à-dire la partie de ThinThread
que j'avais conçue,

celle qui gérait les informations
et les intégrait dans un schéma.

L'une des premières choses
qu'ils ont faites

pour rendre le programme plus efficace,
selon leurs dires,

a été de supprimer tous les algorithmes
de cryptage que nous avions inclus

pour protéger la vie privée
et l'anonymat des citoyens américains

ou de tout citoyen
présent dans la base de données.

Après avoir découvert qu'on espionnait
des citoyens ordinaires

et établissait un schéma
des interactions entre chaque citoyen

utilisant un téléphone
ou tout appareil électronique,

j'ai compris que je devais partir.

Je devais quitter l'agence au plus vite.

Bill, Ed et Kirk étaient tellement écœurés

par toute la résistance
qu'on leur opposait

et par les attaques personnelles
envers eux, je pense,

qu'ils ont décidé d'accepter

de partir en retraite
à la fin du mois d'octobre.

Ils m'ont dit qu'ils comptaient accepter.

Notre chant du cygne à la NSA
fut le 31 octobre 2001.

Halloween, comme par hasard.

Après le 11-Septembre et notre départ,

Tom a hérité du projet ThinThread.

Il s'est dit :
"Faisons tourner ce programme

et laissons-le analyser
la base de données de la NSA."

"Voyons si l'on trouve
des informations sur les attentats

qui auraient dû être
en notre connaissance."

On a laissé le programme tourner
entre 24 et 36 heures.

Je me rappelle mon directeur de programme
revenant avec les résultats :

ils étaient accablants.

Nous avons découvert des informations

sur Al-Quaïda et des mouvements associés
dont la NSA ne savait même pas

qu'elles se trouvaient
dans leur base de données.

Mais aussi des détails spécifiques.

Des chiffres, des déplacements,

des dates, des lieux,

des trajets.

On voyait bien la dissémination
qui avait eu lieu après les attentats.

On voyait aussi qu'une certaine partie
de leur plan avait échoué.

D'autres avions avaient été pris
pour cible, mais pour plusieurs raisons,

ces avions-là n'ont pas été détournés.

Imaginez notre horreur
en prenant conscience

de ce qu'on n'avait pas su voir,
de ce qu'on avait en notre possession,

dans notre base de données.

Et si on l'avait découvert
avant le 11-Septembre ?

Les informations étaient
dans notre base de données.

La réponse de la NSA ?
Mettre fin au programme.

Le 11-Septembre aurait pu être évité.

Nous pouvions arrêter ces gens

qui communiquaient depuis San Diego

avec des terroristes à l'étranger.
Nous avions tout pour les arrêter.

Après qu'Ed, Kirk et moi avons quitté
la NSA, nous avons fondé

un petit cabinet de consultants :
Entity Mapping LLC.

Nous voulions tenter d'exporter

les concepts de ThinThread

à d'autres agences gouvernementales,

l'introduire au gouvernement
par d'autres moyens.

Un sénateur membre
du comité de renseignement

nous a dirigés
vers le National Reconnaissance Office.

Ils gèrent les satellites
et les missions de reconnaissance.

On a développé un programme pour eux,

mais quand la NSA l'a appris,
ils y ont mis un terme.

On a été au Service
des douanes et des frontières.

La NSA nous a fait virer.

Bill et Kirk étaient furieux,
chaque fois que l'on décrochait un contrat

avec un client prometteur,

il se retirait à la dernière minute.

Cela nous est arrivé avec INSCOM,
avec le Pentagone,

avec le NRO, la CIA...

On était toujours freinés
à l'étape du contrat,

malgré nos compétences.

Y compris une fois

où l'on nous avait fourni
un certain nombre

de données à analyser

alors que la NSA les avait déjà analysées.

On y a trouvé de précieuses informations

que la NSA n'avait pas trouvées.

Nous avons publié un rapport
qu'on leur a envoyé.

Un cadre supérieur de l'agence a dit :

"Mon Dieu, ces gens vont
ridiculiser Michael Hayden

et tout le monde à l'agence.
Il faut mettre fin à leur programme."

Et ils y ont mis fin, on nous a dit :
"Arrêtez tout, ne faites plus rien."

Ils ont démonté les ordinateurs
avec lesquels on travaillait

et les données que nous avions découvertes

et toutes les informations qu'on avait

ont été effacées.

La NSA ne voulait pas que le gouvernement
ait accès au programme ThinThread

pour qu'aucune autre agence
gouvernementale ne puisse en profiter.

Ils voulaient que les États-Unis
et le monde libre soient à leur merci.

Et ils ont réussi.

Nous avons donc écrit à l'inspecteur
général de la défense en septembre 2002

pour accuser la NSA de corruption,
fraude, gaspillage et abus.

Kirk a rédigé une charge violente
contre la fraude à la NSA,

et on s'est dit : "Partons là-dessus."

Diane s'était jointe à nous,
parmi les signataires.

Il y avait donc Kirk, Bill, Diane et moi,

et Kirk l'avait aussi montré à Tom Drake,

même si je ne m'en étais alors
pas rendu compte.

Tom, qui travaillait encore pour la NSA,

a dit qu'il serait notre allié
au sein de l'agence.

J'avais accès à des informations capitales

que manifestement la NSA nous cachait.

À cause de toutes les enquêtes
qui avaient lieu,

la NSA s'est dit :
"Trouvons les squelettes dans le placard

et enterrons-les
le plus profondément possible."

C'est effectivement ce que faisait
Bill Black, le directeur adjoint.

Les ordres étaient :
"Personne ne doit voir ces données."

Il ne fallait surtout pas qu'on sache

que ThinThread avait découvert
ce qui leur avait échappé.

Que ThinThread avait révélé

que leur système était un échec.

J'ai été contacté officiellement et j'ai pu obtenir
un rendez-vous avec les enquêteurs.

Le bureau d'inspection générale
a mis 12 enquêteurs sur l'affaire

qui a duré près de deux ans et demi.

Ils ont enfin publié leur rapport
en janvier 2005, je crois,

et le contenu avait alors été
à 98 % censuré,

car condamnant trop fermement la NSA.

Beaucoup de changements portaient
sur les paragraphes "non classifiés".

De toute évidence, il y avait une volonté

de noircir le tableau.

Des représentants de la Justice
avaient choisi de couvrir leurs exactions.

En 2005, Trailblazer se révéla

être un ignoble fiasco,

ayant englouti des milliards de dollars.

Des gens sont devenus millionnaires
grâce à ce projet.

Mais très peu de renseignements
furent trouvés.

C'est le plus gros échec
dans l'histoire de la NSA.

Les gens ne s'en rendent pas compte.

Et pourtant, le général Hayden,

à l'origine du plus gros fiasco
de toute l'histoire de la NSA,

a reçu encore plus de pouvoir
en étant promu

directeur adjoint
du Renseignement National,

puis promu à nouveau

au poste de directeur de la CIA.

Quand l'humanité
choisit de récompenser l'échec,

quelque chose ne va pas.

Le 26 juillet 2007, le FBI
fit une descente chez quatre personnes :

Kirk Wiebe, Ed Loomis, Diane Roark et moi.

Ils ont falsifié des preuves
pour obtenir un mandat de perquisition

et venir saisir notre matériel chez nous.

Ils recherchaient plus précisément
ce qui avait un lien avec ThinThread.

Mon fils leur a ouvert, ils l'ont poussé
et sont entrés avec leurs armes.

Ils sont venus dans ma chambre,
ont menacé ma femme,

et alors que j'étais sous la douche,
ont pointé leurs armes vers moi.

Je ne les ai pas entendus tout de suite.

Quand je les ai entendus, j'ai cru
qu'ils cherchaient à enfoncer la porte.

Ils la tambourinaient,
la secouaient frénétiquement.

Quand le FBI a débarqué,

ça m'a choqué au plus profond de mon âme.

Je n'arrivais pas à y croire.

J'ai d'abord appelé mon avocate

qui m'a dit de demander
s'ils avaient une attestation pour entrer.

Ils m'ont dit que c'était confidentiel.

Quand j'ai raccroché, j'ai vu
qu'ils étaient allés dans mon bureau

et qu'ils avaient récupéré tous les
documents importants concernant la NSA.

J'ai alors compris que ce n'était pas la
première fois qu'ils entraient chez moi.

Quand ils ont saisi tout ce matériel,

mes ordinateurs,
mes données, mes journaux,

des notes que j'avais partagées
avec quelques amis...

Je n'arrivais pas à croire
que j'étais perçu

comme un ennemi, par mon propre pays.

Je n'arrête pas de penser :
si cela peut nous arriver,

à nous qui sommes très cultivés,

qui savons comment marche le gouvernement,

qui savons vers qui nous tourner,

qu'est-ce qui arrive aux gens ordinaires ?

Qu'est-ce qui arrive aux adolescents ?

Quand j'ai vu
ce qu'avait déclenché le 11-Septembre

et quand j'ai entendu
le vice-président Cheney déclarer :

"Il faut qu'on passe du côté obscur."

J'y ai vu l'effondrement total
de notre société,

et la perte totale de toutes nos valeurs
morales au profit du "côté obscur".

C'était déprimant. Et ça l'est toujours.

L'enquête contre Bill, Kirk, Ed et Diane
fut abandonnée.

Pour cause de falsification de preuves.

Depuis 2001, la NSA a développé
son programme de surveillance massive.

Des programmes similaires
ont été adoptés à travers le monde.

Aucun attentat n'a été déjoué.

Michael Hayden, Maureen Baginski,
Sam Visner et Charlie Allen

n'ont pas répondu
à nos demandes d'entretien. Le rapport de la commission d'enquête
concernant ThinThread

reste à ce jour classé confidentiel.