All language subtitles for Le clair de terre - Guy Gilles (1970).french

Voici le soir, au ciel se fanent

Des millier de fleurs et le vent

Le vent joue ainsi qu’un tzigane

Ses vieux refrains ensorcelants

Ouvre tes bras que s’y blottisse

Mon besoin d’être caressée

Ouvre tes bras que s’accomplisse

Le miracle...

Le quartier du Marais que j’ai aujourd’hui
l’honneur de vous faire visiter

a été victime de quelques-unes
des tendances les plus profondes

et les plus fâcheuses
du caractère humain :

l’inconstance,
la frivolité, l’injustice...

le goût de la mode,
la faculté de se lasser,

qui nous fait aujourd’hui
adorer un visage, un mets, un lieu

et demain l’oublier.

Ainsi,
fêté et royal à sa naissance,

le Marais, lui aussi,
un jour a lassé.

Déserté, abandonné,
il a vieilli.

Devenu pauvre et n’attirant plus
que par le lointain souvenir

de ses richesses passées,

il allait mourir...
Il mourait !

Nous l’avons sauvé de justesse
de la pioche des démolisseurs.

Ces vieilles pierres semblent nous dire :
"Regardez-nous bien !

"Nous sommes les survivantes
de temps lointains.

"Si nous sommes fatiguées
et parfois même usées,

"c’est que nous avons vécu
tant d’heures,

"tant de jours,
de semaines, de mois,

"d’années, de siècles

"c’est que nous supportons
sur nos frêles épaules

"un tel poids de temps."

Restaurés,
rénovés, ravalés,

ces beaux hôtels ont retrouvé
le charme et l’éclat de leurs vingts ans.

Si ces marches pouvaient parler,

si les pavés de cette cour,
de cette rue pouvaient parler,

ils nous diraient:

"Les petits pieds de Mozart enfant
se sont posés sur nous."

Bien sûr, sournoisement,

petit à petit, partout,
les néons s’installent.

Un à un,
les petits cafés s’en vont.

Le formica remplace le marbre
ou le bois des vieux comptoirs,

recouvre les tables et les chaises.

Qu’on rie, qu’on pleure,
le temps s’en va.

Rue St Antoine,
authentique voie royale.

Tous nos rois l’ont traversée.

Elle vit aussi la colère du peuple,
la révolte et le sang.

Au bout, vous apercevez,
au centre de la place de la Bastille,

en haut de la colonne de 230 marches -
ascension de 10h à 17h sauf le mardi -

le génie de la liberté,

qui, sur la pointe d’un pied,

semble vouloir s’élancer
au-dessus des toits et survoler Paris.

Rue des rosiers.

Les roses sont fanées
depuis bien longtemps.

Les rosiers n’existent plus.

Cette pittoresque ruelle est le centre
d’un non moins pittoresque quartier juif

avec ses boutiques
de nourriture traditionnelle.

Parfois, petite silhouette fugitive,
passe un personnage

qui semble sortir
d’un tableau de Chagall.

Un vieillard juif, portant redingote,

et les cheveux longs et frisés
derrière les oreilles,

comme le veut la tradition.

Et depuis quelques années, une véritable
communauté venue d’Afrique du Nord

s’est installée dans le quartier.

Madame de Sévigné
naquit au 1bis de la place.

Et Victor Hugo habita le numéro 6.

De sa fenêtre il pouvait observer
les feuilles d’automne

danser dans le vent
leur délicat et incessant ballet.

Mesdames, monsieur,

notre promenade,
trop courte hélas, est terminée.

Je vous remercie de votre attention.

Alors, tu t’en vas ?

Oui.

Tu nous laisses tomber ?
- Non.

C’est mieux pour moi de partir.

Je ne peux plus vivre à Paris.

Où vas-tu ?

Au fond on se connaît depuis longtemps
et on ne se connaît pas du tout.

On ne s’est jamais rien dit.

On n’a jamais eu une vraie conversation.

C’est vrai que tu ne parles pas.

Moi, je l’ai toujours trouvé mystérieux,
Pierre : faux parisien, faux pied-noir.

C’est un peu ça : faux tout.

Raconte...

C’est l’heure.
- Tu me raconteras un peu plus tard ?

Je pars demain.

On ne se verra pas avant longtemps.
- Alors, à plus tard !

À un jour !

Depuis quatre ans
j’ai toujours menti.

Aussi bien à mon père qu’à vous tous.

Par exemple, ce travail la nuit
n’a jamais existé.

Je n’ai jamais travaillé.

Ni le jour, ni la nuit.

Que faisais-tu ?

Beaucoup de choses.
Pas grand-chose.

Tu ne m’as jamais rien raconté.

Vous êtes tous
des petits enfants bien sages.

Je ne voulais pas vous écarter
du droit chemin.

Le droit chemin...

Ton père sait que tu pars ?

Que fais-tu ce soir ?
- Rien.

Tu peux sortir ?
- Oui.

On va fêter ensemble
ma dernière nuit à Paris.

Viens me chercher chez moi,
neuf heures.

C’est au 15 ?

15, premier étage, droite.

Prends le temps, prends le temps,

Le temps de t’arrêter

Prends le temps seulement

Le temps de respirer

Prends le temps simplement

De regarder les fleurs

Simplement une fleur

Et d’aimer sa couleur

Et d’écouter le vent,

Et d’écouter la vie

Je veux trois vagues de chaque côté.

Là et ici.

Un cran là, un cran là, un cran là.

Et la même chose ici.

Ça ne servira peut-être à rien parce que
l’année est tellement pluvieuse que

peut-être ce sera effacé
quand je sortirai d’ici,

mais enfin
c’est comme ça que je le veux.

Vous avez bien compris ?

Je me suis mise
en Petit Chaperon rouge.

Je ne suis pas trop ridicule ?
- Non, ça va.

Je suis dans le vent.
- Oh, dans le courant d’air oui !

Quand on est petit,
le temps de grandir,

Parce qu’on croit qu’alors,
alors on pourra,

Et quand on est grand,
le temps de souffrir,

Parce que sans souffrir,
on ne peut rien avoir

Le temps de chercher,
avant de trouver,

Et avant d’y être,
le temps...

Dimanche je vais chez ton père,

est-ce que tu peux lui dire que mon frère
Patrick ne pourra pas venir à sa leçon ?

Il est brûlant, il tousse,
je crois qu’il a attrapé la grippe.

D’accord je lui dirai.
- Au revoir.

Il viendra samedi
si ça va mieux.

Tu m’as fait peur.

Patrick ne pourra pas venir à sa leçon ;
il est brûlant, il tousse,

il a sûrement attrapé la grippe.

Tu as vu sa mère ?
- Son frère.

Pourquoi il est pas monté ?
- Il m’a vu en bas.

Ils auraient pu me prévenir
à l’avance.

Comment voulais-tu qu’il t’avertisse ?
Il pouvait pas prévoir qu’il aurait la grippe.

qu’est-ce qu’ils ont tous aujourd’hui ?
Le petit Marco, il est en retard de 5 mn.

C’est le froid qui les glace,
ou quoi ?

Regarde-moi ce temps-là :
il pleut, il fait beau, il pleut...

Pierrot, il y a des chemises
et des chaussettes propres.

Je vais partir tout à l’heure
à 5 heures.

Puis finalement je vais dormir là-bas.
Le bal, il va finir à 3h ou 4h,

je vais pas me crever à rouler par
le froid de canard qu’il fait le matin.

Tu sais, la fille Malega ;

son père, il avait la pharmacie
près de la place de Chartres.

Eh ben elle est venue me voir
pour son fils Richard ; il a six ans.

Elle veut que je lui donne
des leçons à domicile

parce que le petit,
il est faible de santé, le pauvre.

Il est maigre!

Ils ont acheté un appartement
de toute beauté, boulevard Beaumarchais.

Son mari, il a une très belle situation ;
il est pharmacien.

Je vais te préparer quelque chose
à manger si tu as faim.

Si ta pauvre mère était là,

on serait pas comme ça
comme des malheureux.

Pan ! Pan !
Pan!

- Ces vieilles pierres semblent
nous dire : "Regardez-nous bien,

"nous sommes les survivantes
de temps lointains.

"Si nous sommes fatiguées,

"c’est que tant d’années, tant de siècles
sont passés sur nous.

"C’est que nos frêles épaules,
ont supporté un tel poids de temps."

Qu’on rie, qu’on pleure,
le temps s’en va.

Bonjour mon p’tit chou,
comment vas-tu ?

Ça va.
Il fait chaud.

Ah, j’ai pensé à toi...

Je t’ai préparé ça. Mais en ce moment,
je peux pas grand-chose.

Tout devient impossible,
la vie est d’un cher !

Les fins de mois, les impôts.

C’est fou.

Alors tu nous quittes.
- Oui.

Où vas-tu ?

Le grand cachotier...
mais Paris va être vide sans toi.

Vous m’oublierez vite.

Comme les autres.

Pas sûr, mon chéri.

Pas tous...

Pas tous.

Oui...

Bruit de pas.

Oui.

Je te demande une seconde.

Absolument.

Naturellement...

Mais j’attends...
j’attends votre film.

À bientôt, mon cher.

Alors ça, mon petit vieux,
tu tombes mal.

Depuis hier matin,
c’est une véritable hécatombe.

Mon frère m’a encore
demandé de l’aider,

j’ai reçu ma feuille d’impôts...

Tu sais que j’ai les ouvriers chez moi,
tout ça coûte très cher.

Et pour couronner le tout,
je suis passé à ma banque,

et mon compte est à découvert
de 5 millions.

Si je te donnais ce que tu me demandes,

je serais obligé de le prendre
sur les étrennes de mes petits neveux.

Tu comprends,
ça, je peux pas le faire.

Tu vas me faire pleurer.

Ne t’en fais pas, je me débrouillerai.

Je t’assure,
je suis navré, mon petit père.

Tiens, voilà 500 francs ;
ça te dépannera pendant quelques jours.

Je suis content que tu partes.

Tu perdais ton temps. Tu valais mieux
que ça, je te l’ai souvent dit.

Écris.

Le temps qu’on passe
à prendre un métro,

À faire antichambre,
à croire au gros lot,

Et à travailler pour gagner sa vie,

Un métier qu’on a pas
toujours choisi.

Le temps d’un baiser
si on a le temps,

Le temps de se faire
un peu de bon temps,

Puis un peu de temps
pour se reposer,

Pour boire et dormir,

Un jour est passé.

Dans la galère
qui t’emporte

Dans ce rythme fou
s’il y a

Rien qu’une chose
qui t’importe,

Hé bien fais-la,
hé bien fais-la.

Prends le temps,
prends le temps

Le temps de t’arrêter,

Prends le temps seulement,
le temps de respirer,

Prends le temps simplement
de regarder les fleurs.

Simplement...

Dis, mon fils ; le cafetier qui est
en bas de chez toi, c’est un pied noir ?

Il m’a dit : "Pierrot, il habite
au fond de la cour à gauche."

Oui.

Et les gens à côté aussi.

Et la concierge.

Ton père aussi,
il parle comme ça ?

Oui.

Il est né là.

C’est un village de pêcheurs.

C’est là que ma mère est enterrée.

Toi, mon fils, tu es un renégat.

Tu as pris l’accent parisien.

Moi ch’uis l’homme de nulle part.

Tu veux un petit souvenir ?

N’importe quoi ?

N’importe quoi.

Tu n’en veux plus ?

Je m’en vais.

Ça vient d’où ?

D’un peu partout.

Je les ai trouvés au hasard.

C’est une collection ?

Non.
J’aimais bien les regarder.

Enfin, si tu veux ;
c’est une collection.

Tania 28.
- Oui.

C’est bien le 20 monsieur...
C’est bien le 20, excusez-moi.

Violette 15, vous partez
au 101 Philippe Auguste.

Alors attendez, je regarde...

La rue Pierre Charon,
est-ce que vous pouvez la prendre ?

Il est maniaque !
Comme c’est bizarre.

Il a un fils de 21 ans
et une fille, je crois.

D’où vient-il ?
- De La Rochelle.

Il n’a pas du tout l’air
de ce qu’il est.

Ah oui mais...
il l’est bien !

On y va ?

Non, j’en viens.
C’est mort ce soir.

Le quartier change,
c’est plus comme avant.

Ce qu’on a pu se marrer !

J’aime beaucoup les voyages.

Ah oui ?

Oui, beaucoup.

Dès que je peux,
je descends à Marseille.

Votre famille est là-bas ?

Je n’ai pas de famille.

Ils viennent là chaque soir.

Chaque soir ?

Oui.

- Vous aimez la musique ?

De quoi vivent-ils ?

Ils arrivent dans le quartier,
ils ont 17 ou 18 ans.

J’ai même connu un garçon de 15 ans

qui a débarqué de Lyon un soir.

Au début ils sont contents,
ils s’amusent.

La vie est facile.

Tantôt fauché, tantôt de l’argent
plein les poches.

Puis alors, comme un pianiste virtuose
il faut tous les jours s’entraîner de façon

à acquérir une dextérité qui permette
aux gens de ne pas voir ce que l’on fait.

Dès le plus jeune âge, être passionné
de mystère, de merveilleux.

Ça va, Pierre ?

Ça va. Et toi ?

Moi, je suis marié.

Ma femme est coiffeuse. Mes beaux-parents
ont un salon de coiffure rue Caumartin.

Je travaille avec eux, je suis peinard.

On va acheter un appartement
dans le 18ème.

Moquette, salle de bains,
téléphone, (?), lit.

(Alba) attend un enfant.

Tu ne viens plus dans le quartier ?
- Non, j’ai pas le temps.

Je passais ce soir par hasard.

Un revenant...

Toujours là ?
- Toujours là.

Quelques-uns comme lui
sont sauvés.

Ils sortent du rang
et disparaissent du quartier.

Les autres sont les victimes.

Ils tentent de durer,
de plaire encore un peu.

Lorsque c’est bien fini, ils boivent.
Certains se droguent.

Quand ils trouvent de quoi payer
leur chambre d’hôtel,

ils dorment le jour et vivent la nuit.

Puis un soir,

lorsque le désespoir est total,

ils sombrent.

Et toi, Pierre ?

Je me suis trouvé là par hasard.

Et j’y suis resté un petit bout de temps.

J’y ai vu des choses.

J’y ai connu des gens.

Voilà.

Maintenant il faut que je quitte Paris.

Moi, j’ai fait le tour du monde et ce que
je préfère, c’est Bécon-les-Bruyères.

Vive la France !

Elle est belle, elle est mignonne,
C’est une bien jolie personne,

De dedans la rue on peut la voir,
qu’elle est assise dans son comptoir.

Elle a toujours le sourire,
On dirait une femme en cire

Avec son chignon
qu’est toujours bien coiffé,

C’est la caissière du Grand Café.

Enfin, inutile de vous dire, heureusement que
les assurances, c’est pas fait pour les chiens.

Alors je vais certainement être remboursée ;
comme ça, j’aurai un appartement tout neuf.

C’est aussi bête que ça.

Enfin, qu’est-ce que vous voulez !
Nous on s’en fout, on a 50 ans, alors...

Tenez.

Voilà...

Alors ?
C’est pas extra, hm...

C’est pas mal.

Elle est belle, elle est mignonne,
C’est une bien gentille personne,

Elle a toujours le sourire,
On dirait une femme en cire

Ah non, ah non ! ça suffit.

Deux secondes.
Entracte.

Je continue parce que moi,
je vais livrer mon petit pain...

qu’il est charmant !

Non... je vous demande pas
si je suis charmant ;

je vais livrer mon petit pain
au café là-bas.

Mais il est rimbaldien !

Comment?

Que vous dites ?
- C’est le mitron ivre.

Mais non, mais non...

Continuez à chanter, je m’en vais.
Parce que je vous vois, comme ça...

Vous êtes très charmante mais...

Il est saoul lui ?

Eh !

Eh !

Ça sonne tous les quarts d’heure ici.

Comme ça on ne risque pas d’oublier
que le temps passe.

Oh, Pierre, c’était affreux.

Le médecin m’avait dit :

quelques mois,
une année au plus.

Nous savions que
nous allions nous quitter très vite.

Nous attendions que cela arrive.

Mais il y a une différence entre imaginer
que quelqu’un qu’on aime va mourir

et le voir mort.

Est-ce qu’il savait ?

Oui, il savait.

Et chaque jour
le mal grandissait en lui.

J’ai dû travailler jusqu’au bout,
donner des leçons de piano.

Trouver cet engagement.

Voilà.

Je me suis retrouvée
professeur de piano à Deauville.

La province à 100 km de Paris.

Incroyable.

Tu devrais partir, voyager.

Non, je veux rester ici.

J’ai pas envie de bouger.

Je crois que tu as tort.

Il est resté très sage jusqu’au bout.

Avec, bien sûr, quelquefois
des moments de désespoir.

Un jour il a pleuré dans mes bras.

Après j’ai trouvé des petits mots
qu’il écrivait.

Puis il est mort.

Il ne lui aura même pas été donné
le temps de poursuivre son travail.

Mais je sais
que sa musique est belle.

Je la ferai jouer.

J’ai toujours eu confiance.

Non seulement en lui,

mais en son travail.

Je parle beaucoup de moi.

Et toi, Pierre ?
- Moi, tu sais, pas grand-chose.

qu’est-ce que tu vas faire ?

Pour l’instant, partir.

Je te l’ai dit ;
je crois aux voyages, aux départs.

Ils permettent de passer l’éponge.

Puis après, on verra.

Et ton père ?

Mon père ?

Il est gentil ?

Nous sommes trop différents.

Où vas-tu ?

En Tunisie.

En Tunisie...

Le retour aux sources ?

Non.

Il y aura la mer, le soleil.

Voilà Pierre.

Bonjour, je suis tellement contente
de vous connaître.

Maria m’a tellement parlé
de vous et de votre père.

Vous dormez ici ?

Non.

Oh mais si ! La maison est tellement grande
et nous sommes toutes seules.

D’accord.

Il ne faut pas laisser Maria seule.
Il faut venir la voir.

Deauville n’est pas le bout du monde.

Depuis un mois,
tous les jours je voulais venir.

C’est bête, le temps passe.

Ici rien n’a changé
depuis cent ans.

C’est une très belle maison.

Mme Delaître est très gentille.

J’ai eu beaucoup de chance
de tomber sur elle.

Surtout pendant Jean.

Vermeer,
La petite rue.

La petite chemise
si bien peinte en jaune.

Tu n’as pas oublié Vermeer.

Non, je ne l’ai pas oublié.

La peinture,
je l’aime toujours autant.

Ou plutôt,
j’ai recommencé à l’aimer autant.

Après sa mort
il y a eu un moment terrible.

J’ai pensé que je n’aimais plus rien.

Que je ne pourrai jamais plus rien
aimer vraiment.

Les livres me tombaient des mains.

La musique me donnait envie de mourir.

La peinture...

c’est revenu, tout à coup.

J’en ai eu envie très fort,
comme ça ; c’é...

c’était comme avoir faim.
Aussi fort.

Il y a eu l’exposition Bonnard,
alors j’ai pas hésité.

J’ai pris le train et
je suis arrivée un soir. Il pleuvait.

Je me suis retrouvée dans Paris
comme une étrangère.

Je cherchais un hôtel comme dans les villes
où l’on arrive pour la première fois.

Le matin je me suis levée très tôt.

Et à neuf heures
j’ai traversé les Tuileries.

Les bassins étaient gelés.

Mais il y avait quelques enfants
qui jouaient.

C’était gai.

Et puis j’ai vu les Bonnard.

C’était une vraie joie.

Il y avait un tableau...

"Méditerranée."

tout bleu,

tout blanc,

impossible à raconter,

et qui donnait envie de sourire.

Quand je suis sortie,
ça allait mieux, vraiment mieux.

Et puis, je n’avais pas de remords
vis-à-vis de Jean.

Parce que tu sais, d’abord... on voudrait
ne plus jamais cesser de souffrir.

Ça semble une trahison,
de ne plus souffrir.

C’est presque oublier.

Mais là, c’était une vraie joie.

Sans remords.

Je suis repartie le soir même.

Pierre, n’en parlons plus jamais.
- De quoi voulez-vous parler, mademoiselle ?

Vous m’écrirez ?

Je vous écrirai, monsieur,
dans votre lointain désert.

Bon, ben je m’en vais.

J’aime pas les trains qui partent.

C’est la première fois que
vous allez là-bas ? - Pas tout à fait.

Mon père et ma mère sont nés à Alger
et moi à Tunis.

À Tunis !
Moi aussi.

Vous n’avez pas l’air.
- Pourtant...

Vous êtes partis quand ?
- Oh, j’étais tout petit.

Quand ma mère est morte.

Moi aussi, ma mère est morte.

Mon père est toujours là-bas
avec ma sœur et mon petit frère.

Alors l’été, je vais les voir.

Pour moi à Tunis, à chaque coin de rue
il y a quelque chose.

Comment vous avez eu l’idée
d’aller là-bas ?

De toute façon je voulais partir.

En Tunisie ou ailleurs.

Pour changer de décor.

Surtout être loin de Paris.

Alors, pourquoi pas la Tunisie.

J’en ai tellement entendu parler
à la maison.

Pour voir...

Toute notre famille est partie,
tous nos amis.

C’est triste.

Les uns à Marseille,
d’autres à Nice, à Lyon.

Un cousin à Lille.

Je ne sais pas si vous pouvez imaginer
l’effet que ça fait de naître à Tunis

et d’aller mourir
dans le nord de la France.

Enfin...

Ça doit faire bizarre de débarquer
à Tunis et de descendre à l’hôtel.

Je suis un privilégié,
je descends chez moi.

Vous habitiez où ?
- Rue des Lilas.

Rue des Lilas !?

On est voisins.

La rue des Lilas, elle est en face
du parc du Belvédère.

Et nous on habitait rue Rochambeau,
près des bains Padovani.

Les bains Padovani...

Y avait une passerelle en bois
pour descendre sur la plage.

Un jour elle s’est cassée.

Et tous les gens qui étaient dessus
se sont retrouvés directement sur le sable.

Les cris...

On a eu peur, mais y a pas eu
un seul blessé. La chance.

J’étais tout petit,
mais je me rappelle très bien.

Enfin je vais pas commencer
à vous parler de Tunis

parce que sinon demain
à la même heure on sera encore là.

Je n’ai pas l’accent, hein ?

Ça passe.
Des fois il revient.

Mais à Paris je dis même plus
que je suis d’ici.

Je préfère ne plus en parler.
J’ai tourné la page, c’est tout.

Si on me dit : "Vous êtes brun,
vous avez un petit accent..."

Je dis oui,
je suis d’origine italienne.

Bien sûr, ma carte d’identité,
je peux pas la changer.

Il y aura toujours écrit
"Lieu de naissance : Tunis."

Fabricant de chapeaux.

Soleil.

C’est vieux.

C’est déchiré. Y en a
en bas des neufs en alfa.

C’est vieux.

Ça n’existe plus maintenant.

"Alger,
Souvenir d’Alger"

Vous êtes le portrait de votre mère.

Les mêmes yeux, le même sourire,
les mêmes cheveux.

C’est incroyable.

Vous voulez boire ?
Du café ? Du citron ?

Je n’ai pas grand-chose à vous offrir,
ma maison est vide.

Je n’ai pas soif.
Un peu de citron si vous voulez.

Nous avons failli
ne jamais nous rencontrer.

Vous seriez venu samedi,
vous ne m’auriez plus trouvée.

L’été je ne reste jamais à Tunis.
Il fait trop chaud.

Un peu de citron, c’est bon.
C’est rafraîchissant.

Je continue à repasser.
Je dois emporter tout ce linge.

Quel âge avez-vous, Pierre ?

21 ans.

Vous vous souvenez de Tunis ?
- Non, pas du tout.

Bien sûr,
vous étiez trop jeune.

J’avais six ans.

C’est là que vous jouiez.

Et c’est là que j’ai connu votre mère.

Je me souviens d’un drôle d’endroit
qui tournait.

On suivait des rampes.

Un grand restaurant
ou un magasin.

Je ne sais plus.

Avec un nom espagnol.

Un restaurant?

San quelque chose.

Ah, c’est un nom italien !
San Remo, le San Remo...

Ça a été le premier self-service
que nous ayons eu à Tunis.

Il y avait un monde fou.

Le dimanche on faisait la chaîne
jusqu’en bas dans l’avenue de France.

C’est curieux que vous vous souveniez
de ça plutôt que d’autre chose.

Les autres souvenirs,
ce ne sont pas de vrais souvenirs.

Je les ai trouvés sur des photos.

Moi dans les bras de ma mère
devant les marches d’un lycée.

Mon père m’a dit
devant le lycée Carnot.

On l’appelait "la p’tite Mme Brumeu".

Elle était fine,
douce,

et gaie.

Les jours de gala, à l’opéra,

je la voyais passer en bas de chez moi
avec son violoncelle.

Il était plus gros qu’elle.

Parfois votre père l’accompagnait, alors
c’est lui qui portait le violoncelle.

C’était un joli couple.

Je me souviens de leur joie
quand vous êtes né.

Voilà le lycée, Pierre.

Votre père et Roger,
le frère de votre mère, le médecin,

ont fait leurs études là.

Et voilà le photographe.

Il y a des chances
pour que ce soit lui

qui vous ait photographié
dans les bras de votre mère.

Pas le photographe, l’appareil.

Ils se le repassent
de génération en génération.

Bonjour.
- Bonjour.

Photo ensemble ?
- Oui.

Ça nous fera un petit souvenir.

Je me souviens du jour
où votre mère est morte.

Tout le quartier en parlait.

Vous savez,
ici c’était un peu la vie de province.

Je me souviens aussi de la tristesse
de votre père,

après.

Ça n’a pas cessé.

Jamais ?

Comme ils disent dans ce pays :

"On est de passage ici-bas."

Il y avait une chansonnette,

je ne me souviens plus très bien,

que votre mère aimait bien.

Ici-bas, tous les lilas meurent,
Mais le couple demeure

Pour toujours...

C’est l’histoire d’un couple.

Au début ils sont jeunes,
ils s’aiment,

puis le temps passe,

tout change autour d’eux.

Eux
changent.

L’amour devient...

amitié,

tendresse

et les rapproche
chaque jour davantage.

Mon père la fredonne quelquefois.

Voici la petite classe où je suis venue
chaque jour pendant dix ans.

Brumeu Pierre.

Question première.

Quelles sont les choses
auxquelles vous rêvez le plus ?

Par ordre de préférence.

L’harmonie,

partir,

ne plus être triste.

Bien.

Petite recette
pour ne pas être triste :

il faut, en toute chose,
accepter la vie.

Penser à la douceur,
la tendresse,

essayer de comprendre.

Oublier, se souvenir...

Aller, venir,
regarder...

écouter.

Les rencontres.

La mer, les montagnes...

Les forêts, les fleurs,
le silence.

Les chats, les enfants, les couleurs,
les trains, les gâteaux, tout!

Un jour, votre mère m’a dit:

"Je ne comprends pas ces femmes
qui ont peur de vieillir.

Moi,

je voudrais aller jusqu’à cent ans.

Vous savez, Pierre,
moi je ne suis pas d’ici .

Je suis une frengaoui,
comme ils disaient.

Ça veut dire une française de France.

Je suis de Limoges.

C’est loin,
là-bas.

La porcelaine...

Je sais.

Mon père m’a tout raconté sur vous.

Ah !

Vous voyez,
tout ça est disparate.

Les époques, les influences.

Il y a de tout.

Ça donne du rococo-mauresque.

Bonjour !

Bonjour!
- Bonjour!

Nous montons chez Mme Beloufa.

C’est le fils de Mme Brumeu.

Le petit ?

Oui.

Il a grandi.

Il ressemble à sa mère.

Beaucoup, oui.

La pauvre, elle est morte.

Elle était jeune.

Elle était gentille.

(meskina : la pauvre) مسكينة

Et ton père ?

Ça va.

En France ?
- Oui, à Paris.

Il est vieux.

Vous aimez ?

Ça s’appelle Khork el bey.

Pâte d’amande.

Sucré.

Eh oui.

Je pars demain.

Vous quittez la Tunisie ?
- Non, Tunis seulement.

Vous devriez aller vers le sud,
avant les grosses chaleurs.

Je suis sûre que ça vous plairait.

Venez me voir à la mer
si le cœur vous en dit.

Oui ?

Je suis dans une jolie maison
mais j’y vis seule.

Vous partez comment ?

N’importe comment.

Elle vous plaît ?
- Oui, beaucoup.

Il y a deux lits.

Mon nom est Pierre Brumeu,
22 ans, en voyage d’affaires.

Rococo-mauresque.

Bonjour.
- Bonjour.

Vous êtes un touriste ?
- Hm... oui.

Elle vous plaît ?
- Oui.

Vous êtes un parisien ?
- Oui.

Paris 10ème ?
- Non, Paris 4ème.

Vous avez visité la Goulette,
Sidi Bou Saïd ?

Oui.

Nous sommes les voisins de M. Amadi.

Bon, au revoir.
- Au revoir.

Pardon !

Vous allez vous promener ?
- Oui.

Nous aussi nous allons nous promener.

Nous sommes d’ici, hein.

Moi, c’est Carlo.
- Moi, c’est Sadiki.

Votre nom ?
- Pierre. Et vous ?

Euh... Abdel Latif.
- Et moi Abdel Latif.

Tous les deux ?
- Oui, les deux Abdel Latif. Au carré.

Vous habitez ici ?
- Non.

Nous sommes venus ici passer
les vacances chez mon oncle.

Et aujourd’hui nous sortons
aller visiter Nabeul

pour acheter des souvenirs.

Et demain on repart à Tunis.

Moi aussi, je vais à Nabeul.
- Alors on y va.

En avant ! Allez!

En avant !

En avant !

Nous allons ce soir au cinéma.
Vous venez avec nous, Pierre ?

Qu’est-ce qu’ils jouent ? - Euh...
le Jean Gabin, Le jardinier d’Argenteuil.

Pierre,
qu’est-ce ça veut dire ’Argenteuil’ ?

Argenteuil, c’est un petit village
qui se trouve près de Paris.

"Suis..."

"installé..."

"chambre..."

"pur..."

"style..."

"rococo...

"-mauresque"

"Stop"

Vous n’avez pas votre tricot ?
- Mon tricot ?

Vous n’êtes pas la jeune fille
qui tricotiez au café de Paris à Tunis ?

Vous m’avez vue ?
- Oui.

Un jour à deux heures.

Vous aimez Gabin ?

J’aime le cinéma.

Ne crains rien ;

si la vie nous sépare,

le souvenir du temps
où nous nous connûmes

durera.

Ne crains rien ;

si la vie nous sépare

le souvenir du temps
où nous nous connûmes durera.

Tu es belle.

Le souvenirs du temps...

Ton clair sourire qui me fascine

Des mots nouveaux

Dans la nuit mon désir implore

Je voudrais inventer des mots

Si la vie nous sépare...

... durera.

... des fleurs et le vent

ainsi qu’un tsigane

ses vieux refrains ensorcelants

Ouvre tes bras que s’y blottisse

Mon besoin d’être caressée

Ouvre tes bras que s’accomplisse

Le miracle dont j’ai rêvé

Des mots nouveaux

Je voudrais inventer des mots

Des mots que nul jamais
n’ait dit encore

Des mots joyeux,
tendres et sonores

Des mots nouveaux

Pour chanter selon mon envie

Le plus bel amour de ma vie

Tes yeux si bleus, tes yeux si beaux

Tes mains brûlantes,
tes mains câlines

Ton clair sourire
qui me fascine

Des mots nouveaux

Je cherche
mais voici l’aurore

Et penchée sur tes grands yeux clos

Je dis simplement
"Je t’adore"

...au fond de mon cœur
je cherche la phrase parfaite

Je cherche les mots enchanteurs
Le moindre baiser de tes lèvres

Je suis contente
que vous soyez venu.

Il faut toujours tenir ses promesses.

Vous vous levez tôt.

Depuis 20 ans, tous les matins
je suis debout à 5h.

J’aime le matin.

Les levers du soleil
dans ce pays, c’est magnifique.

Le matin, l’air est pur.

Et le ciel d’azur.

Elle dit "je ne veux pas",
puis elle se donna

Sous les toits de Paris

Vous ne connaissez pas cette chanson,
bien sûr. Vous êtes trop jeune.

Ils étaient marrants ces gens-là,

les français de Tunisie.

Tout le monde nous estimait.

D’ailleurs tout ce qui venait de France
était sacré pour eux.

Si vous aviez entendu nos amis :

"M. et Mme La Rivière,
ce sont des gens biens.

"Ils sont aimables,

"distingués,

"avec leur bel accent parisien."

Ils étaient inconscients.

Vraiment inconscients.

Une fois, il y a longtemps,
j’ai dit à des amis:

"Mais vous partirez,
vous partirez c’est sûr.

C’est forcé, ça changera."

Ils m’ont prise pour une folle.
Ils ont ri.

"Homme libre,
toujours tu chériras la mer"

Charles Baudelaire,
Les fleurs du mal.

C’est mon petit côté institutrice.

Avant tout, je prends mon café au lait
face à la mer.

Vous êtes mon premier invité
depuis bien longtemps.

Mon cher Gilbert est mort
il y a cinq ans.

Nous sommes arrivés ici en ’36
pour un début de carrière.

Nous étions instituteurs,
tous les deux.

Un poste au soleil et près de la mer
nous avait tentés.

Nous pensions rester
deux ou trois ans.

Je suis encore là.

Nous sommes tombés
amoureux fous du pays.

Nous l’avons visité dans tous les sens,
du haut en bas.

Dans une vieille bagnole.

Plus tard,

surtout à partir de ’58,

il y a eu des moments difficiles.

Tous les français partaient,
c’était un peu triste.

Pour moi,
la question ne se posait pas.

Vous ne vous ennuyez jamais ?

Je n’ai pas le temps.

Je m’occupe de la maison,
du jardin.

Je lis beaucoup.

Quelques élèves.

Et puis,

des promenades.

Puis dans un village comme celui-ci,
le temps s’arrête.

Je peux rester des heures comme ça,
face à la mer.

À oublier le reste.

Le jeudi j’ai les Oualid.

C’est un vieux couple de retraités.

Ils n’ont jamais voulu partir, eux.

Paul et Mireille.

Ils habitent là-bas,
derrière le phare.

Le plus dur au fond, c’est de voir
s’en aller tous ceux qu’on aime.

Gilbert...

et tous les autres.

Les amis des beaux jours.

On partait à la campagne,

on se baignait,

on mangeait au bord de l’eau.

De temps à autre, l’été,

on s’en allait.

J’ai la tête pleine de souvenirs ;
c’est pour ça que je ne m’ennuie jamais.

Tous les deux ans
nous allions en France.

Gilbert faisait une cure
à Aix-les-Bains.

Le lac du Bourget,
c’est magnifique.

Il était fragile des bronches.

Moi je suis bien dans ce pays.

Ce qu’on peut amasser comme bêtises.
On s’attache aux objets, c’est bête.

Cette boîte,
je la traîne depuis 35 ans.

Elle vient de Limoges.

Les cadeaux de fin d’année des élèves.

Les serre-livres, les encriers,
les objets d’art...

Ceci m’a été donné
par mes collègues

quand Gilbert a été nommé
directeur de l’école.

C’est un objet fastueux !

Les dessins d’enfants
sont toujours très beaux.

Toujours.

Tous.

Il faudrait avoir beaucoup de place
pour pouvoir les exposer tous.

J’aime beaucoup les enfants.

Gilbert aussi les aimait beaucoup.

Parfois je m’ennuie de lui.

Je voudrais rentrer,

encore une fois.

Il m’attendrait là,

depuis un moment déjà.

On parlerait,

on mangerait,

on se coucherait.

Monsieur ?

Est-ce que M. Garcia est là ?
- Mon père ?

Non, Maurice.

Il est monté à Tunis.

Il y a ma sœur Gaby.
- Vous pouvez l’appeler ?

Gaby !

Madame, je suis un ami de Maurice.

De Paris ?
- Oui.

Vous êtes de la fac!
- Non.

On s’est rencontrés sur le bateau.

Oui mais Maurice, il est pas là,
il est monté à Tunis

et il revient demain matin.

Venez demain manger à la maison,
Maurice sera bien content de vous revoir.

D’accord.

Vous connaissez Paris ?

Qui, moi?
Non.

Vous voudriez y aller ?
Ou habiter ?

Habiter ? Mais, dit,
il veut ma mort celui-là ou quoi !

Moi, vous m’enlevez le soleil,
j’existe plus.

Non mais quand même,
j’aimerais bien y aller.

Rien que pour prendre la même photo

qu’elle avait pris ma tante
pendant l’exposition de 1900.

Tu te rappelles la photo
qu’elle est sur la cheminée ?

Elle avait un grand chapeau
avec une rose là devant.

Terrible ! Et mon oncle,
il avait une petite barbiche.

Y avait même la cousine Fifine !

Eh beh c’est la première fois
qu’on lui a pas vu les yeux

parce qu’elle les a baissés
pour pas qu’on voie qu’elle louche.

Prenez des fruits, Pierre.
- Non, merci.

Et du gâteau ?

Prenez, ne vous gênez pas,
c’est fait maison.

Alors, vous aimez nos créponnés ?

Beaucoup.

Ici on est connus hein !

La famille Garcia,
les rois du créponné.

On vient de tous les coins de Tunisie
pour manger nos glaces.

C’est nous les derniers des Mohicans.

Ça nous a fait plaisir, Pierre,
que vous soyez venu.

Oui, c’est vrai.

Faut dire qu’ici en Tunisie,
on est très liants.

On adore recevoir, voir des amis.

Oui mais attention hein,
quand on va descendre sur Paris,

on vient vous rendre une petite visite.

Après tout, y a que les montagnes qui
ne se rencontrent pas, c’est pas vrai ?

La preuve.

Oh dis Maurice, si tu chantais
quelque chose pour M. Pierre ?

Il chante bien, Maurice.

À 15 ans il a gagné le grand radio-crochet
de la Pointe Pescade.

On t’a même applaudi
pendant un quart d’heure.

Oh tu vois, il commence à faire
des manières; toujours à se faire prier.

Allez !

Claude, va chercher la guitare.

Allez, on y va.

... en deuxième et troisième.

Allez, allez !
dépêchez-vous, en place.

La chanson, hein !

Si Dieu veut, hein,
parce que le temps, il est capricieux.

Allez, allez !
Claude, Momo !

"Le Garçon de café",
chanson en trois couplets.

Psst garçon !
un jambon, un pâté, un café !

Psst garçon !
un citron, un demi panaché !

Appelé,

Bousculé,

On me presse,

Je m’empresse

D’accourir

Pour servir

Leurs altesses

Les comtesses.

Psst garçon !
un glaçon, thé au lait, pain beurré !

Psst garçon !
un jambon, un pâté, un café !

Des soupirs

Des sourires,

Les pourboires,

Des pourboires !

Mécanique,

Je calcule

Métallique,

Mon pécule.

Psst garçon !
dépêchons, pain beurré !

Psst garçon !
c’est trop long, mon café, l’addition !

Dans mon lit,

Tard la nuit,

Je m’endors

Un record l

Même en songe

Je m’éponge

Et j’entends

Très longtemps :

Psst garçon !
un jambon, un pâté, un café !

Psst garçon !
un glaçon, un demi panaché !

Psst garçon !
citronnade, orangeade, infusion !

Psst garçon !
enfin, l’addition !

Alors, mon petit frère ?

Alors, ma grande sœur ?

Bientôt tu vas repartir à Paris,
nous laisser.

Eh oui.

Papa est allé se coucher,
il est un peu fatigué.

Quel temps !

On peut pas dire que cette année
on a été gâtés, hein !

Dites, Pierre,

c’est toujours comme ça, Paris ?

Ça sent les vacances,
le dernier jour.

La rentrée des classes.

Novembre à Paris.

Vous allez nous quitter, Pierre ?
- Oui.

Vous me manquerez.

Vous aussi.

Je dois rentrer.

Je viens d’apprendre
quelque chose de très triste.

Quelqu’un de malade ?
- De mort.

Un parent?

Non.

Une amie.

Très jeune.

Dix-sept ans.

Vous reviendrez ?

Oui, je reviendrai.

Je ne serai peut-être plus là.

Je reviendrai vite.

Il faudra m’écrire, Pierre.

Ne pas oublier votre vieille amie,
ses conseils...

Parlez, Pierre.

Il faut parler.

Vous ne parlez pas assez.

Ce n’est pas bon.

Je vous en ai racontées, moi,
des histoires.

J’aime bien vous écouter.

qu’y a-t-il dans cette petite tête,
hein ?

Comment savoir ?

Impossible.

Faudrait trop de temps.

Trop de phrases, aussi.

Et puis
cela deviendrait ennuyeux à la fin.

Demain je serai un autre.

Ou presque.

Alors...

Pendant longtemps
j’ai cru que j’étais insensible.

Mais ce n’est pas cela.

Pas du tout.

Certaines choses me touchent,

me bouleversent même.

Ce ne sont pas forcément
les plus tristes.

Enfin, celles qu’on dit habituellement
les plus tristes.

qu’est-ce qu’on sait ?

Vous changerez, Pierre.
Vous êtes si jeune.

Change-t-on tellement ?

Oui, bien sûr.

Je suis bête,
on change toujours.

Si vous saviez.

Le jour où j’ai quitté Paris,

sur un pont,
une femme chantait une rengaine,

une chanson...

Autour de moi les gens marchaient.

Ils avaient l’air triste et fatigué.

Les larmes me sont venues.

J’ai eu honte.

J’ai eu peur que les gens voient.

J’ai baissé les yeux et
je me suis sauvé en courant.

Je me suis longtemps demandé
pourquoi j’avais pleuré.

Il y a quelques jours, par hasard,

j’ai entendu la rengaine de ce jour-là.

Tout à coup j’ai compris.

L’été sur la côte Atlantique,

avec Sophie nous allions
dans des guinguettes au bord de l’eau.

C’était tout au début de notre rencontre

lorsque je pensais
qu’on ne se quitterait jamais.

Et nous entendions cette chanson.

Chaque été il y a une rengaine comme
celle-là qui vous tombe dessus, partout.

Quelques mois plus tard,
lorsqu’elle a déjà lassé,

qu’elle a été remplacée
par d’autres rengaines,

elle revient par hasard.

Et elle ramène avec elle l’été
où nous l’avons entendue,

les bals au bord de l’eau,

le visage de la fille
que l’on aimait à ce moment-Ià.

Que l’on a cru aimer.

Sous les toits de Paris,
dans ma chambre, ma Nini

On s’aimera,
c’est si bon d’être unis.

C’est quand on a vingt ans,
quand fleurit le printemps,

Faut s’aimer
sans perdre un seul instant

L’air était très pur,
et le ciel d’azur,

Elle dit "Je ne veux pas",
puis elle se donna...

Tu me raconteras un peu plus tard ?

Je pars demain.

On ne se verra pas avant longtemps.

J’aimais beaucoup la façon
qu’elle avait de parler.

En penchant la tête.

Avec un sourire gentil.

Oui.

Derrière ce petit sourire gentil que
tu aimais, elle cachait pas mal de choses.

Les derniers temps,
ça n’allait plus très bien.

Des problèmes avec ses parents
à cause d’un garçon.

À cause de ses idées politiques aussi ;
enfin, pas mal de choses.

Une fois elle m’a avoué
qu’elle ne tenait pas tellement à vivre.

Alors...

Tu crois qu’elle s’est... ?

On ne sait pas.

Elle est descendue sur la plage,

deux heures après
elle n’était toujours pas revenue.

Ses amis l’ont cherchée partout.

Le lendemain
des pêcheurs ont trouvé son corps.

Je ne te demande pas si tu es content,
j’ai reçu tes lettres.

Et maintenant ?

Eh bien je vais repartir.

J’ai au moins compris une chose,

c’est que pour l’instant, je n’ai pas envie
de me fixer dans un endroit.

J’ai envie d’aller et venir.

D’essayer de comprendre.

Moi, mon fils,
je suis l’homme de nulle part.