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…

…

- Je te parle de Gaston !

- C'est toujours la même chose.
- Comment ça ?

- Tu le sais bien.

C'est pas la première fois
que ça arrive.

- Et après ?

- Je ne suis pas responsable
de tes imprudences.

- C'est moi qui suis imprudent ?
- Naturellement.

Et je te préviens,

tes brutalités, j'en ai assez !
D'ailleurs, c'est fini.

- Mais tais-toi !
- Pourquoi ?

- Je ne veux plus, tu entends !
Je ne veux plus ! Tais-toi !

…

- Non…

Non…

Laissez-moi…

Laissez-moi.

- Je veux t'embrasser.

Elle crie.

…

Tais-toi.

…

Tu vas te taire !

Cri étranglé

…

…

…

Je n'ai rien fait.

Je n'ai rien fait.

Je suis passé, elle était là.

Mais, mon Dieu,
pourquoi était-elle là ?

J'avais trop mangé…

trop bu.

Qu'est-ce qu'on peut faire,
le dimanche ?

C'est un crime.

Oui, mais un crime d'homme soûl,

un crime de fou.

Non.

Un crime de lâche.

Et puis j'ai eu peur d'eux,

de les voir arriver,

qu'ils me surprennent
avec cette fille.

C'est leur faute.

Ce sont eux, les responsables.

Eux qui me suivent partout,

qui sont toujours derrière moi,

à me regarder, à me surveiller.

La petite Mme Duval
et ses deux grands enfants.

Famille d'anthropophages !

- Tu regardes tes mains

comme si elles appartenaient
à quelqu'un d'autre.

- C'est rien. Je me suis écorché.

- Ce que tu peux être délicat !

- Le lendemain matin…

Cloches.

Je me suis levé, comme d'habitude.

J'étais un assassin et…

c'est tout juste
si j'avais mal dormi.

- Tu ne manges pas ta tartine ?

Tu n'es pas malade ?

- Non. Je n'ai pas faim.

- Le café était moins bon.
Une question de cafetière.

- C'est une question
de vie ou de mort.

Maintenant, je suis un assassin.

Une minute d'égarement ne peut pas
effacer toute une vie respectable.

Malgré tous les gestes de l'habitude,
quelque chose me poursuivait.

Une chose que je parvins
à identifier.

C'était un bruit.

Le bruit des cloches.

Notre ville compte 7 églises
et vit au rythme de leurs cloches,

mais on ne les entend plus.

Eh bien, moi,
je les entendais de nouveau.

Comme le mourant
écoute des choses

dans tout ce qui est silence.

C'était peut-être
des bourdonnements d'oreille.

- Ça ne va pas, M. Duval ?

- Moi ? Si. Pourquoi ?

- Après une journée comme hier,
moi, ce serait plutôt l'intestin.

- Il y a aussi le remords, paraît-il.

Jusqu'à présent,
je n'en ai pas souffert.

Je dois bien avoir une conscience,
comme tout le monde ?

- Toujours pas ?
- Foutez-moi la paix.

Je n'avais même pas peur.

Cet imbécile au sommeil profond
était mon meilleur alibi.

- Bonjour, monsieur.
Vous désirez ?

Une femme rit.

…

Elle riait tout le temps.

Elle était trop jolie, trop libre,

trop facile.

Je ne l'ai pas rencontrée souvent.

Et puis nous n'avions pas
les mêmes heures.

Mais à quoi servait-elle
dans l'édifice social ?

C'était un élément dangereux,
par sa seule présence.

L'huile sur le feu.

Dans le temps,
on l'aurait brûlée comme sorcière.

Voilà ce que j'ai fait.

Un mouvement de légitime défense.

Ce n'est pas un assassinat,
c'est une exécution.

Sans jugement.

Je suis sûr qu'en faisant l'amour,
elle était encore plus belle.

Elle m'a regardé jusqu'au bout.

Je n'ai rien fait intentionnellement.
Je ne pensais à rien.

Même pas à ça.

Vers le soir,
il me sembla être revenu

dans ma véritable peau
de pharmacien insoupçonnable.

Aussi innocent
que cet imbécile

qui me salue sans cesse depuis
qu'il m'a acheté un insecticide.

- Bonsoir, papa.

- Un imbécile, oui,
mais pas un criminel.

- Bonsoir, maman.
- Bonsoir, chérie.

- Ces visages…

- Bonsoir.
- Bonsoir.

- Ils ne savent pas
ce qu'ils attendent.

Ils ne se doutent pas
que tu as un secret.

Ils ne savent rien.

On espère toujours le pire,
quand on a si peu de distractions.

Déshonorer un honnête homme,
quelle rigolade !

Heureusement
que je suis presque innocent.

Je n'ai rien fait.

Je n'ai rien fait intentionnellement.

Des femmes rient.

…

Mais pourquoi essayer
de me tromper moi-même ?

Je ne suis pas encore redevenu
le Grégoire d'hier,

celui qui n'entendait même plus
les angélus.

Ce grand vide, cette solitude…

C'était donc ça, le bonheur ?

L'effrayant bonheur
de tous les jours,

avec la soupe des gens heureux
de tous les soirs…

*Twist

*
…

- Allez, Laurent, lâche ce livre.
À table.

*
…

- Moi aussi, à son âge,
je rêvais d'aventures.

Maintenant, je n'ai plus d'âge,
mais j'ai une famille.

Les aventures,
je n'y pensais même plus.

Même hier, ce n'était pas
une aventure que je cherchais. Non.

Plutôt comme une soif, enfin…
L'envie d'un verre d'alcool.

La vie et la mort,
ce n'est donc que ça :

quelques secondes où les liens
se défont, où l'échafaudage tombe.

Et c'est fini,
l'aventure et les aventuriers.

Inutile de lire, gamin.

Mange ta soupe.

Pour grandir.

Pour devenir un assassin,
comme papa.

Ou alors
fous le camp tout de suite.

N'attends pas les évasions à heures
fixes, les voyages organisés.

- Tu ne manges pas ?
Tu n'as pas faim ?

Bonsoir.
Rentre pas trop tard.

- Et voilà, je suis un homme libre.

Jusqu'à 23 h.

18 ans que ça dure.

Je n'ai pas manqué un soir,
sauf le dimanche,

les voyages d'affaires
et les cas de force majeure.

Mon appendicite, par exemple.

Depuis 18 ans, je fais ce chemin

dont les moindres ombres
me sont familières.

Un soir, elle était là.

Elle était avec un homme.
Ils se disputaient.

Je crois même qu'il l'a giflée.

Une femme rit.

Elle était trop jolie,

trop libre,

trop facile.

Elle riait tout le temps.

C'est comme ça que nous avons
commencé, avec Geneviève.

Pauvres petits cons d'amoureux…
S'ils se doutaient !

Pourquoi nous nous sommes
mariés si jeunes ?

J'en avais assez
de me geler l'hiver

en lui parlant d'avenir
en plein vent.

Je n'ai pas eu le courage
d'attendre le printemps.

Quand on s'est réveillés tout bêtes,

on a su que ça n'en finirait plus.

Et dire qu'avec un autre,
ça aurait peut-être marché.

Moi, je savais
qu'on pouvait m'aimer.

Nous n'avons jamais parlé ensemble
de notre malentendu.

Une question de convenances.

On ne doit pas être les seuls.

Ça n'empêche pas la Terre
de tourner.

Depuis 18 ans, chaque soir,
je retrouve les mêmes visages,

les mêmes amis,
pour le même bridge,

avec les mêmes propos.

Et je tiens ma partie
dans ce petit monde,

où chacun parle de toutes
les aventures qu'il n'a pas eues.

Eh bien, moi, l'aventure,
je l'ai eue.

Je suis un assassin.

- Bonsoir, Mme Souchon.
- Bonsoir, M. Duval.

- Bonsoir.
- Tout le monde est là.

Ils prennent l'assassinat
pour une fête légale.

- J'ai fait fermer le juke-box.

- En signe de deuil ?
- Plutôt par décence.

- D'ici à ce qu'on fasse tirer le canon.

Elle rit.

- Henri, le tilleul de M. Duval !

- Messieurs.

M. le juge, mes respects.
Bonsoir, Charles.

Bonsoir, docteur.
- Bonsoir.

- Alors, on joue ?

- On parle. Notre ami
est chargé de l'instruction.

- Je suis décidé à aller très vite.

- On le juge, on lui coupe le cou,
et vive la France !

- C'est une histoire de fesses.
- Et alors ?

Vous êtes contre ?

La Pompadour ou George Sand
n'en avaient pas, des fesses ?

- Messieurs !
- Que savez-vous, M. le juge ?

- Beaucoup. Le commissaire Valard
connaît son métier.

- C'est un limier. J'ai connu son père.
Limiers de père en fils !

- L'examen des lieux
démontre qu'il y a eu lutte.

La fille a été surprise.
Elle a une trace de coup.

Le Dr Marmont…
- C'est un âne.

- C'est un homme d'expérience.
- Il tue assez de monde.

- Mais, dites-moi, monsieur le juge,
est-ce que… ?

- Non. Il n'y a pas eu de viol.

Pas un crime ordinaire.

L'homme n'en voulait pas à sa vertu.
- Peut-être qu'elle dormait.

- On ne tue pas quelqu'un qui dort,
comme ça, sans raison !

Oui, il faut aller vite. Un dangereux
maniaque rôde dans la ville.

- Et le gouvernement, que fait-il ?

- Demandons-lui des obsèques
nationales pour Catherine.

- Docteur, tout de même,
vous allez trop loin.

- Je suis le seul, ici,
qui ait pitié d'elle.

- Pardi !

- Oui, monsieur, "pardi" !

Moi, j'allais pas la voir
en rasant les murs.

En me cachant.
Moi, je n'avais pas honte.

Honte de rien. J'étais comme elle.
- Celui par qui le scandale arrive.

- Le scandale, ce soir, il est ici.

Ici, au milieu de votre trouille.

Pauvre gosse. À force de rire
de vos grimaces, elle en est morte.

Et il s'est trouvé dans la ville

un courageux citoyen
pour lui tordre le cou.

Justice est faite !
Si on vous amenait le coupable,

vous ne sauriez qu'en faire.

- Docteur, la douleur vous égare.
- Quelle douleur ?

Parce qu'une brave petite pute
est morte ? N'exagérons rien.

Non, pas la douleur. Disons…

le dégoût, l'écœurement.

Si je connaissais le coupable,
je le livrerais jamais

à votre justice.
- Pourquoi ?

- Elle m'inspire pas confiance.

- Ah, monsieur le commissaire !

- Messieurs,

je viens d'arrêter l'assassin.
- Qui est-ce ?

- Sautral !
- L'ami de la petite Nortier ?

- Oui, madame.

- Je suis innocent !

Je suis innocent.

- Je ne vous en demande pas tant.

- Je n'avais aucune raison
de la tuer.

Et puis on s'entendait bien.

- Les témoins disent le contraire.

- Je tue pas les femmes.
- Et des hommes ?

- J'ai fait l'Indochine.
- Ça ne me regarde pas.

- C'est pour vous expliquer.

- Une belle conduite
ne prouve rien.

- Sautral vivait aux crochets
de la fille Nortier.

- Non ! Entre nous,
l'argent allait et venait.

- À sens unique.
- Je suis photographe de presse.

Reporter sportif aux Dépêches.
Je gagne ma vie.

Catherine gagnait la sienne.
- Comment ?

- Je ne lui demandais pas son livre
de comptes. On vivait comme ça.

- Je me demande si le juge
n'est pas un empoté.

- Mais pas du tout.

Il mériterait un poste supérieur
à celui qu'il occupe ici.

Il est très brillant.
- Le soir, à la brasserie de la Poste.

S'il avait été capable,

l'assassin aurait déjà été jugé.
- Quel assassin ?

- Heureusement, il n'y en a qu'un :
Sylvain Sautral.

- Il doit manquer de preuves.

- Qu'est-ce qu'il te faut ?

Il couchait avec cette fille ou pas ?
- C'est plutôt un signe d'affection.

- Ne plaisante pas
sur un sujet pareil.

Tu sembles avoir oublié
que tu vas jouer

un rôle très important
dans ce procès.

- Moi ?
- Oui, toi.

Tu es sur la liste des jurés
prévus pour les assises.

Tu sais comment mon oncle est devenu
maire puis conseiller général ?

- Non.

- À la suite d'un procès.

Il présidait le jury.

Il s'est fait remarquer.

Et voilà.

- Et voilà quoi ?
- Monsieur le maire !

Si ça se trouve,
tu seras peut-être député.

- Mais pour quoi faire ?
- Rien !

Tu vois la tête de mes amies ?

Ce serait excellent pour nos affaires
et l'avenir de nos enfants.

Alors je compte sur toi.

Tu vas les secouer,
tes vieux amis du café de la Poste.

Tu vas pouvoir leur montrer enfin
quel homme tu es.

- Quel homme je suis ?

Quelle femme es-tu,
ma pauvre Geneviève ?

Avec ton air de petite fille
qu'on n'a jamais eu le temps d'aimer.

C'est comme si
nous n'avions jamais existé.

- En liberté provisoire ?

Mais pourquoi ?

Pas étonnant que les assassins
courent les rues.

- Les avocats ne devraient défendre
que des innocents, et avec tact.

Un innocent, 9 fois sur 10,
c'est un coupable

qui va échapper à la justice.

Alors jouez, mon vieux !

- C'est une affaire de gouvernement.

- Ça, tu as raison.
Quand le gouvernement va, tout va.

- Rassurez-vous, chers amis,

Me Abreux m'a demandé la liberté
provisoire pour son client,

mais je ne l'ai pas suivi.

- Bravo ! On lui coupe le cou,
et vive la France !

"Je vous ai compris !"

- Permettez-moi
de vous féliciter.

Emprisonner un homme contre lequel
vous n'avez aucune preuve,

c'est du beau travail,
un bon diagnostic !

- Mais comment ?
- Aucune preuve, et vous le savez.

- Pas de preuves ?
- Des présomptions, peut-être.

Et encore !

Si vous le vouliez, vous pourriez
me soupçonner, moi aussi.

Mais si, voyons !

Vous me considérez tous
comme un anormal.

Vous avez peut-être raison.

Alors ?

Pourquoi pas moi ?
C'est impossible ?

Naturellement. Je suis de votre camp.
Je suis le bon vétérinaire

qui soigne
vos chiens de chasse fourbus !

Et la perruche qui s'ennuie
en famille le dimanche.

- À propos,
devant l'échec de sa tentative,

Me Abreux a demandé
l'examen mental de Sautral.

- C'est classique, ça.

- Si le Général
avait les mains libres…

- Vous ne voyez pas
un autre coupable ?

- Sacré Duval !

- Voyons,
vous qui avez pignon sur rue.

- Puisqu'ils ont leur coupable,
ils vont pas en chercher un autre.

On ouvre la porte.
- La porte !

- Alors, M. Duval,
pour vous, Sautral est innocent ?

- Je n'ai jamais dit ça.

Mais s'il l'était ?

Si vous trouviez un autre coupable ?
- Trop tard.

- Un verre de rhum, une cigarette…

Les frais généraux
ne sont pourtant pas énormes.

- Que feriez-vous ?
- Mon cher, la justice a prévu le cas.

- Deux guillotines !

- Je vous en prie, docteur.

Je rendrais une ordonnance de non-lieu.

Messieurs,
nous avons juste le temps.

Un trèfle.
- Un cœur.

- Je passe.
- 2 cœurs.

- Je passe.
- 3 sans atout.

- C'est bon.

- Tomber sur un 10 quatrième,
c'est pas de chance.

- Excusez-moi.
Je pensais à autre chose.

- Sautral est coupable,
à 10 contre 1.

- Contre 1 ?
- C'est une façon de parler.

Les faits sont accablants.

Nous aurons sa tête.
- Vous croyez ?

- La 1re exécution capitale
dans notre ville.

- C'est intéressant.

- Le préfet en est tout fier.

On commençait à s'endormir,
dans le pays.

Bonsoir, M. Duval.
- Bonsoir, M. le commissaire.

Et alors seulement vint la peur.

Une peur panique.

Folle.
Cloches.

Sans raison.

Sans raison puisque Sautral coupable,
je ne risquais plus rien.

Mais quelque chose
me poussait à fuir cette ville.

Cette ville où vivait un homme
qui me ressemblait, qui avait tué,

et qui était moi.

…

Des générations de Duval
avaient fait ces gestes avant moi.

J'étais seul…

et j'avais besoin de parler.

De parler.

Mon père,
je vous demande pardon.

Je ne connais plus les formules,
mais entendez-moi.

- Dieu vous écoute, mon fils.
- Dieu ?

Non. Il faut que ce soit vous.

Mon père,
un homme est en prison à Pontarlier,

accusé d'un crime.

Accusé d'avoir tué une femme.
Mais il est innocent.

Vous êtes en mesure de le sauver.

Vous seul.
- Moi ?

- Oui.

En proclamant son innocence.

Mon père, c'est moi qui ai tué.

Un accident stupide.

Je n'ai jamais voulu la mort
de cette malheureuse.

Mais cet homme,
c'est grave si je le laisse condamner.

- Remettez-vous-en
à la justice des hommes.

C'est ainsi que la miséricorde
de Dieu pourra s'étendre sur vous.

- Je vous jure
que c'est un accident.

- Dieu le sait.

- Il ne peut vouloir la perte
d'une famille.

- Vous devez d'abord sauver votre âme.
- Moi, je m'arrangerai.

- Il n'y a pas d'arrangement.

Le Seigneur ne peut
vous reconnaître dans cet orgueil.

Allez avouer votre crime.
Vous sauverez cet homme

et tout ce qui peut être sauvé
dans l'enfer où vous errez.

Je ne puis rien pour vous.
Il faut aller jusqu'au bout du chemin.

- J'avais trop espéré.

La solution ne pouvait venir
que de moi.

Ma fuite était déjà finie,
je ne pouvais pas aller plus loin.

Je décidai de rentrer.

Qu'y a-t-il ?

J'ai oublié un anniversaire ?

- Non. Je suis heureuse
de t'apprendre la bonne nouvelle.

Tu as été inscrit
sur la liste des jurés prévus

pour le procès Sautral.

Je suis satisfaite.
- C'est officiel.

- Tu peux être récusé
par la défense ou l'accusation.

Mais qui refuserait
Grégoire Duval comme juré ?

- L'honneur rejaillit
sur toute la pharmacie.

- "Cour d'assises de…

"M. Grégoire Duval,
pharmacien de 1re classe."

- Formidable !
- Tu es le caïd du patelin.

- Je suis incapable de vous punir.
Vous me voyez juger les gens ?

- Tes enfants n'ont encore tué personne.

- Papa, tu n'auras qu'à l'acquitter.
- Allez, à table.

- Les enfants, ça cause.
Ça cause comme des grandes personnes.

Ça doit leur venir
avec l'instruction.

- Tu n'as plus qu'à te montrer digne
de ce nouvel honneur.

Tu ne m'as jamais déçue.

- Tu penses sérieusement

ce que tu viens de dire ?

- Oui, bien sûr.

Il rit.

…

- Quelque chose ne va pas ?

C'est la 1re fois
que je vous vois

rire ensemble.

- Ouais…

Je vois pas très bien
ce que la déposition de ce prêtre

peut apporter à notre dossier.

- Sûrement pas la preuve
de la culpabilité de Sautral,

M. l'avocat général.
- Allons, allons !

Ce brave curé suisse a reçu
en confession un bonhomme

qui prétend être l'assassin.

Nous connaissons tous
ce genre de maniaques.

- Oui, il y en a.

- Je ne voudrais pas
vous décourager,

mais croyez-vous
que votre dossier soit assez lourd ?

- Moi, la tête de Sautral me plaît.

J'ai l'intention de la requérir.

- À part le flagrant délit,
tout accable Sautral.

- Où serait le sport si les assassins
étaient pris sur le fait ?

À quoi servirions-nous ?

- Les présomptions du commissaire
sont sérieuses.

- Les présomptions
sont toujours sérieuses

quand il n'y a rien d'autre
dans un bon dossier

de police.

Valard, vous croyez à la culpabilité
de votre bonhomme ?

- Fermement.
- Il en mettrait sa tête à couper.

Celle de Sautral, bien entendu.

- Voyons, M. Cavalier !

- Excusez-moi de cette plaisanterie.

Après tout, nous ne sommes pas
des bonnets de nuit.

Il faudrait que la session d'assises
coïncide

avec la grande foire annuelle.

Tout le département affluerait
dans notre modeste cité,

et en même temps que le commerce,

la justice serait à l'honneur.

- Je vous en prie.

- Je vous en prie.

- Excusez-moi,
je ne vous avais pas vu.

- Oui. Je maigris, en ce moment.

Dites-moi, vous avez lu
Le Pontissalien ? Excellent papier.

L'Est républicain est plus tiède,
mais Les Dépêches

nous passent déjà une photo
en 1re page.

"Le procès de l'année", mon cher !
Joli titre, ça, non ?

- Je ne voudrais pas
être à votre place.

Je ne crois pas à la culpabilité
de ce malheureux gamin.

- Tiens, tiens !
C'est intéressant, ça.

Expliquez-moi donc
votre façon de voir.

- À mon avis…

- Vous êtes sur la liste
des membres du jury.

J'espère que
vous ne serez pas récusé.

Je suis bien content
de vous avoir rencontré.

Nous allons pouvoir échanger quelques
idées sur l'innocence de M. Sautral.

- Mes hommages, madame.

- Je comptais aller vous voir
pour vous exprimer mon admiration.

- Attendez ma plaidoirie.
- Pourquoi ?

C'est une cause
perdue d'avance.

Je comprends que vous demandiez
secours au Bon Dieu.

À part Lui, je ne vois personne.
- Même pas vous ?

- La brebis galeuse
doit être abattue.

- La peine capitale ?
- Séparons le bon grain de l'ivraie.

- Parfait, parfait…
À bientôt, cher ami.

Heureux de vous avoir rencontré.
Et merci.

Madame.

- M. Parent, Pierre, 20e de la liste.

- Récusé par l'accusation.

- Mme Suquet, Adèle.
8e de la liste.

- Acceptée.
- Récusée par la défense.

- Mme Nadale, Marie,

11e de la liste.

- Récusée par la défense.

Jamais de femme
dans ce genre d'affaire.

- Mme Leroy, Hermine, 1re de la liste.

- Récusée par la défense.
- M. Besançon, Joseph.

2e de la liste.
- Accepté.

- M. Doat, Albert.
4e de la liste.

- Accepté.

- M. Souchon, Henri, 9e de la liste.

- Présent !

- Accepté.

- M. Duval, Grégoire, 21e de la liste.

- Récusé par la défense.
- Non.

Article 298 nouveau du Code

de procédure pénale.
Les droits de la défense sont épuisés.

Vous avez licence de récuser
5 jurés seulement.

- M. Duval…

Accepté.

- M. Laffly, Arthur…

- Félicitations.
Accepté !

- Vous ne m'avez pas récusé ?

- Pas si bête.

Vous avez été récusé par la défense.
Vous passez dans nos rangs.

Je n'en attendais pas moins
de votre conscience républicaine.

- Grâce à tous ces imbéciles,
je n'étais pas récusé.

D'ailleurs, depuis quelques minutes,
je ne le souhaitais plus.

Il me semblait qu'on avait pris
la décision pour moi.

Il me fallait sauver Sautral.

Pour m'éprouver ou pour me punir ?

- L'enquête
à laquelle je me suis livré

m'a conduit à suspecter
l'amant de la victime,

Sylvain Sautral.

Fort connu, au reste,
de notre population,

pour la liberté un peu… voyante

de ses mœurs.

L'accusé,

qui venait de se disputer
avec sa maîtresse,

a été vu, par un témoin,

fouillant dans le sac de sa victime
et en retirant un portefeuille.

- Nous entendrons ce témoin.

Qu'avez-vous

à dire à cela ?

- Ce n'est pas moi
qui ai tué Catherine.

- Enfin, oui ou non,

avez-vous accompagné
votre amie au bord du lac,

dans l'après-midi du 27 septembre ?
- Oui.

- Vous avez donc menti
au commissaire.

- Juste sur ce point.

Je savais qu'on disait
que c'était moi.

- Vous étiez là, on étrangle
votre amie sous vos yeux…

- Mais non !
- Mais si.

- Je m'étais absenté.

- Allez, racontez-nous cela.

- Catherine s'était endormie.
J'ai voulu acheter des cigarettes.

J'allais tomber
en panne d'essence.

Je suis retourné pour prendre
de l'argent dans son sac

puis je suis parti
chercher de l'essence.

- Donc le témoin ne s'est pas trompé

quand il vous a vu prendre
le portefeuille de la victime

dans son sac ?

- Oui. Pour acheter de l'essence.

- Ensuite ?
- Le garage était fermé.

Quand je suis revenu,
il y avait ce pêcheur qui m'accusait.

J'ai filé.

- Sans vous assurer
que votre victime était morte ?

- J'ai déjà vu des morts.

- Je vous en prie…

Le témoin peut-il dire aux jurés

s'il n'a pas eu l'impression que
l'accusé allait avouer son crime ?

- Oui.

J'ai cru que Sautral
allait avouer.

- Merci.

- J'ai toujours nié.

- Mon client aurait avoué,
s'il en avait eu envie.

- Je ne sais pas…
Une impression.

Peut-être Sautral hésitait-il
devant cette alternative :

un aveu qui diminuerait sa peine

ou un mensonge dont la persistance
impressionnerait le jury.

- Mais bien sûr !
- Vous interprétez !

- Une autre question ?

- Non.

- Introduisez le témoin suivant.
- Monsieur le président…

- Monsieur le 7e juré ?

- Je crois que l'article 311

du nouveau Code
m'autorise à intervenir.

- Mais je vous en prie.

Posez toutes les questions
qui vous paraissent utiles

à l'établissement de la vérité.

- Je voudrais que le commissaire…
- Dites "le témoin".

- Que le témoin nous dise si Catherine…

- Dites "la victime".

- Si la victime s'est débattue.

A-t-il relevé sur les lieux
des traces de lutte ?

- C'est difficile à préciser.

Quand je suis arrivé,
des gens avaient piétiné le sol.

- Vous voilà renseigné.

- Excusez-moi.
- Ces scrupules vous honorent.

- Faites entrer le témoin suivant.

- Les déchirures tissulaires du cou

et la fracture de la corne droite
du cartilage thyroïde

témoignent de la violence
de l'attaque.

De même qu'une tache rouge
sur le bas de la joue droite.

Une marbrure…
Un hématome, si vous voulez.

- La trace d'un coup
qu'aurait reçu la victime ?

- Oui. Indépendamment du choc
de la strangulation.

- Le témoin a-t-il relevé
des empreintes digitales

sur la victime,
notamment autour du cou ?

- On ne trouve jamais
d'empreintes digitales nettes

dans les cas de strangulation.

En revanche, les traces des doigts
sont distinctes.

Les empreintes sont brouillées,
mais elles existent.

Or là, rien.

- Donc… ?

- L'agresseur devait être ganté.

- Ganté !

Je demande à messieurs les jurés

de noter ce point

extrêmement important.
Je remercie le témoin.

- Monsieur le 7e juré ?

- Le docteur a-t-il également
examiné l'accusé ?

Parce que M. l'avocat général

a laissé entendre que la victime
avait pu se défendre.

- Pas longtemps.

- Cette résistance
aurait pu laisser des traces.

La victime aurait pu
griffer l'accusé.

- On m'a appelé pour examiner
la victime et pas l'accusé.

- C'est dommage.

Avez-vous examiné les ongles
de la victime ?

Des fragments d'épiderme étranger
s'y étaient fixés ?

- Non. Je n'ai pas procédé
à cet examen.

- Dommage.

- Pas d'autres questions ?
- Non, M. le président. Merci.

- Faites entrer le témoin suivant.

Quels sont vos nom, âge,
domicile, profession ?

- Testut, Albert, 30 ans,
12, avenue de la République.

Employé de bureau.

- Faites votre déposition.

- Nous nous trouvions à l'Échelle.

- Le 26, veille du crime ?
- C'est exact.

J'ai dansé avec Catherine.

- Et à l'issue de cette soirée,

Sautral s'est jeté
sur Catherine Nortier et l'a frappée ?

- Oui. À coups de pied
et à coups de poing.

- Ces violences étaient-elles
provoquées par votre conduite

auprès de la fille Nortier ?

- Je le présume, M. le président.

- Étiez-vous l'amant de la victime ?
- Oui.

Enfin… J'avais eu
des relations avec elle.

- Sautral,

étiez-vous au courant des…

des rapports entre Catherine Nortier
et le témoin ?

- Oui.

- Vous saviez
qu'elle était sa maîtresse ?

- Ils avaient couchaillé ensemble
une fois ou deux.

- Quelles furent vos réactions
devant cette trahison ?

- Ça m'a fait rigoler.

- Je ne comprends pas.

- Ce gars-là, je lui trouve
une tête de comique.

Pour un grand amour,
ça fait drôle.

- Cette drôlerie discutable

permettra de soutenir,
dans mon réquisitoire, que la jalousie

fut l'un des mobiles du crime.
- Nous n'étions pas jaloux d'elle !

Ma plaidoirie le démontrera.

- M. le président.
- Une question, M. le 7e juré ?

- Si je comprends bien
la thèse de l'accusation,

il y a eu coups échangés,
puis Sautral a étranglé sa maîtresse.

- C'est cela.

- Et le rapport du médecin légiste
a relevé les traces de coups

en plus de la strangulation.

- Exactement.

- Pourrait-on entendre à nouveau

le Dr Rally-Marmont ?

- Si M. le 7e juré le réclame,

nous allons le rappeler à la barre.

- M. le 7e juré,
vous pouvez poser votre question.

- Est-ce que la trace relevée
à la base de la joue droite

de Catherine
pouvait provenir d'un coup

reçu antérieurement
au meurtre ?

- Oui, bien sûr.

- Donc il n'est pas prouvé
que la lutte ait eu lieu

immédiatement avant le meurtre.

Elle a pu se produire la veille,
par exemple à l'Échelle.

- Oui.

- C'est tout ce que
je voulais savoir.

- L'audience est levée.

…

…

*Jazz

*
…

- Vous désirez ?
- Donnez-moi un petit kir.

Non. Donnez-moi une framboise.

- Deux.

Oui…

- Alors, deux framboises.

Tu viens souvent, ici ?

- Où veux-tu aller ?

- Oui…
- Pourquoi tu as voulu venir ?

- Pour essayer de comprendre.

Sautral et son amie
venaient tous les soirs ?

- Presque.
Tiens, là-bas, c'était leur table.

- Où ?
- Là-bas.

- Et qu'est-ce qu'ils faisaient ?

- Comme tout le monde.
Ils écoutaient la musique.

On a les derniers
enregistrements américains.

C'est Pierrot, le patron,
qui va les chercher en Suisse.

Et puis ils discutaient le coup,

ils dansaient,
ils s'embrassaient.

- Ils avaient l'air heureux ?

- Va-t'en savoir !

Elle riait beaucoup.

- Tu as dansé avec Catherine ?
- Oui.

Elle me plaisait bien.

- Et tu as…
- Non.

C'est tout, mais c'était bath.

*
…

- C'est drôle…

Avant la guerre,
on dansait déjà comme ça.

Eh oui, presque.

À la manière des Noirs
du Cotton Club, tu sais.

Lester Young, Count Basie…
Armstrong, bien sûr.

Ella Fitzgerald…

Eh oui, mon vieux, déjà !

- C'est en dansant
que je l'avais connue.

- Qui ça ?
- Nadia.

Ça avait été le coup de foudre.

On se retrouvait
près de la cathédrale, à Strasbourg,

dans une petite chambre
rose et grise,

avec des gravures galantes
et un service discret.

Pour certains, l'amour,

c'est la seule grande affaire
de leur vie,

rien d'autre n'a d'importance.

J'avais 25 ans, et je l'aimais.

- Et alors ?

- J'ai pris la fuite comme un voleur,
en rasant les murs.

Pour moi, faire l'amour
était un acte méprisable.

On ne m'avait pas appris que…

La liberté, c'est comme
une espèce de maladie.

J'étais vacciné contre le bonheur.

Je pouvais plus l'attraper.

Et puis…

J'avais été surpris, j'ai eu peur.
- D'elle ?

- Oh non !

Non. De nous.

J'étais déjà fiancé avec ta mère,
tu comprends…

Nadia, c'était…

Nadia, c'était l'inconnu, l'aventure.

- Tu ne l'as pas revue ?

- Non.

J'espère qu'elle en est morte
comme moi, sans rien dire.

- Papa…

- Excuse-moi, mon petit.

Excuse-moi. C'était pour rire.

- Comment ?

Vous changez de crèmerie
sans nous en aviser ?

- Et vous ?

- Moi, je suis un habitué,
mais j'en parle pas.

Vous revenez
sur les lieux du crime ?

Donc ce cher commissaire
doit être sous la table.

Personne.

Auriez-vous déjoué
sa surveillance ?

- Vous croyez

qu'il me fait surveiller ?
- Non !

Puisqu'il l'a,
son petit assassin des familles.

Puis-je vous offrir un verre ?
- Non, merci.

- Non ?
Même pas le dernier ?

Celui qui n'a plus de mémoire ?
- Merci. Il est déjà très tard.

- C'est vrai.

Elle ne reviendra plus.

- Qui ?
- Celle que nous attendons tous.

Garçon !

Non ?

- Non, merci.

- Rien.

Deux fois.

Non, croyez-moi, laissez tomber.

Ce ne sont que des mômes.
Ils ont des tas de problèmes.

Nous, c'est pire.

Que pourrait-on leur expliquer ?

- Rien.

- On s'introduit chez eux
par effraction

et nous retombons
dans notre jeunesse.

Ça fait floc…

- Pardon.

- Ça éclabousse tout.

Une femme rit.

On dirait son rire.

- Quel rire ?
- C'était leur table, là.

- Laisse ça.

- C'était pour l'odeur,

le parfum.

- Vous avez une question à poser,
M. le 7e juré ?

- J'ai un témoin supplémentaire.

- Un témoin non cité ?
De qui s'agit-il ?

- On a beaucoup parlé de l'Échelle.
Or j'aperçois dans la salle

un habitué de cet établissement :

le Dr Hess.

Pourrions-nous l'entendre,
M. le président ?

- M. le 7e juré,
vous pouvez poser votre question.

- Donc vous avez rencontré Sautral
et Catherine Nortier ?

- J'étais leur ami.

- Leur ami ? Mais le bruit
a couru d'une liaison.

- Mais non.

Tout le monde savait qu'elle était
gentille avec moi.

Il y a une nuance.

Et tout le monde s'en foutait.
Re-nuance.

- Même lui ?

- Surtout lui.

Pour comprendre ce petit monde,

il faut admettre
que chez lui,

la jalousie est un sentiment
qui n'a plus cours.

- Des monstres, oui !
- Othello n'est pas mieux compris.

- Les relations de la victime
n'émouvaient guère l'accusé.

- Ce qui dénote quand même
une curieuse mentalité, non ?

- Mais vous n'y croyez pas.
- Comment ça ?

- Puisque à propos du témoin d'hier,

pour qui elle a eu une étourderie,
vous comptiez plaider la jalousie.

C'est bien ce que vous avez dit ?

- M. le 7e juré,

attendez d'avoir entendu
mon réquisitoire.

- Excusez-moi,
M. l'avocat général.

Je suis navré, M. le président.

- Et…

de toute cette pseudo-philosophie

à la mode de l'Échelle,

qu'est-ce que vous pensez,
vous, M. Hess ?

- Ce qui a cours dans ce bistrot
n'a rien d'une philosophie.

C'est tout au plus une morale
pour débit de boissons.

Il est regrettable
d'avoir à lui donner raison.

- Oui, M. le président.
Sylvain Sautral a été mon amant.

- Quelle opinion avez-vous
de l'accusé ?

- C'est un enfant.

- Un enfant gâté.

- Je l'ai en effet beaucoup gâté.

- Comment votre liaison
a-t-elle pris fin ?

- Tout naturellement.
Il avait rencontré Catherine.

- Et il vous a trompée.
- Oh, mais pas du tout.

Il me l'a dit et il est parti.

- Vous avez eu du chagrin ?
- Bien sûr.

Mais Catherine était plus gaie,
plus jolie. J'ai compris.

Qu'est-ce qu'on peut faire ?

- Je ne sais pas, moi, mais j'imagine
qu'une femme de caractère…

- Mon caractère ne me pousse
peut-être pas à la violence.

- Mais l'accusé avait abusé
de votre confiance

en vous laissant croire…

- Il ne se serait pas donné la peine
de faire semblant de m'aimer.

C'est un honnête garçon.

- M. le président…

- M. le 7e juré,
vous avez la parole.

- Je voudrais demander au témoin
si gâter Sautral voulait dire…

- Oui. Je lui donnais de l'argent.

Il ne travaillait pas encore.

Et puis l'argent ne l'a jamais
beaucoup intéressé.

Je l'ai vu très heureux sans argent.

Je l'étais aussi.

- Pardon ?

- Rien.

J'étais heureuse aussi.

Mais ça n'a rien d'intéressant
pour vous.

- Mademoiselle,

Sautral pourrait-il tuer une femme
qui lui refuserait de l'argent ?

- Il faudrait d'abord
qu'il pense à lui en demander.

- Vous ne pensez pas
qu'il ait tué Catherine

pour l'argent ?
- Ce n'est pas possible.

- L'aimez-vous encore ?

- Mais, bien sûr, je l'aime.

S'il veut, il peut revenir.
Il l'a toujours su.

- Eh bien,
la cour et messieurs les jurés

apprécieront ce qu'il faut retenir
de ce témoignage

si manifestement marqué
par une aussi touchante passion.

- Vous pouvez vous retirer,
mademoiselle.

Greffier, le témoin suivant.

- Vous entendiez la dispute ?
- Comme si j'y étais.

- Vous les voyiez ?

- Non. J'étais trop loin.

Et il y avait des arbres.
Soudain, ils ont cessé de crier.

- Brusquement ?
- Oui.

Ça m'a même frappé.
- Ensuite ?

- Je continuais à ramer,
et j'ai fini par les voir.

La fille ne bougeait plus.

- Elle dormait.
- Mais oui.

- Le gars a pris le portefeuille
et il est parti.

- La querelle n'a pas repris ?

- Non, puisque Sautral était parti.

- Pas d'appels, pas de cris ?
Vous êtes sûr, monsieur Garampon ?

Mais souviens-toi, imbécile !

C'est pour la faire taire,
que je l'ai tuée.

- Plus tard, peut-être…
Une espèce d'appel.

- Des cris ?

- On peut pas dire. J'étais trop loin.
Je ne voyais plus l'endroit.

- Si la victime a appelé,

c'est qu'elle n'était pas morte.

- Évidemment.

- Ce n'est pas si important.

D'abord, Sautral a pu revenir
pour étrangler Catherine.

Ensuite, le témoin peut-il affirmer

que l'appel entendu
provenait bien de la victime ?

- Ça, non.

- Alors ?

- Malgré tout, je ne pense pas
qu'il y aurait eu

beaucoup de femmes
pour crier au secours.

- Je n'en ai pas fini
avec M. Garampon.

- Bien. Continuez.

- Est-il certain que c'était Catherine
et Sautral qui se querellaient ?

Vous ne les avez pas vus se disputer.

- Qui d'autre ça pouvait être ?

- C'est ce que je demande.
Il me vient une idée.

Si vous regardez les photographies
prises par l'identité judiciaire,

vous pouvez remarquer un transistor.
- Et alors ?

- Précisez votre pensée,
M. le 7e juré.

- La dispute entendue par le témoin
sortait du transistor.

L'accusé a coupé l'émission
avant de fouiller dans le sac.

Et le témoin a été frappé
par le silence soudain.

- Ingénieux !

- Il faut une vérification
des programmes de la radio.

- M. le 7e juré fera-t-il confiance
à la justice en cette occasion ?

- Certainement,
M. l'avocat général.

- M. Garampon, vous nous avez dit
avoir observé l'accusé

pendant qu'il fouillait
dans le sac ?

- Oui.
- Comment était-il habillé ?

- Il avait un pantalon et un tricot.
- Avez-vous noté un autre détail ?

- Oui. Quelque chose m'a frappé :
il portait des gants.

- Mon client s'est déjà expliqué
là-dessus.

Il était en panne d'essence
et son jerrycan était sale.

- Et aussi parce que ses gants
allaient lui servir à étrangler

son amie
sans laisser d'empreintes !

- Je proteste ! Je proteste.

- Faites entrer

le témoin suivant.

- Je cherchais des champignons,
et je tombe sur cette pauvre fille !

Entre nous, je pensais :

"Si ça leur arrivait plus souvent,
elles auraient

"moins chaud
quelque part."

- Évitez de penser.

Des faits.

Quelle fut votre réaction ?
- J'ai crié "au secours".

Ça n'a pas été long.
Il en est sorti de partout.

Ils se bousculaient
pour se rincer l'œil.

J'en étais écœurée,
M. le président.

- Voici les photos prises
par l'identité judiciaire.

Pas de questions,
monsieur le 7e juré ?

- Mais voyons, j'étais là… J'étais
même là avant tout le monde.

Elle était recouverte par l'écharpe
avec laquelle elle se protégeait.

Où est cette écharpe ?

- Avez-vous touché au corps ?

- Comment ?

- Voulez-vous répondre
à la question de M. le 7e juré ?

- Oh, M. le président…

Je ne crois pas.

Non…

Non… Je ne pense pas.

J'étais si émue…
Pensez donc, une morte !

- M. le président, j'ai l'impression
qu'une jeune femme surprise nue

aurait tenté, par réflexe,
de dissimuler sa nudité.

Nous devrions voir quelque chose

avec quoi elle aurait tenté
de se protéger.

- À moins, M. le 7e juré,

à moins que l'assassin
ne soit un de ses intimes.

Ce qui est, je crois,
d'ailleurs, le cas

de l'accusé.

- À moins que le témoin
ait effectivement touché au corps.

- Mais, monsieur, j'étais émue.

Je n'ai pas l'habitude de découvrir
des cadavres, nus ou pas.

- Ce détail est d'une importance
considérable pour l'accusé.

Ça peut être une présomption
très grave contre lui.

Or je m'estime insuffisamment
informé par ce témoin imprécis.

La cour ne pourrait pas
se rendre sur place ?

- Sur le lieu du crime ?
- Oui.

Une reconstitution de la découverte
du corps est indispensable.

- La cour se transportera demain
sur les lieux.

L'audience est levée.

…

- M. le président, c'était comme ça
que le corps était disposé.

- Madame, essayez de vous souvenir.
C'est capital.

Vous êtes sortie du sentier,
vous êtes arrivée devant le corps.

Voulez-vous refaire
votre mouvement, je vous prie ?

- Non. C'est inhumain,
de me faire revivre ça !

- Nous savons, mademoiselle.

Mais nous avons besoin
de connaître la vérité.

- Mademoiselle, refaites vos gestes.
Si vous vous en souvenez, bien sûr.

…

- Oui…

C'est ça, il y avait l'écharpe.

- L'écharpe ?

- Mais oui !

Au début,
j'ai pensé qu'elle n'était qu'évanouie,

que peut-être cette étoffe
l'empêchait de respirer.

- Voulez-vous
me montrer cela ?

- Elle l'avait là.

- Allons, mademoiselle,
refaites vos gestes.

- Voilà.

C'était ainsi.
- Allez-y.

Faites ce que
vous avez fait.

- Je refais tout ?
- Tout.

- Bon.

Au secours !

Au secours ! Il y a une morte !
Il y a une morte !

Il y a une morte !

Il y a une morte !

- L'écharpe est sans doute
l'arme du crime.

N'importe quel rôdeur
a pu s'en servir

pour étrangler la victime
sans empreintes.

Les gants de Sautral
étaient donc inutiles.

L'absence d'empreintes
ne l'accuse plus.

Je ne vois plus
ce qu'on peut lui reprocher.

- La cour avait à répondre
à deux questions :

Sautral était-il coupable
d'avoir volontairement donné la mort

à la femme Catherine Nortier ?

La cour,
à la majorité prévue par la loi,

a répondu "non" à cette question.

La question subsidiaire
est donc déclarée sans objet.

En conséquence,
l'accusé est acquitté

et sera remis en liberté,
s'il n'est détenu

pour autre cause.

L'audience est levée.

…

- Qu'est-ce que tu penses
de Sylvain Sautral ?

- De Sautral ?

- Oui.

- J'en pense rien.

Ou plutôt pas grand-chose.
- Oh si !

Tu penses que c'est un petit voyou.

Tout juste bon à vivre
aux crochets des femmes.

Et de quelles femmes !

- L'attitude d'Alice Moreux
ne m'a pas paru déplaisante.

- C'est bien une opinion d'homme.

Tu as sommeil ?
- La journée a été dure.

- Sans toi,
Sautral aurait été condamné.

- Mais il est innocent.

- Qu'en sais-tu ?

Grégoire…
- Oui ?

- Pourquoi tant d'acharnement
à le défendre ?

- Il s'agissait de comprendre.
C'est pas pareil.

- Ah oui.

Quand tu prépares
une potion sur ordonnance,

tu te mets

à la place du médecin ?

- S'il y a trop d'arsenic, oui.

- Tu ne sais rien d'autre ?
- Non.

Et toi ?

- Si Sautral n'est pas le criminel,

il y a dans la ville un homme
qui a étranglé Catherine

et qui se cache.

- Tu as peur ?

- Ce jour-là,

on était tout près.

Tu aurais pu voir quelque chose.

- J'ai rien vu.

Il faudrait dormir.

- Tout de même, Grégoire…

on était si heureux.

- Qu'est-ce que ça veut dire,
"être heureux" ?

- Tu as raison…

Dors.

- Boire…

Manger, dormir…

Heureux, malheureux…
Ah oui !

Oui, on était heureux à en crever.

Ou plutôt à en étrangler une autre.

Une autre qui s'arrangeait
pour faire tout ça mieux que nous.

Pourtant, Sautral acquitté,
j'aurais dû me sentir apaisé,

dégagé de ma responsabilité.
Non.

Non. Ça ne suffisait pas.

- "Je voudrais demander au témoin…"

Ils n'en menaient pas large,
les témoins.

- On rate toujours
les bonnes occasions.

- Papa a vraiment
été formidable ?

- Quand on n'a qu'un père,
il faut le choisir à sa main.

Vous pouvez être fiers du papa.

Il a fait acquitter un assassin.
C'est du beau boulot.

- Je voudrais voir

M. Duval.
- Ah ! C'est ce que je leur disais.

- J'ai entendu ce que vous disiez.

Bonjour.

- Je suis content de te revoir.
- Moi aussi.

- Tu nous as manqué, à l'Échelle.
Enfin, vous nous avez manqué.

- Laurent, Pauline, en haut.

…

- Je suis venu vous remercier.

- Vous êtes innocent,
n'est-ce pas ?

Alors ?

C'était vraiment pas la peine
de vous déranger.

- J'avais la Terre entière
contre moi.

Sans vous…

J'avais l'impression
que c'était vous, mon avocat.

- J'ai déjà entendu ça.

- Pourquoi vous m'avez défendu
comme ça ?

- Un simple besoin de justice.

- Vous avez été formidable.
Continuez, j'ai besoin de vous.

- Voyons, on ne vous soupçonne pas
d'avoir tué quelqu'un d'autre.

Qu'allez-vous inventer ?
- Rien. C'est eux.

Ces gens ne m'ont pas acquitté.

Je viens de passer
un bon moment en prison.

Mais, pour eux,
je suis toujours l'assassin.

- Vous avez été reconnu innocent.
- Par qui ?

- Mais par le tribunal !

Vous êtes libre. Qu'est-ce que
je peux faire de plus pour vous ?

- Je ne sais pas.

- Eh ben, si vous ne savez pas,
laissez-moi travailler.

- Oui, bien sûr.
Mais il faudra qu'on en reparle.

- C'est ça. On en reparlera.

Allez.

- Il faut pas me laisser tomber.

- Je commence à en avoir marre,
de ce gars-là.

Et tout de suite, la honte me vint.
Devant les autres,

qui étaient heureux de me reconnaître
pour un des leurs.

- J'ai déclaré Sautral coupable.

- Bien entendu !

- 3 questions, 3 réponses :
coupable !

Et vous avez le bonjour
de Souchon, Henri, classe 35,

121e régiment d'infanterie,

ancien prisonnier de guerre.
Vive la France !

Mission accomplie.

- En somme, vous lui avez
coupé la tête 3 fois.

- C'est un bon début.
- Qui dit mieux ?

- Volontaire pour le coup de grâce ?
- Toujours ! Debout, les morts !

- Joli tempérament.

- Je ne comprends pas votre attitude.
- Vous nous avez surpris.

- Accusé Duval, répondez.

- J'ai obéi à ma conscience.
- Très bien !

Vous êtes sur la bonne voie.
Ils vont vous en coller pour 20 ans.

- Il y a la conscience et les faits.

- Bravo ! Ça ne veut rien dire,

puisque les faits, il les a foutus
en l'air. Mais bravo.

La conscience, les faits…

Du vent !

- Vous avez bu, vous.

- Juste assez pour vous supporter.

Alors, à qui la parole ?
La conscience ou les faits ?

- Il n'y a jamais de fumée sans feu.

- Et ce Sautral, il a sûrement
des appuis politiques.

- Vous y êtes.
Des appuis à droite et à gauche.

Il y a des airs qui ne trompent pas.

- Ne confondez pas les choses.

- Ah, parfaitement !
Et les ballets roses, alors ?

- Messieurs,
nous avons affaire à un assassin.

- Vous parliez de moi ?

C'est ici que vous tenez
vos assises ?

Les vraies, hein !

Alors j'ai décidé
de venir faire un tour.

Je suis de la maison ?

Ces messieurs du jury…

Ce sera un cognac.

- Qu'est-ce que je fais ?
- C'est un client comme les autres.

- T'as le mot pour rire !

- Elle est pas la seule.

Des mots pour amuser la société,
j'en ai jusque-là !

Alors ça ne vous suffit pas
de m'acquitter ?

Avec vous, je suis innocent
avec sursis, innocent à perpétuité !

"La chose jugée",
m'a dit ce connard d'avocat…

Je suis innocent de gré ou de force,
alors je peux vous dire la vérité !

Je n'ai pas étranglé Catherine.

Elle est bien bonne, non ?

Allez, un autre cognac.

- Innocent ou non,
ça ne peut pas durer comme ça.

- Alors ?

- Je te donne 48 heures
pour quitter la ville.

- Pourquoi 48 heures ?
- Tu veux le savoir ?

Je vais te l'apprendre !

- Ça a bardé, pour son matricule.

- La jeunesse a pas reçu
une bonne éducation.

- Mettez le verre de Monsieur
sur mon compte.

Ne restez pas là, Sautral.

- Bon.

Mais je reviendrai voir
où vous en êtes.

Ça m'intéresse.

C'est vous qui l'avez tuée.

C'est même ça
qui vous fout la trouille.

Il y a un assassin
parmi l'honorable société,

et il a la même gueule
que les autres.

Vous parlez d'un alibi !

Attention, mémé.
Ça pourrait bientôt être ton tour.

Couic.

- Les innocents sont insupportables,
cette année.

- Voilà bien la justice !
Il vient nous tuer à domicile.

C'est à cause de vous.

- Pardon ?

- C'est vrai !

- Vous l'avez fait acquitter.

- Il est innocent.
- C'est vous qui le dites.

- Et la majorité du jury.

- Oui, oui…

- Il sera innocent
quand on aura l'assassin.

- Bravo !
- Voilà, exactement !

- Et comme vous êtes le plus fort,

plus malin que la police,
plus fin que les avocats,

plus avisé que la cour
et plus savant que les médecins,

nous attendons le nom du coupable.

- Vous l'aurez, votre coupable.
- Quoi ?

- Et croyez-moi,
vous serez bien étonnés.

Je passerai vous voir
demain matin.

- Il est très fort, M. Duval.

Il doit avoir sa petite idée.

- Pourvu que cette fois,
elle contente tout le monde.

- Eh bien, voilà,
la ville avait gagné.

J'allais lui livrer l'assassin.

La ville ou bien…

Depuis que ma décision était prise,
je me sentais en paix.

J'avais retrouvé le Grégoire
qui savait aimer sans la peur,

sans tuer.

Le Grégoire qui aurait
peut-être su aimer Catherine

comme, à 25 ans,
il n'avait pas osé aimer Nadia.

- Tu as mis ton complet bleu ?
- Tu vois.

- Où vas-tu ?
- Voir le commissaire Valard.

- Oui. Je sais.
Mme Hornez sort de la pharmacie.

- Elle perd pas de temps.
C'est une bonne cliente, hein !

Une cliente à migraines.

- Tu as dit au commissaire que
tu lui donnerais le nom du meurtrier.

Tu le connais ?

- Je le connais comme toi.
- Qui est-ce ?

- Tu le sais bien,
tu l'as toujours su. C'est moi.

- Ce n'est pas vrai.

- Comme tu veux.

- Moi, en tout cas,
je ne dirai jamais rien.

- Pourquoi ?
- Je suis ta femme.

- Eh oui, tu es ma femme.

Pour le meilleur et pour le pire.

Il faut que j'y aille.

- Et les enfants ?

- Espérons qu'ils ressembleront
à leur mère.

Je reconnais avoir tué
Catherine Nortier,

le dimanche 27 septembre.

- Bravo, vous m'avez eu.
- Je ne plaisante pas.

- Vous avez raison.
Nous méritons cette leçon.

Nous y avons été trop fort.

La chose est jugée, que diable !

- Enregistrez mes aveux.

- Je ne vais pas vous inculper
d'outrage à la magistrature.

Tout le pays rigolerait.

Vous avez assassiné Catherine ?
- Je vous le jure.

- Je vous crois.
- Tout de même.

Nous avions déjeuné chez Dhôte,
en famille.

- Et voilà !

Voyez-vous, Duval,
moi aussi, j'ai un aveu à vous faire.

Votre perspicacité au procès
m'a agacé.

Vous tombiez trop juste.
Ce n'était pas possible.

Alors j'ai tout vérifié en détail.
Seulement, tout le monde vous a vu

faire la sieste avec Sylvère.

Vous avez 10 témoins.

- Ils n'ont rien vu.
- Comme tous les témoins oculaires.

Non. Croyez-moi, Duval :
commencez par étrangler vos alibis,

et revenez me voir.

Nous avons tous les deux à faire
dans nos pharmacies respectives.

Le meurtrier court toujours.

Allez, à ce soir.

Ils vont en faire une tête,
à la brasserie.

Vous allez avoir les rieurs
de votre côté. Sacré Duval !

- Oh là, compagnon des mauvais
jours, où allez-vous ?

- Je ne sais pas.
- Eh ben, c'est sur mon chemin.

- Vous ne voulez pas
le nom du tueur ?

- Le nom ?

Ma foi, non. Pour quoi faire ?
Je le connais très bien.

- Allons donc ?

- Mais si. Chacun de nous
s'y est mis un peu.

Et un jour, l'un de nous
s'est trouvé là pour faire couic !

- Mais c'est quand même lui
qui a tué.

- Et alors ?

Regardez cette bête innocente.

Depuis qu'elle existe,
elle n'a fait qu'aimer.

C'est sa nature.

Seulement, elle est devenue
malade, malpropre.

Alors, ses maîtres n'en veulent plus.

Et je suis chargé de la piquer.

Et ce serait moi, l'assassin ?

Non, mais je ne la piquerai pas.
Mais chut !

Pas un mot sur le crime.

- Laissez-moi vous dire…

- Non, Duval !

Laissez-moi faire disparaître
le corps de ma victime.

Pas de traces, pas d'innocents,
pas de coupables.

Des hommes, des femmes
et des petits chiens.

Quelle humanité !
On ne peut pas choisir.

Il faut tout aimer, en vrac,

pour rien oublier.

Ou tout jeter.

Et on n'a pas toujours le courage.

…

- Mlle Alice Moreux, s'il vous plaît.
- Je l'ai vue sortir.

- Et M. Sautral ?
- Oh, lui, il est là !

1er, à droite.
- Merci bien.

Il sonne.

- Qui est là ?

- C'est M. Duval, pharmacien.

Allons, ouvrez-moi.

…

- Vous prenez un verre ?
- Non. Merci.

Vous croyez pas
que vous buvez beaucoup ?

- Je fais ce que je veux.

Il y a pas longtemps, mais je suis
redevenu un homme libre.

Bien d'accord ?

- Il faut que vous partiez, Sautral.

Ils ne vous permettront jamais
de vivre ici.

Pour eux, vous ne serez jamais
un innocent.

- Mais si !

Il n'y a qu'un moyen :
il faut leur donner l'assassin.

Rien que pour voir
ce qu'ils en feront.

Et moi,
je rigolerai le verre à la main.

À la santé du crime !

- Personne ne veut me croire.

- Moi non plus,
on n'a pas voulu me croire.

Il ne faut pas
vous décourager.

À propos…

qui est-ce ?

- C'est moi.

- Vous ?

Alors là ! Vous croyez pas que
vous jetez le bouchon un peu loin ?

Le vétérinaire
ferait bien mieux l'affaire.

Mais il se serait dénoncé
tout de suite.

Le véritable assassin,
c'est le bistrot.

Ma tête à couper !

Vous, ça marche pas. Faudra
vous repencher sur le problème.

- Je vous dis que c'est moi.

C'est moi seul.

- Soyez gentil,
ne vous foutez pas de moi.

Grâce à vous,
je suis un homme libre.

Libre de vous croire
ou de ne pas vous croire,

de faire ce qu'il veut,

d'être haï par une ville entière,
de se soûler,

de gueuler !

Libre jusqu'à la mort.

Et si je m'acquittais
une fois pour toutes ?

J'y pensais.

- Vous êtes fou ?

- Qu'est-ce que ça peut vous foutre ?
Si je me flingue, qui ça regarde ?

Parce que ça aussi,
c'est une solution, que je me flingue.

C'est même la solution rêvée.

On est tous d'accord :
il faut que je disparaisse.

Alors, la suppression radicale,
vous connaissez mieux ?

- Il faut partir.
Je vous aiderai.

- Ah non !

Non. J'ai mes habitudes, ici.
Je connais tout le monde.

Même l'assassin.

- Donnez-moi ce revolver.

- Jamais de la vie.

D'abord, c'est pas un revolver.

C'est une clé.

Il ouvre des portes.

Un monde où les gens sont gentils.

Pas des brutes.
Pas ces sauvages d'honnêtes gens.

- Donnez-le-moi.
- Non !

…

Coup de feu

Cette fois…

vous m'acquittez trop.

- Mais c'est pas moi.

C'est pas moi.

Mais c'est pas moi !

…

*Chant de Noël

*
…

- Ah, te voilà !

Tu connais la nouvelle ?
Sautral…

Il s'est suicidé.

- Je sais !

- Tu venais juste de le quitter.

- Il y a toujours des témoins.
- Le commissaire est là-haut.

Écoute. Tu es le dernier
à l'avoir vu vivant.

Tu comprends ?

- Je suis surtout le premier
à l'avoir vu mort. Tu comprends ?

Tu comprends ?

- Grégoire !

Grégoire ! Que vas-tu faire ?
- Tu le sais très bien.

- La vérité, ça ne sert à rien…
- C'est la vérité.

- Tu ne feras pas revivre
cette fille, ni ce garçon.

Tu es responsable de tes enfants.
- Vous êtes tous d'accord.

- Ne dis rien. Personne
ne t'en demanderait davantage.

- Je ne veux plus mentir.

- Tu es fier d'être un assassin ?
- C'est pas de la fierté.

- Je ne te laisserai pas tout gâcher.
- C'est déjà fait.

Je viens de tuer Sautral.

- La concierge affirme
qu'il s'est suicidé après votre départ.

- Il s'est suicidé
parce qu'il était coupable.

- Assez !

J'ai voulu le désarmer,
le coup est parti. C'est un accident.

Écoutez-moi bien, vous.

C'est pas aujourd'hui
que j'ai tué Sautral.

Mais c'est moi qui ai été
le responsable.

Le jour où j'ai tué Catherine,
ce pauvre garçon était condamné.

Vous m'entendez ?
Condamné par mon silence.

Tout a été ma faute.

Mais, dites donc,

vous aussi, vous êtes un criminel.

Si vous m'aviez arrêté, ce matin,
Sautral ne serait peut-être pas mort.

Vous étiez bien décidé
à éviter le scandale. Mais si !

On ne soupçonne pas M. Duval,
colistier aux élections municipales.

Votre partenaire au bridge !
Je ne pouvais pas être un tueur.

Vous vous condamniez tous.
Pourtant, c'est la vérité !

Alors, ce soir…

Bien que ça ne serve plus à rien,
Geneviève…

Tu entends,
bien que ça ne serve plus à rien,

j'avoue.

J'avoue encore.

J'avouerai toujours.

- Mais oui.
Nous vous croyons, Duval.

Bien sûr.
- Enfin !

Qu'est-ce que vous foutez là ?
Il y a pas de cadavre à disséquer.

Il n'y a qu'un assassin à arrêter.

- Duval…

Duval, je vais vous demander
de me suivre.

- Volontiers.

…

Pourquoi ceux-là ?

- Mon amour…

Sois raisonnable,
ces messieurs veulent t'examiner.

- C'est toi ?

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- C'est toi qui as téléphoné
au médecin, ce matin.

C'est toi qui as eu l'idée
de la maison de…

de la maison de fous.

Comme je te retrouve.

- Mais c'est pour ton bien,
mon chéri.

- Et l'avenir de la pharmacie.

Tu as gagné, Geneviève.

Il vaut mieux avoir dans sa famille
un fou plutôt qu'un assassin.

Comme ça, le crime crapuleux
devient dépression nerveuse.

Comme tu leur ressembles !

- Tant que vous vous accuserez
de méfaits imaginaires,

nous devrons vous soigner.
C'est l'affaire de quelques semaines.

- Non, docteur.

C'est l'affaire de toute ma vie.

J'ai choisi, allez…

Prison pour prison,
celle-là en vaut bien une autre.

J'étais déjà prisonnier.
Je le resterai jusqu'à ma mort.

Je suis à vous.

- Je passerai vous faire signer
quelques papiers.

- Merci, docteur. Pour tout.

Ne te tourmente plus,
Grégoire.

Guéris et reviens-nous vite.

Nous t'attendons, moi et les enfants.

- Si ça t'arrange,
dis aux enfants que je suis malade.

Mais toi, tu sais

que je ne vous reverrai jamais.

…

*Chant de Noël

*
…

Voilà. C'était simple.

La ville me punissait à sa manière,

en se refermant sur son secret.

Geneviève, la bonne épouse,

avait tout organisé
pour que ça ne dérange personne.

Mais moi,
je venais aussi de comprendre.

Ce n'était pas le meurtre
de Catherine

dont on me demandait le prix.

C'était celui de Nadia.

Si on me l'avait dit tout de suite,

j'aurais payé ce que je devais
depuis si longtemps.

*
…