All language subtitles for Boule de Suif (1945) HD 1080p Upscaling_Track03

...

...

Coups de feu.

Explosions au loin.

-Ils arrivent ?
-Oui, ils sont là.

-Personne ne les arrête ?

-Allez-y. J'en ai tué 3.

-Où sont-ils ?

-Que va-t-il se passer ?

-Ce qui se passe toujours. Le
bataillon prendra vos victuailles.

Le corps d'armée videra vos caves,
garde-manger et coffres-forts.

-Ils sont arrivés.
-Merci pour la nouvelle.

-C'est toi, Henri. Entre.

Mais tu es blessé.

-Non, mais je l'ai échappé belle.
Dubreuil est fusillé. Simon aussi.

Barbey est fusillé.
Une embuscade.

Peux-tu me prêter un vieux
vêtement. Tu dois avoir ça.

-Bien sûr.
Pourvu qu'il t'aille.

Ca s'est passé où ?
-A la côte Sainte-Catherine.

J'ai cru ne jamais arriver.

-Un peu d'alcool, ça te remettra.
Et t'as pensé à venir ici ?

-Où je serais allé ?
-Chez Jeanne.

-Pour l'amour,
pas pour la confiance.

-Je vais chercher ton vêtement.
-Tiens.

T'as une bonne cachette ?
Si les Prussiens viennent chez toi,

l'hébergement de francs-tireurs,
tu connais le tarif.

-Des Prussiens chez moi !

-Ils te demanderont pas ton avis.
Quelque chose de bien, hein !

-Oui. T'as pas envie d'un habit ?
Il y en a un qui en a laissé un,

un soir qu'il avait bu. C'était
Edmond. Il est devenu quoi ?

-Tu ne sais pas ? Il est
dans l'armée de la Loire.

-Tiens, essaie-le.

Bruits de bottes.

-Les voilà.

-Halte !

-Les salauds !

Et voilà. Rouen est pris.
Ca me fait un drôle d'effet.

-On est trahis. Trahis partout.

Ca n'est pas fini, va.

-S'ils frappent ici,
qu'ils te trouvent...

-Je m'en fous. Mais toi...

-Ouvrez !

Ca frappe avec force et insistance.

-Je reste pas avec ces gens-là.
-Où aller ?

-Là où ils ne sont pas.
Je me débrouillerai.

Entendre ça toute la journée, non.
Je ferais un scandale

ou je tomberais malade.

-Je crois que je t'ai
assez compromise.

-Tu couches pas là ?

-Je suis fatigué.

-A la bonne franquette.
J'ai pas le goût à ça.

-Je vais pousser
jusque chez Cornudet.

-Qui c'est, Cornudet ?
Ce grand qui se croit républicain ?

-Tu le connais ?
-De vue. C'est loin chez lui.

-500 m. Il loge
à l'hôtel de Normandie.

-Je vais voir si tu peux
sortir. C'est pas prudent.

Henri, dépêche-toi. Personne.

-Bonne chance.
-Au revoir.

...

On frappe à la porte.
-Entrez !

Bonjour, qui est-ce ?

Henri, qu'y a-t-il ?

T'en fais une tête.

C'est mon exposition de Badinguet
qui te surprend ? Réfléchis.

Frederick Charles a coupé
l'armée de la Loire. Chanzy est

en difficulté à Tours, Bourbaki
à Nevers, Faidherbe à La Fère,

Garibaldi va se faire battre
à Dijon, Gambetta est à Bordeaux.

Dans Paris, Trochu perd la tête
pour faire croire qu'il en a.

Bavarois et Prussiens campent ici
à Rouen. L'apothéose de Badinguet !

Bonjour. Coup dur à
la côte Sainte-Catherine ?

-On a perdu des hommes.
Il y a eu 3 fusillés.

Les autres ?
-Ils ont traversé la Seine

pour gagner Pont-Audemer.
-Vous me conseillez quoi ?

-De les rejoindre pour poursuivre
la lutte. Pas de grandes attaques.

Harcelez ! C'est la
meilleure tactique.

-On est sûrs de vous trouver ici ?
-Non, je fais mes vals.

-Où allez-vous ?
-Au Havre.

-Vous partez quand ?

-J'en sais rien.
Je viens de me décider.

Je vais en dire 2 mots
à Poidevin. Attends-moi.

-Entrez !

-Tu permets ?
-Je t'en prie.

-Compliments. Ce sont des trophées.
Tu as fait des prisonniers.

-M'en parle pas.
On n'est plus chez soi.

Heureux que ma femme soit morte.
Elle se ferait du mauvais sang.

Des journées historiques pareilles,
je m'en passerais volontiers.

-Oh, je ne sais pas, moi.

-Tu es débordé.
-Je me souviendrai de votre guerre.

Donnez-lui le 17.
-Il exige 2 pièces.

-Je les prends où ?
Sinon, il retourne d'où il vient.

Ma parole.
Ils se croient en pays conquis.

-Je partirai demain matin à 7h30.
Tu peux retenir ma place ?

Dans ta diligence.
-Plus de diligence. On est occupés.

-Il faut absolument que je parte.

-Adresse-toi au général ! Il vient
de réquisitionner mon 1er étage.

-Désolé. Je n'ai pas de permission
à solliciter d'un locataire.

-Ca, mon vieux

On frappe.
-Entrez.

-Bonjour, mon ami.

-Bonjour, M. le comte.
-Que dites-vous de ces choses ?

Si c'était pour en arriver
à cette débâcle

qu'on a honteusement chassé
le roi Louis Philippe.

Février 48 nous coûte cher.

Plaît-il ?

-Rien, monsieur, rien.

-Depuis 1h, ces messieurs logent
chez moi. Fort courtoisement.

J'ai donc décidé d'abandonner
ma demeure à mes hôtes

et de m'absenter jusqu'à
la restauration du duc d'Omal.

Il rit.

-Plaît-il ?
-Rien, citoyen.

-Retenez-moi 2 places
pour demain matin à 7h30.

-M. le comte, c'est impossible.
Il faut une autorisation.

-Je n'ai qu'un mot
à dire au préfet.

-Ca ne dépend pas du préfet
mais des Prussiens.

-Bien. On s'entend d'autant mieux
qu'on ne parle pas la même langue.

-S'ils refusent ?
-Pourquoi, puisque je veux partir.

On frappe.
-Entrez.

-Monsieur Poidevin ?

Tiens, bonjour, M. le comte.

Vous vous souvenez
de notre dernière conversation ?

Je vous l'avais dit. Tôt ou tard,
on paiera la facture de 89.

Au bout de Valmy, il y a Waterloo.
Au bout de Waterloo, Sedan.

Quel désastre. Nous ne
l'avons pas volé d'ailleurs.

40 ans de romantisme,
une littérature malsaine.

La décadence. Il fallait ça
pour provoquer cette catastrophe.

-C'est l'évidence. Sans Lamartine
et Victor Hugo, nous aurions gagné.

-Parfaitement.
-Ben voyons.

-J'ai dû liquider mon personnel.

-Non, vos 3 filatures ?

-Fermées. Heureusement que
j'ai gardé une poire pour la soif.

Dès le 13 juillet, la rente tombée
à 67 F, j'ai déposé de l'argent

chez un agent de Londres.
Je vais le rejoindre au plus vite.

Retenez-moi 2 places dans
la diligence de demain matin.

-Navré, M. Carré-Lamadon, on
ne peut plus quitter la ville.

-Il faut que je parte.
Je partirai.

-Hélas, cher monsieur,
les ordres de l'occupant.

-Ca concerne
la population. Pas nous.

Vous devez nous tirer de là.
Nous sommes conseillers généraux.

On a des responsabilités. Pour
les assumer, on doit se mettre

hors de portée.

-Quand ils connaîtront
votre situation politique,

vous n'y couperez pas. Otages.

Qui dit otage dit pan pan !

-Non ! Vous croyez ?

-Poidevin, vous répondrez de notre
vie devant Dieu qui vous jugera.

-Je l'ai dit. On ne peut
plus quitter la ville.

-Peur ?

-Pas pour moi, pour ma femme. J'en
ai vu d'autres. J'ai eu 2 grèves.

-Et ils ne vous ont pas massacré ?
C'était pas des vraies grèves.

-Entrez !

-Poidevin !

Poidevin ! Poidevin, mon sauveur.

-Messieurs, M. le comte.

Quelle journée. Ils sont
tout de même rentrés.

Moi, je me disais,
ils n'oseront pas. Rouen, le port.

La cathédrale, Jeanne d'Arc.
Et ils ont osé !

Tout ça, c'est
la faute de Charlemagne.

Si on avait démembré
l'empire de Charles Quint.

Tu te doutes de ce qui m'amène. On
doit quitter Rouen à la 1re heure.

Oh là là là !

-Pas là !

-Merci.

On est si nerveux qu'on ne sait
plus ce qu'on fait de son derrière.

Il te reste 2 places pour moi ?

-Non.
-Quoi ?

-Laisse-moi finir...
-Ah, non, pas toi à moi.

L'Etat me doit des sommes énormes.
L'intendance a réquisitionné

mes vins. Il n'y a qu'au Havre
que je rentrerai dans mon argent.

-Les Prussiens s'y opposent.

-Je ne leur ai rien fait.
-Mesure générale !

-Qu'il fasse une exception.

-Poidevin, pour nos
laissez-passer, combien ?

-Tout dépend du général.
-Et les généraux sont chers.

-Je peux te donner
de l'argent et en or.

-Vous ne partirez pas
avant 8 jours.

-L'essentiel est que nous
partions. Dites un chiffre.

-Oui, évidemment, ça...

Je vous rends un gros service.

-Mais oui. Fais leur un prix,
service compris.

-Bon voyage !
-Merci.

-Voulez-vous mon avis ?
Ils ne sont pas arrivés.

Si tant est qu'ils arrivent jamais.

D'un côté les francs-tireurs,
de l'autre, les Prussiens.

Bah, ils ont voulu partir !

...

-Hein ?

-Tu la connais ?
-Qui ?

-Elle.

Au fond.

-Et alors ?

-C'est la fille Rousset,
Boule de suif.

-Non...

-Y a pas de quoi sourire.

Une prostituée.

Ah, cette guerre.

Quelle guerre.

-Vous avez vu ?
-Quoi ?

-Au fond.
-Eh bien ?

-Vous ne la reconnaissez pas ?
-Qui ?

-Elle.

-Non !

Quel toupet ! Voyager avec
nous comme une personne naturelle.

-Tu as vu ?

Tu as vu à ma gauche ?

-Eh bien ?
-Tu la remets pas ?

Boule de Suif !
-C'est Boule de Suif ?

Pourquoi l'appelle-t-on ainsi ?

-Elle a gardé son surnom.
Elle a perdu sa graisse.

-Une fille galante.

Nous sommes bien des vaincus.

N'est-ce pas comtesse ?
-Plaît-il ?

-Vous avez vu ?
-Où ?

-Au fond, en face.
-En face.

-Vous la connaissez.
-Est-ce cette fille publique ?

-Oui, comtesse.

-Elle a bien la mine effrontée
des femmes de mauvaise vie.

-Chère amie ?
-A votre gauche, vous avez vu ?

-Quoi donc ?
-Regardez, vous verrez.

-N'est-ce pas cette personne
qu'on appelle...

Charmant séjour.

On se croirait en république.

Tout de suite à ma gauche.
-Eh bien ?

-C'est lui.
-Qui ?

-Gambetta, Rochefort,
la voyoucratie.

-Je vous plains de tout mon coeur.

Entre cette fille et le comte.

-Eh bien ?
-Vous savez qui est cet individu ?

-Non.
-Cornudet.

-Le démocrate ?
-Oui, le voyoucrate.

Edmond.

-Hum ? Quoi ?

-A côté de la fille Rousset.

-Admirable. La révolution épaulant
la prostitution. Beau programme.

C'est une diligence infernale.
-Quoi ?

-Sur le même rang que nous.

-C'est moi qui vous
l'ai dit, la Rousset.

-Il y a pire.
-Pas possible.

-Voyez vous-même.
-Cornudet ?

Je ne fais pas de politique,
mais du commerce.

-Pas de bon commerce
sans bonne politique.

-Je vends du vin. Ca se boit
à la santé de tout le monde.

Du roi, de l'empereur, de Bismarck,
du pape et de la belle-mère.

Tu as remarqué, au bout.

-Naturellement j'ai remarqué.

Ce n'est pas une diligence.
C'est un fourre-tout.

-Quand je songe à ces 8 jours
pour obtenir nos laissez-passer.

-Je ne regrette pas ces 8 jours.

J'ai observé objectivement nos
vainqueurs et révisé le jugement

inconsidéré
que je portais sur eux.

-Une partie de mon appartement
a été réquisitionné

par le baron Von Plattenburg,
un homme délicieux et agréable.

Au fond, l'aristocratie est
une petite patrie au-dessus

des patries ordinaires. Qu'est-ce
qui me sépare du baron ? Rien.

Le langage.

-Entre gens d'une même situation de
fortune, on se comprend fort bien.

L'intérêt est un sentiment.

-En principe, je n'aime pas
les Prussiens.

Mais je dois reconnaître qu'il y a
plus d'affinités entre moi et lui

qu'entre moi et certains
individus dont le comportement

et l'opinion sont un véritable
attentat à la bienséance.

-Très juste.

Quand j'écoute les raisonnements
de certains compatriotes,

je me crois à l'étranger.

-Arrêtez !
Vous ne passez pas.

-Qu'est-ce que c'est ?
-Qu'y a-t-il ?

-Arrêtez !

-On ne peut pas passer ?

-Pas par-là. Fais un détour.

-Pourquoi ? On va à Clères.

-Prends à gauche. Tu retrouveras
la route à 3 lieues.

-C'est défendu de passer par-là ?

-On va attaquer un convoi prussien.

Allez, file.
-Oh, c'est gai. Allez, hue !

Si ça continue, moi, je dételle.
Bonne chance, les gars.

-Quelle époque. On est à la merci
du caprice des francs-tireurs

et autres désoeuvrés.

-Chacun fait sa petite guerre.
Les Français ont perdu

mais veulent pas s'avouer battu.
-Les Français. Vous êtes Esquimau ?

-Si tout va bien, avec le détour,
nous serons à Clères vers 2h

et à Dieppe vers 7h, 7h30.

-Nous n'allons pas jusqu'à Dieppe.

-Allons bon.
-Nous descendons en route.

-Nous allons oublier
cette époque ridicule à Uville,

dans le château de notre cousin.

-Et si le château d'Uville
est occupé ?

-On n'occupe pas une oeuvre d'art.

Les Prussiens, Dieu merci,

sont des gens cultivés.
Quand ils verront ce château

qui a résisté à l'assaut
des saisons et des siècles,

ils s'inclineront comme seuls
peuvent le faire les descendants

du grand Frederick,
le prince lettré.

-Hallo Von Eyrik !

Trinken Sie mahl
ein Glas Cognac mit mir !

-Danke sehr.

On vous a écrit ?

-Ma femme.
C'était son anniversaire.

-Envoyez-lui ceci de ma part,

avec mes hommages.

Il parle en prussien.

-Vous vous ennuyez ?

-Et vous ?

-Non, moi, j'ai la musique.

-Moi, j'ai la guerre.

-Je voudrais être chez moi,
à Postdam.

-Moi, je voudrais être chez nous,

à Paris.

On frappe.
-Was ist denn loss ?

-Und ?

-Quelle heure est-il ?

-Funf minuten vor zwei.

-Deux heures moins 5, juste ?

Parfait.

Prenez ces prisonniers
et fusillez-les à 2h exactement.

Et venez me rendre
compte. Compris ?

Einverstanden ?
-Ja wohl, herr lieutenant !

-A 2h, exactement.

...

Assez !

Sonnerie de la pendule.

Coups de feu.

Il parle prussien.

-Herr lieutenant !

-Kommen Sie !

Bravo. Champagne, Karl ?

Bien mérité.

Messieurs.

A la victoire !

Tout s'est bien passé ?

-Ja, Herr lieutenant.
-Il ne reste plus de prisonniers ?

-Ein, Herr Lieutenant.
-Franc-tireur ?

-Nein ! Otage !
-Une fonction officielle ?

-Nein ! Mais il est père
de 5 enfants.

-C'est mieux. On fait 5
orphelins avec un seul mort.

Joli coup de fusil.

Pourquoi riez-vous ?
Je ne plaisante pas.

Encore lui !

Toujours lui.

-Qu'est-ce qu'il y a encore ?

-Rien.

Ma bête noire
comme disent les Français.

-Colonel Falsberg.

-Ober Farlsberg. Ja wohl.

-Pas trop émue ?

-Vous ne me quitterez pas ?
-Mais non.

C'est moi qui parlerai.

Faites-moi confiance.
Vous avez confiance en moi ?

-Désolé, je n'ai pas
le temps de vous recevoir.

- 5imn, pour un malheureux otage.

-Ces choses-là ne me concernent
pas. Voyez le lieutenant Eyrik.

Il demande à faire
recevoir le curé.

On va vous annoncer.

Et votre clocher ? Toujours
dans le même état de résistance ?

-Mais... Je ne comprends pas.

-Si !

Vous êtes très intelligent.
Avant notre arrivée,

il faisait ding dong dong
tous les jours.

Depuis que nous sommes là,
plus rien, le silence.

Votre église a perdu sa voix.

Ce n'est pas gentil,
M. le curé. Pas gentil.

Enfin. Au revoir.

Et bonne chance.

-Der Lieutenant Von Eyrik erwarten
Sie. Loss. Kommen Sie. Schnell.

-Ah, M. le curé.

Madame.

Que puis-je

faire pour vous ?
-Le colonel m'a assuré

que je trouverais
bon accueil auprès de vous.

-M. le curé, n'en doutez pas.

Je suis, vous le savez, un homme
de bonne volonté. Je vous écoute.

-Moi, monsieur, je suis
un vieillard très malheureux.

Chaque jour, mes paroissiens font
l'objet de mesures de répression.

-Les Français ne sont pas sages,
M. le curé. Nous devons sévir.

-Sans doute. Mais votre
justice a perdu conscience.

Elle frappe inconsidérément
ses victimes

-Dieu réparera mes torts.
Il est là pour ça.

-Un jour il vous faudra
comparaître devant lui.

Alors vous rendrez grâce au curé
d'Uville qui vous aura permis

de faire le bien
et de sauver votre âme ?

-Vous êtes un ange tentateur.
Mon âme court un danger

et vous voulez lui porter
secours. Une âme de Prussien.

-Dieu distingue seulement
les bons des mauvais.

-Un fin psychologue. Quelle
pénitence allez-vous m'imposer ?

-Est-ce une pénitence
que d'empêcher un crime ?

-On va commettre un crime ?
Vous connaissez le coupable ?

-Non, mais je connais la victime.
J'ai amené cette pauvre femme

dont le mari a été arrêté
par vos soins et jeté en prison.

-Je ne suis pas au courant.
Merci de votre information.

Quand l'a t-on arrêté ?

-Hier matin.

-On ne l'a pas arrêté
pour passer le temps.

On a quelque chose à lui reprocher,
des explications à obtenir...

-Vous l'avez pris pour otage.

-C'est différent.

-Le bruit a couru que vous aviez
l'intention de le fusiller.

-Oh, madame, je suis désolé.

-Il n'a rien fait,
M. l'officier. Rendez-le-moi

-Vous le rendre ?
Vous arrivez bien tard, madame.

Il est fusillé.

-Vous avez fait ça ?

Vous avez fait ça ?

Ce n'est pas vrai.

Dites, ce n'est pas vrai.

-Calmez-vous, madame.
Il est fusillé...

dans mon esprit, moralement.
Un otage, on finit toujours

par le fusiller, hélas.

Quand on ne parle pas la même
langue, il y a des malentendus.

-Enfin, il vit.
On peut le voir, lui parler.

-Quel métier exerçait votre mari ?
-Boulanger.

-A Uville ?
-Oui, M. l'officier.

-On avait besoin de lui à Uville
pour fabriquer le pain.

C'est un beau métier,
boulanger, un noble métier.

-Vous allez me le rendre, dites.

Vous ne pouvez pas le garder.

On n'a rien à lui reprocher.

-Les francs-tireurs, M. le curé.

-Monsieur ?

-Ils vivent dans les bois, dans
les campagnes, dans les granges.

-Je ne sais pas.
-Oui.

-Ils vivent comment, de quoi ?
Qui les ravitaille ?

-Je l'ignore.

-Ils mangent quoi ? Du pain !

Qui leur fournit le pain ?

Le boulanger.

Madame, je vous plains.

-Vous ne parlez pas sérieusement.
Le boulanger ne peut pas...

-C'est égal ! Les francs-tireurs
assassinent lâchement nos soldats.

Ils pillent notre matériel.

Sans la complaisance de la
population, ils seraient anéantis.

Mais ils trouvent partout
des crapules qui les ravitaillent.

Vous-même, vous encouragez
l'insubordination des civils.

Le silence de votre clocher est une
mesure de provocation intolérable.

C'est vous, les Français,
qui avez provoqué les sanctions.

Le sang appelle le sang.

Je suis désolé de cet incident.

Naturellement,
vous aimez votre mari.

-Vous pensez.

Il y a 25 ans que je suis sa femme.

J'ai 5 enfants.

-Alors, de toute façon, vous
ne resterez pas seule au monde.

5 enfants, c'est une consolation.

-Je vous en supplie, M. l'officier,
je vous en supplie. Rendez-le-moi.

Dites, rendez-le-moi.

C'est un brave homme.

Un vrai.

Si vous le connaissiez. Tout le
monde l'aime bien. N'est-ce pas ?

Vous pouvez demander
des renseignements partout.

Ils pourront vous dire quel homme
c'est, mon vieux. Un bon vieux.

Et pas méchant pour un sou.
Si vous me l'enlevez...

Si vous me l'enlevez,
qu'est-ce que je vais devenir ?

J'aurais plus
qu'à me laisser mourir.

On s'est jamais quittés tous les 2.

Ah ! Il doit s'en faire
en ce moment du mauvais sang.

Et des idées, à me savoir
comme ça, toute perdue.

C'est la 1re fois que
je l'aurais rendu malheureux.

Il n'a pas mérité ça.

Vous pouvez pas tuer un grand-père.

Dites, M. l'officier.

C'est un grand-père,
mon vieux.

Il a pas travaillé toute son
existence pour en arriver là.

Il a rien à se reprocher.

Je vous le jure.

Je vous le jure.

Il a rien à se reprocher.

-Il est Français. C'est
une lourde responsabilité.

-Il a 5 enfants. Songez-y.

-Je vais essayer d'arranger ça.
Comment s'appelle ce monsieur ?

Bonnin, Marcel.

-Merci.

Karl.

Fusillez-moi tout de suite
le nommé Bonnin, l'otage.

Faites-le immédiatement.

Transportez le corps
à son domicile.

Votre mari sera chez vous
ce soir, madame.

-Je savais bien que vous
n'étiez pas méchant.

Je vous l'avais dit, M. le curé.
Vous avez fait une bonne action.

Le bon Dieu le saura.
-Je vous l'avais dit.

Je suis un homme
de bonne volonté, M. le curé.

Vous me devez un angélus.
Je vous salue.

...

Coup de feu.

...

-Quoi encore ?

-J'ai faim.
-Tu n'es pas le seul.

-Tu aurais dû emporter des
provisions. Je t'avais prévenu.

-On devrait être arrivés depuis
longtemps. Il est presque 4h.

-J'ai un mal de tête.
L'appétit, comme tous les désirs,

doit être satisfait.
N'est-ce pas ?

-Je meurs d'inanition.

-Moi, j'ai un creux...

-Dors. Un repas de moins,
c'est autant de gagné.

-Affamé,
je n'ai pas sommeil.

-S'embarquer sans biscuits.
C'est ridicule.

-Je n'ai jamais obéi aux ordres
d'un estomac que j'ai toujours

considéré comme
un organe domestique.

Mais en ce moment,
j'avoue, j'ai faim.

J'ai très faim.

-C'est très curieux.
J'ai toujours cru que la faim

était un sentiment démagogique.
Pas du tout. C'est une réalité.

-Ah ! Chateaubriand,
truffes, faisan rôti...

-Vous divaguez, mon cher.

-On devrait faire comme
sur les bateaux en détresse.

Un passager à la broche.

On choisit la fille Rousset.
Je retiens la cuisse.

Non, pas la cuisse.
Elle est trop légère.

-Vous êtes impayable.

Il est impayable.

Quoi ?

...

-A la bonne heure.

Madame a pris plus
de précautions que nous.

Rien n'est plus réconfortant
que voir quelqu'un manger ainsi.

-Si vous en voulez, monsieur,
vous me feriez plaisir...

-Oh, madame...
-Mais si...

-Je refuse pas. Je n'en peux plus.
A la guerre comme à la guerre.

-Voilà
-Non, c'est trop.

-Mais non, je vous en prie.

S'il vous plaît.

-S'il vous plaît.

-S'il vous plaît.

-Bon appétit,

mon cher.

-La cuisse dont je rêvais.

Ca, c'est de la cuisine.

-Ma soeur, sans vous déranger.

Mais si !

-Pas de cérémonie.
Quand on a faim, il faut manger.

-Vous avez raison.

-Avec joie. J'ai le courage
de mes opinions. J'ai faim.

-Plutôt cette petite aile.

-Ma soeur, pardon.
On va s'installer.

-Egoïste.

-Fais comme moi. Demande-lui
de te prêter une cuisse.

-J'ai de la dignité, moi.

-Ca te fait une belle jambe.
Attends. Tu vas voir.

Notre charmante compagne
accepterait-elle d'offrir

un morceau de
n'importe quoi à Mme Loiseau ?

-Certainement.

-Vous permettez ?

-Vous permettez ?

-Bon appétit, ma chère.

-C'est merveilleux.

-Servez-vous toutes, mesdames.
Et offrez-en à ces messieurs.

-Voilà qui est parlé.

Dans des cas pareils,
on est tous frères et soeurs.

Acceptez, que diable ! Savons-nous
où nous passerons la nuit ?

Nous ne serons pas à Clères
avant demain midi.

Servez-vous, M. le comte.

-Madame, nous acceptons
avec reconnaissance.

-Mes soeurs.
-Bravo. Et vous savez,

la reconnaissance du ventre,
est autre chose que celle du coeur.

C'est vrai que moi,
j'ai du coeur au ventre.

Votre poulet est merveilleux.
Le plaisir du palais

vaut les plaisirs pris autrement.
-Votre terrine est un bienfait

des dieux.
-C'est moi qui l'ai faite.

-Vous faites aussi la cuisine.

-Un chef d'oeuvre ce pâté.
Je ne regrette pas mon voyage.

-C'est bête. Depuis 2h, j'avais
envie de vous offrir de partager

mes provisions, j'osais pas.

-Il ne fallait pas. Nous sommes
accessibles à tous les sentiments.

-Je vous voyais
avec votre faim.

J'aime pas voir
les gens malheureux.

-Y a qu'à pas les regarder. On a
beau dire, la vie est agréable.

-Ne vous affolez pas. Je vais voir
s'il n'y a pas péril en la demeure.

On peut peut-être déjeuner
sur l'herbe.

-Alors ?

-Moi, si ça continue, je dételle.
Ca y est ! On est dans un trou.

Charrette de saloperie
d'ordure de foutaise !

Là ! Sortez pour me donner
un coup de main. Dépêchez-vous.

Les jours, c'est comme les putains.
A peine levées, déjà couchées.

-Attention. Il y a des dames.

-Je ne dis pas ça pour elles.

-Quelle boue !

Quel bourbake ! Quelle bourbakie !

La bourbakie, la bourbakie !

Coup de canon.

Pardon. C'est quoi, ça ?

-Rien. Le canon.

Coups de fusil.

-Le canon ? Et ça ?

-Rassurez-vous.
Des coups de fusil.

-Des coups de fusil ?

-Mais mon ami,
il y a de la boue.

-S'il n'y avait pas de boue, on
serait pas embourbés. Faut pousser.

Charogne de saloperie
d'ordure de foutaise !

Nom de Dieu ! Pardon ma soeur.

-Laissez le bon Dieu
tranquille. On y va ?

-Non, ma soeur, pas vous.

-Pourquoi ? J'en ai désembourbé
d'autres. Charrettes, ambulances

et même des canons. Allons-y !

-Allez, tous ensemble. Ho ! Hisse !

-Quelle existence. Je suis dans
la démocratie jusqu'aux chevilles.

-C'est la boue de l'ancien régime.

-HO ! HISSE ! HO ! HISSE !

...

-Halt !

Voulez-vous descendre messieurs et
dames et sortir vos laissez-passer.

-Allez, par ici.

-Loss ! Loss !

Montrez-moi vos
laissez-passer, et vite.

On vous les rendra
demain matin au départ.

Passez !

-Bonjour, messieurs.
Comte et comtesse de Bréville.

-Passez !

Allez, allez !

Passez !

-J'ai l'honneur de vous saluer.
-Passez !

-Qu'est-ce que vous avez
à me regarder comme ça ?

-Nerveuse ?

Vous avez peur de moi ?

-Peur de vous ? Vous avez
la folie des grandeurs.

-Charogne de saloperie
d'ordure de foutaise !

-Prenez ce que vous voudrez.
Faites comme chez vous.

Les bouteilles sont sur la table.

Ici, c'est à la bonne franquette.

-Vous avez du bon vin. Tant mieux.

-Je ne compte plus clair.
Ca soûle davantage.

Vous, vous avez une tête à vin.

-Une tête à vin ? Et si
je ne buvais que de l'eau ?

-Je dirais que cette femme est une
menteuse. Elle trompe son monde.

-Regardez ma femme.
Elle aussi, elle a une tête à vin.

-Ne l'écoutez pas.
-Et moi, j'ai une tête à vin ?

-Oh, vous, vous ne devez pas aimer
l'eau. Il n'y a qu'à vous regarder.

Coup de canon.

-Vous avez entendu ?
-Ce n'est rien.

Si vous aviez été là
quand on s'est battus.

-Il y a eu bataille à Clères ?
-Devant ma porte.

Ils se battent

à 3 lieues d'ici.

-Si près ? 3 lieues ?
Vous êtes sûr du chiffre ?

-A Longueville.
On les entend d'ici.

-Il faudrait faire
quelque chose. Les repousser.

-On attend que vous pour ça.

-Je suis pas fait pour la guerre.
Je suis né avec un parapluie.

-Ca devait être un joli spectacle.

Je suis très content
d'être venu jusqu'ici.

-Oui ? Pourquoi ?

-Ca m'aura permis
de vous connaître.

-Vous auriez pu
me connaître autrement.

-Et vous estimer.
Je ne vous dirai qu'un mot.

Vous êtes un monsieur.

Ce qui vous distingue
de M. Loiseau.

-"Monsieur", c'est bien
la 1re fois qu'on me dit ça.

-En descendant de la diligence,
en répondant à ce Prussien,

vous m'avez fait plaisir.
-J'allais pas me jeter à son cou.

-Mlle Elisabeth Rousset.

-C'est moi.

-Le capitaine demande vous, vite.
-Moi ?

Il vous a dit pourquoi ?
-Nein.

-Oui. Je regrette mais j'irai pas.

-Gut, gut !

-Je n'ai pas de conseils à vous
donner mais moi, j'irais le voir.

-J'ai quitté Rouen
pour plus les voir.

-Comment est-il cet officier ?

-C'est un Prussien.
-Il est gentil ?

-Pour ce que je vais en faire.

-Oh, madame.
Madame, vous avez tort.

-Votre refus peut amener
des difficultés considérables

pour vous et vos compagnons.
-Ils sont les plus forts.

-Oui. On sait pas encore
s'ils sont les plus forts.

-Si la Prusse gagne,
elle ne se relèvera pas.

-A 1re vue, cette démarche
ne comporte aucun danger.

Il s'agit probablement
de quelques formalités oubliées.

-Mais naturellement.
Par qui avez-vous obtenu

votre laissez-passer ?
-Pas par les Prussiens !

-Avant de faire un coup de tête,
songez qu'on partage les risques

de votre imprudence.
-Prenez vos responsabilités.

-Je ne participe pas au débat.

Ne vous souciez pas
de ma personne.

-Il n'y a pas que votre personne.
Nous avons ici de faibles femmes

dont l'existence
nous est précieuse.

-Alors, madame ?

-Oui. Alors ?

-Alors ?

-C'est bien pour vous.

-Attendez-moi !

Je vous montre le chemin.

-Ca n'a pas été facile.

-Comment croire qu'une personne
de sa condition fut aussi hostile

à l'uniforme ?
-Pourquoi ? C'est naturel.

Que fait-elle donc ?
-Ca se voit. C'est une...

-Une quoi, M. Carré-Lamadon ?
-Une... Rouennaise.

-Et alors, M. Follenvie ?

Une porte claque.

-C'est fini.
-Déjà.

-C'était pas la peine de faire
tant d'histoires. D'ailleurs...

La voilà.

-Un peu de vin, je vous prie.

-Eh bien, mademoiselle ?

-Une belle canaille,
votre officier.

-Notre officier !

-Il s'est montré brutal ?
-Il vous a manqué de respect ?

-Que voulait-il ?
-Ca ne regarde que moi.

-Bien. N'insistons pas.

-Mademoiselle a son secret.
Respectons son silence.

-Elle a parfaitement raison.
Cette histoire n'a aucun intérêt.

-Il voulait la voir, il l'a vue, il
est content. On n'en veut pas plus.

-Que ceci ne nous empêche pas
de boire et de manger.

-Boire, manger, digérer,
fière devise.

La devise de Louis Philippe.

-Ne mêlez point Louis Philippe
à vos philippiques.

-Je dis qu'il a des ambitions
royales. Rien de péjoratif.

-Messieurs !

Pas de mauvaise humeur inutile.

Nous sommes arrivés, nous faisons
un honnête repas en compagnie

de femmes charmantes
dans l'auberge de M. Follenvie.

Que demander de plus. La chair
est succulente, le vin est cher.

Les discours sont vains.
Vive nous et à bas les autres !

-Assez ! Taisez-vous !

9h. Vous faites trop de bruit.

Le capitaine ordonne

à vous de monter tout de suite
dans vos chambres. Loss, loss !

Tout de suite !

-Si tu t'étais tenu convenablement
au lieu de crier comme un écorché.

-Je ne criais pas.
J'en appelle à nos amis.

-Ne vous attardez pas ici.

-Nous vivons sous la botte.
-Fallait pas vous faire battre.

-Je ne me tiens pas
pour battu, mon cher !

-Il serait capable
de nous faire des ennuis.

-Mademoiselle, monsieur,
vite, dans votre chambre.

-Vous finirez
votre dîner là-haut.

-Mes soeurs.

Mes soeurs, puisque
vous ne couchez pas ici,

la petite va vous
accompagner à l'hospice.

Au revoir, m'sieurs dames !

Demain matin,
on vous réveillera à 6h.

La diligence part à 8h.

Je ne serai pas là.
Je reste couché jusqu'à 10h.

A cause de mon asthme.

Bonne nuit.

-BONNE NUIT.

...

-Nein ! Nein ! Nein !

Nein. Nicht partir.

-Pourquoi qu'on partirait pas ?

-Vous, rentrez chevaux maison.
Ordre du capitaine.

-Vous pouviez pas dire
ça hier au soir ?

-Ordre du capitaine.
-Pas la peine de répéter. Allez !

Viens, je vais ronfler.

-Bonjour, mesdemoiselles,
bonjour, les enfants.

Les autres ne sont pas encore là ?

Pas encore descendus ?
Ils vont me mettre en retard.

Dire qu'il va falloir
remonter dans ce corbillard.

Ma parole.
Les chevaux ne sont pas attelés.

Où est le cocher ?
Il devrait être là.

-Il n'est pas dans la cour ?
-Mais non. Il faut le secouer.

-C'est pas ordinaire.
-Nous n'allons pas partir à midi !

-Hé !

Pas encore levé ? Il est 8h.

-On part pas.
-Mais si, dans un quart d'heure.

Dépêchez-vous !
-On ne part pas ! Laisse-moi !

-Alors ?

-Remontez chez votre dame.
On ne part pas.

-Comment, on ne part pas ?

-Bonjour monsieur.
-Ah ! Vous voilà !

-Une bonne nuit ?
-On ne part pas ?

-C'est gentil. Vous prolongez ?

-Pas du tout. C'est le cocher qui
vient d'annoncer ça à votre fille.

-Il a pas attelé ?
-Non.

-Ca, par exemple.
-Puisqu'on ne part pas.

Ma femme me l'avait dit.
Ce voyage ne finira jamais.

-Mon cher Loiseau,
j'ai l'honneur de vous saluer.

On va se remettre en route.

-Non, on ne part pas.
-Comment ça

on ne part pas ?
-Et pourquoi ?

-Je vous le demande.

-Salut, la fraternité.
Pas trop en retard ?

-Vous êtes en avance.
On ne part pas.

-Pourquoi ?
-On n'a pas eu d'explications.

-Il faut en demander.
-M. Loiseau !

Vous oubliez un sac.
-Qu'importe. On ne part pas.

-On ne part pas.
-Comment ça ?

-Il prétend qu'on ne part pas.

-Qui a dit ça ?
-M. Loiseau.

-Alors, on part.

-Vous voyez bien qu'on ne part pas.

Alors ?

-Que voulez-vous que
je vous dise. Ordre du capitaine.

-Qu'est-ce qui lui prend ?
-Il m'a rien dit.

Il a des lubies.

-Caprice de vainqueur ?
-Tactique ?

-Ou mesure générale ?

-Vous connaissez la nouvelle ?
On ne part pas. Ordre du capitaine.

-Quand l'heure sera décidée,
vous nous préviendrez.

Coup de canon.

-Vous avez entendu ?

Qu'est-ce que c'est encore ?

-Un coup de fusil.

-Fusil ou pas fusil, nous ne
pouvons rester à 3 lieues de ça.

Je ne veux pas attraper un mauvais
coup. Un obus est si vite arrivé.

-C'est mon opinion.
La bataille peut s'étendre.

-Bien sûr. Ah !

Voilà l'autre.

-Bonjour !

Pas trop en retard ?

-Vous avez passé une bonne nuit ?
Eh bien, vous pouvez remonter.

On ne part pas.
-C'est vrai ?

C'est écrit sur le visage
de M. Loiseau

-Vous n'avez aucune responsabilité.
Moi, j'ai de l'argent à récupérer.

Je ne peux pas mourir en ce moment.

-On ne va pas rester ainsi.
Mme Follenvie !

Où est sa chambre ?
-Pourquoi ?

-On veut des explications.
-Il ne vous recevra pas.

Seul M. Follenvie a le droit.
-Dites à votre mari de descendre.

-Impossible. Il dort jusqu'à
10h. A cause de son asthme.

On ne peut le réveiller
qu'en cas d'incendie.

-Au feu !
-Qu'est-ce qui vous prend ?

-Au feu ! J'appelle M. Follenvie.

Ma vie est aussi précieuse
que son sommeil. Au feu !

Pas avant 10h.
Nous verrons. Au feu !

-Chut !

L'officier !
-Voilà !

Où est-ce que ça brûle ?

Ne lui dites pas que
c'est vous qui avez crié au feu.

Il casserait tout.

-Alors ?

Vous avez entendu ?

On a crié au feu.
-Ou ça ?

-Ici.
-Ici ? Non.

-Je dormais, on a crié "au feu".

-Je n'ai rien entendu.

-Je sais ce que c'est. C'est mon
asthme qui me monte à la tête.

Je vais me recoucher.

-8h45,
c'est plus la peine.

-Mais ! Mais pourquoi
n'êtes-vous pas partis ?

-Au dernier moment,
le capitaine s'y est opposé.

-Pourquoi ?

-Ca, il nous l'a pas dit.

-C'est inquiétant.

-Si vous étiez gentil,
vous iriez demander au capitaine

de nous accorder une entrevue.
-Il va m'envoyer promener.

-Vous lui remettrez
nos cartes de visite.

-Avec nos titres...

-Faites un effort, M. Follenvie.

-Oh là là là là...

Enfin !

J'y vais.

-Eh bien moi, j'ai faim.

-Le signe d'une conscience pure.
-Mme Follenvie !

-Restez, mesdames.

-Tenez.

Ca, on n'a plus
grand-chose à manger.

C'est pas comme avant.

Je peux vous faire
cuire une côtelette.

-Des andouillettes.

-Quant à vous, vous avez le courage
de manger dans un moment pareil.

-Qu'a-t-il d'extraordinaire
ce moment ? Le matin, je déjeune.

-Vous avez entendu ?

-C'est la porte.

-Déjà ?

-Ah !

-Le capitaine n'a rien voulu me
dire. Il vous recevra ce soir à 9h.

-Nous avons gagné la 1re manche.

-Ne comptez pas sur moi. Je n'irai
pas le voir. J'ai aucune curiosité.

A 9h, je fumerai ma pipe.

-Il est 9h ?
-Non. Pas tout à fait.

-Allez-y.

-Herein !

Entrez !

-M. Loiseau, négociant en vin.

-Comte Hubert de Bréville.

-Carré-Lamadon, conseiller général.

-Alors ?

-Vous l'avouerai-je, nous avons été
ce matin, péniblement affectés...

-Passons !

Alors ?

-En apprenant que notre départ
avait été différé par vos soins,

nous avons pensé...

-Ce que vous pensez
m'est égal. Alors ?

-Puis-je vous demander
les raisons de cette interdiction ?

-Non !

-Cette mesure nous
vise-t-elle personnellement ?

-C'est mon affaire !

-Pourrons-nous partir ?

-C'est mon affaire. Alors !

-J'attire l'attention sur le fait
que nos occupations importantes...

-Assez !
Des occupations importantes ?

Il n'y a pas d'autres occupations
importantes en temps de guerre

que la guerre.

Sortez !

-Pourrai-je vous prier...
-Non !

Sortez ! Bonsoir !

-J'ai l'honneur de vous saluer.
-Moi de même.

-Excusez-nous.
-Raus ! Raus !

-Ah ! Pas trop tôt.

-Que dit-il ?
-Vous n'avez pas été violents ?

-Mais tout s'est
admirablement passé,

dans une atmosphère de dignité
et de bonne volonté réciproque.

-Quand part-on ?

-Nous avons maintenu nos positions
respectives. Aucune décision

.n'est prise de part et d'autre.

-Pour le moment, nous restons.
C'est la seule attitude convenable.

-On n'est pas plus avancés.

-Savez-vous seulement
pourquoi nous ne partons pas ?

-Il a été très évasif.

-Il ne vous a pas dit qu'il
vous gardait comme otage, non ?

-Quoi ?
-Je vous demande ça à tout hasard.

-Il nous a rien dit de pareil.

Comme otage ? Non.

Il ne nous aurait pas reçu de cette
façon avec de pareilles intentions.

Vous avez eu l'impression
qu'il parlait à des otages ?

-Certainement pas.

-Mlle Elisabeth Rousset.

-Mademoiselle. On vous appelle.

-Vous voulez quoi ?
-Capitaine demande

vous avez pas changé avis ?

-Non, je ne changerai jamais
d'avis. C'est clair ?

-Gut ! Gut !

-Chère madame,
vous avez l'air bouleversée.

Il ne faut pas être impressionnée.
Voyez comme elle est pâle.

-Un peu d'alcool ?
-Si seulement je pouvais lui dire

ce que je pense.
-Que vous veut-il ?

-Ca ne concerne que moi.
-Qu'a-t-il dit hier ?

-Rien d'intéressant.

-Donnez-moi votre main.
Vous n'avez pas confiance en nous ?

Confiez-nous ce gros secret.

-On finirait par croire
que vous vous méfiez.

-Allons. Elle a
la fièvre, vous savez.

-Que vous veut-il ?

-Ce qu'il veut ?

Coucher avec moi !

-Oh...

-Ah ! J'aime mieux ça.
Nous ne sommes plus des otages.

-Cet officier ne doute de rien.

-S'il compte sur moi, il peut
attendre. Je préférerais me tuer.

-Il ne faut pas y songer.

-N'y pensons plus.
M. Follenvie, du calvados.

Oublier, il faut oublier
et ne plus faire une tête pareille.

Que risquez-vous ? Nous sommes là.

Alors

-A présent, nous savons
pourquoi nous restons ici.

-Tenez, M. Loiseau.

0Goûtez-moi ça.

-Merci. Il est vieux ?

-De l'autre guerre.
-Ah, tout de même.

A votre santé, messieurs.
A votre beauté, mesdames.

A votre courage, mademoiselle.

Qui vivra verra.
Il fera beau demain.

C'est un ancien otage qui vous
le dit. La nuit porte conseil.

Ah !

Bonjour, mon cher.

-Mon cher Loiseau.
Vous avez passé une bonne nuit ?

-Nous partirons ce soir ?
-J'en doute fort.

-Pas moi. J'ai l'impression que
la fille Rousset s'est rendue

au vainqueur.
-Vous êtes optimiste.

Quand les femmes
ont décidé quelque chose...

-Bonjour M. le comte.
-Vous connaissez la nouvelle ?

-Nous partons tantôt ?

-Pas question.
-Allons bon.

-Mlle Elisabeth Rousset est partie.

-Elle a pas fait ça.
-Elle a pas le droit.

-Ce matin à 7h30,
elle était dehors.

-Elle va revenir ?
-Les cartes disent ni oui ni non.

Coup de canon.

-Et l'autre, là-haut ?

-Il ne sait rien encore.

-Vous vous rendez compte
des conséquences de cette évasion ?

On est dépôt de garantie.
-On est otages.

On va nous fusiller.
Quelle garce !

Ah, vous voilà. Je suis bien
content, vous savez. Bien content.

Vous avez bonne mine.
Très bonne mine.

-Nous parlions de vous.
-On était inquiets.

-Il ne fallait pas. J'étais parti
faire un tour avec M. Cornudet.

-Vous avez passé une bonne nuit ?

-Très bonne, merci.

-Vous avez entendu le canon ?
Je n'ai entendu que lui.

-Quand je l'entends, je m'endors
pour ne plus l'entendre.

-Quelle chance.
-Alors ?

-Alors, quoi ?

-Pas de nouvelle
mise en demeure ?

-Il ne s'y frottera plus.

-S'il s'obstinait ?

-Il me connaît pas.
Je suis plus entêtée que lui.

Comme disait un ami : "T'es pas
intelligente. Quand t'as une idée,

"tu la gardes."
-La situation peut durer.

-Ca oui, très longtemps.

-Vous n'avez aucune obligation ?
Vous n'êtes attendue nulle part ?

-Nulle part.

-Vous n'avez pas peur
de vous ennuyer ?

-Avec vous, je m'ennuierai jamais.
Je m'ennuie pas, je pense à rien.

-Elle est charmante.

Si demain il nous rendait
nos laissez-passer,

je ne m'en consolerais pas.

-Espérons que la nuit
lui portera conseil.

-Vous avez perdu, messieurs.

On en fait une autre ?
-Oh non, ça suffit.

-Moi, j'aime les dominos.

Ca fait réfléchir.

-Moi aussi. Mais 15 parties de
domino, 4h de jeu, j'en peux plus.

-Je suis abruti.

-Ca n'est que le 3e jour.

-Savez-vous combien il y a
de pas dans cette salle ?

-Non.

-25 dans le sens de la longueur,
12 dans la largeur,

et l'escalier a 25 marches.

Voilà où j'en suis.

-Messieurs,
avez-vous trouvé une idée ?

-Nous n'allons pas vieillir ici
sous prétexte que cette fille

veut choisir ses amants.
C'est son métier de faire ça.

-Il se conduit
très bien cet officier.

Il est peut-être privé depuis
longtemps. Il est le maître.

Il n'avait qu'à dire je veux
et il nous prenait de force.

-Elle nous a laissés aller
trouver ce galant homme

pour des explications
et elle savait à quoi s'en tenir.

-Quelle créature.

-Il n'y a qu'à la livrer.
Il la veut, on la lui donne.

-Allons, la colère vous égare.

De quoi s'agit-il ?

Partir au plus vite. Bon.

Pourquoi ne partons-nous pas ?
A cause de Mlle Rousset.

Eh bien, il s'agit de la décider,
de la convaincre, et surtout,

de ne pas la heurter.

La diplomatie
est la stratégie des civils.

Eh bien, messieurs, soyons civils.

-M. Follenvie nous offre
des noix. Qui en veut ?

-Un peu de confiture,
chère madame ?

-Encore un doigt de bourgogne. Le
roi des vins se donne aux reines.

-Je ne veux pas perdre
mon équilibre.

-L'ivresse doit
vous être une grâce.

-Madame a déjà beaucoup de...
-Quoi ?

-Elle n'a pas besoin de ça.

-Pourquoi nous priver
du madrigal de M. Loiseau ?

-Si nous étions de grands
politiques, nous ouvririons

nos caves à l'ennemi.
-Pourquoi faire ?

-Et nous lui abandonnerions
cyniquement nos plus ravissantes

compatriotes. Il perdrait
dans l'ivresse et la volupté

son ardeur guerrière.

-La chair, le bon vin, les jolis
femmes, l'arsenal de la France.

-Oui, parfaitement.

-Selon vous, c'est avec
des perdreaux sur canapé

qu'on remporta Austerlitz.
Cocasse.

Très cocasse.
-Avez-vous oublié les leçons

de l'Histoire ? Cléopâtre
serait-elle passée à la postérité

si elle se fut contentée
d'être une reine vertueuse. Non !

Cléopâtre ensorcelait
les généraux ennemis.

-Non...
-Si. Si un vainqueur

s'endormait dans ses bras,
il s'y réveillait esclave.

Car Cléopâtre était
une patriote, elle.

-Elle faisait ça ?
-Oui, madame.

Du champagne, Follenvie.
-Ils étaient bêtes les généraux.

-Et Judith avec Holopherne. Tous
les Juifs eussent été massacrés

sans elle.
-Elle a fait quoi ?

-Elle accepta de passer
la nuit avec Holopherne,

et dans les égarements
du plaisir, elle l'assassina.

Judith était
une patriote, elle aussi.

-Pensez de moi ce que vous voudrez.
Si Bismarck était venu à Rouen,

j'aurais fait comme
Cléopâtre avec son Holom...

enfin, son Bismarck à elle.
-On vous eût tressé des couronnes.

-Il y a des caresses héroïques.

-Des baisers nationaux.

-Quand on croit
qu'elles succombent

les femmes résistent le mieux.

-Les hommes croient toujours qu'on
les aime car ils nous plaisent.

On les aime pour
se débarrasser d'eux.

-La fin justifie les moyens et Dieu
pardonne quand le motif est pur.

N'est-ce pas ma soeur ?

-Oui. Les êtres sont toujours
meilleurs qu'on ne croit.

-Bien sûr.

-Faut pas se fier aux réputations.

-J'ai été sur tous les champs
de bataille. En Crimée,

au Mexique avec Bazaine,
en Algérie avec Mac-Mahon.

J'ai soigné tous les blessés,
hommes et femmes.

Je leur demandais pas leur avis.
On m'appelait la soeur Rantamplan.

Ceci pour dire qu'au Mexique, les
femmes attiraient les Français

chez elles pour les égorger.
J'ai parlé à l'une d'entre elles.

C'était une patriote.

-En temps normal, on ne pense
pas à son pays. On trouve naturel

d'en faire partie.
Et quand les Prussiens arrivent,

qu'ils brûlent tout, qu'ils
fusillent, on aime même les gens

qu'on détestait. Et on pense
à son pays comme à quelqu'un...

Comme à quelqu'un qui vous
aurait vu naître, un ami d'enfance,

et on ferait n'importe
quoi pour cet ami-là.

-Mademoiselle.

-Le capitaine demande...
-Non !

J'ai pas changé d'avis.
Il comprend pas le français ?

J'ai pas bien fait ?

-Hélas, il y a longtemps que
la race des héroïnes s'est éteinte.

-Il n'y a plus de patriotes.

-J'aurais pas dû dire non.
Judith n'aurait pas dit non.

Je vais lui dire que j'ai réfléchi.
J'y vais. Ce sera pas long.

-Si vous tuez un officier ici,
les Prussiens nous fusilleront.

-Ils mettront le feu à ma maison.

-Je vous en supplie.
-Du calme.

-Mon enfant,

vous me paraissez nerveuse.
Allez vous coucher sagement.

La nuit porte conseil.

Donc, mon enfant,
vous préférez nous laisser ici,

exposés à toutes les violences
qui suivraient un échec

des Prussiens que de consentir
à une de ces complaisances

dont les femmes se montrent
généralement si prodigues.

C'est bien ça, n'est-ce pas ?

Vous ne répondez pas ?

-J'ai l'impression que le comte
finira par la convaincre.

Au fond, c'est une bonne fille.

-Fille, c'est tout vu.
Bonne, c'est à voir.

-Tais-toi donc.
-Je t'empêche d'entendre ?

-Je crains qu'il manque de finesse
et que le langage du corps

ne lui soit accessible.
-Elle est stupide.

Ces filles-là, ce sont des animaux.
On dit "bête à plaisir".

-Moi, ma vie est finie.
Mais il y a les autres.

Leur sort dépend uniquement
de votre caprice.

Il y a les 2 soeurs qui vont
soigner les blessés du Havre.

Songez aux malheureux
blessés du Havre.

Et, pardonnez-moi si je vous
ai parlé un peu brutalement.

Mais il le fallait.
J'ai fait mon devoir.

-Que lui avez-vous dit ?

-Tout.
-Qu'a t'elle répondu ?

-Rien.

-Allons-nous attendre longtemps
le bon plaisir de cette fille ?

-Elle se fait désirer.

-Ne se fait pas désirer qui veut.

-J'ai une faim, mais une faim !

Et les soeurs, où sont-elles ?

-Elles dînent au presbytère.

-Cette fille !
Que fabrique-t-elle ?

-Incroyable.

-Chut.

-Non.

Mais alors...

La comédie est finie.
Demain, nous serons en route.

Embrassons nos dames.

-Tous mes compliments.
Votre éloquence a porté ses fruits.

-J'ai fait entendre
la voix du coeur et de la raison.

-Cette petite garce.

C'était bien la peine de faire tant
de simagrées pour en arriver là.

-Petite. Petite !

Vous pouvez enlever ce couvert.
Mlle Rousset ne dîne pas avec nous.

Mlle Rousset dîne avec
son fiancé. Vive la mariée !

-Mademoiselle, champagne,
avec 2 verres pour capitaine.

-Voilà, voilà. Tout de suite !

-Je bois à Elisabeth Rousset.
-Moins fort.

-Elle a bien mérité de la patrie.
Je propose qu'on donne son nom

à une place aussi publique
qu'elle où tout le monde passera.

-M. Loiseau.

Vous déshonorez les serins.
Vous êtes un lâche,

et un grossier personnage. Vous
ne valez pas une paire de claques.

Paire de claques, coup de pied
aux fesses, on hésite.

On ne sait plus distinguer
votre derrière de votre visage.

Je bois à Elisabeth Rousset, qui
en se donnant pour vous sauver

ne déshonore que vous.
-Mais enfin. Je ne comprends pas.

-Calme-toi, Auguste.
-Il dépasse la mesure.

-C'est une provocation
de cet énergumène.

-Comment, M. Carré-Lamadon !

-Non, M. Cornu... Il vous fait
des excuses. On a rien entendu.

-Messieurs, je vous en prie.
Les mots ont dépassé votre pensée.

Je conçois votre désillusion.

Elle ne pouvait agir autrement.
Ils sont les plus forts.

Ah, si les Français avaient un peu
de clairvoyance et de sagesse,

ils comprendraient
que la partie est perdue

et suivraient son exemple.

-Non, monsieur. Ils suivraient la
voix que leur indique Victor Hugo,

dans son appel aux Français,

dont vous êtes. Voilà
ce qu'il dit, Victor Hugo.

"La France doit
à tous les peuples

"de sauver le monde.
Que toutes les communes se lèvent,

"que de chaque maison sorte un
soldat, de chaque ville une armée.

"Les Prussiens sont 800 000, vous
êtes 48 millions. Dressez-vous.

"En marche. Lyon, prends
ton fusil, Bordeaux ta carabine,

"Rouen, tire ton épée et toi,
Marseille, chante ta chanson.

"On n'a pas de poudre, pas de
munitions ? Erreur. On en a.

"Que chacun, riche ou pauvre,
ouvrier, laboureur

"ramasse une arme. Roulez
des rochers, entassez des pavés,

"massacrez l'envahisseur avec les
ossements de notre mère, la France.

"Citoyens dans les cailloux du
chemin que vous leur jetterez

"à la face, c'est la patrie."
Voilà ce qu'il dit Victor Hugo.

...

-Bonjour, messieurs dames.

...

...

-Eine ?

-Nein, Danke.

Alors, Fifi.

-30 pas dans le sens de la longueur
et 15 dans celui de la largeur.

Voilà où j'en suis.

-La guerre
n'est pas une distraction.

-Mais les journées sont longues.
-Ca ne peut pas durer comme ça.

Il faudrait inventer quelque chose.
-Oui.

Mais quoi ?

-On pourrait peut-être organiser
une fête, si vous le permettez.

Je me charge de tout.

J'enverrai Karl avec une voiture.
Il nous ramènera des femmes.

Il a l'habitude.
Nous passerons une jolie soirée.

-Non, il ne faut pas donner
le mauvais exemple aux hommes.

Et si
le général l'apprenait...

-Karl est discret.
Personne ne saura rien.

-Faites comme vous voudrez.
Agissez avec tact.

-Et voilà. Enfin une soirée
dont on se souviendra.

Qu'en dites-vous, Fifi ?

-Moi, rien. Il n'y a
qu'à attendre ces dames.

...

Coups de feu.

-Mais, on est attaqués !

-Kommen sie mit.

-Attention, les voilà !

-Raus !

Dehors ! Descendre !

Enlever arbre !

-Enlever arbre ?

-Vous entendez, vous ?

-Qu'est-ce qu'il y a ?
Oui, vous avez des ennuis.

-Raus ! Raus !

Plus vite que ça !

-Les francs-tireurs
ne sont pas raisonnables.

-Raus ! Schnell !

Il interpelle Karl en prussien
à propos des femmes.

...

-Schone frau, ja.

Jolies, jolies.

Ein, zwei, drei, vier... Allez
les dames, montez dans la voiture !

-Loss !
-Schnell !

Dépêchez-vous.

Allons, allons.

Non, pas vous, pas vous.

Allez, monte, toi !

-Ne me tutoyais pas ! On n'a pas
garder les Bismarck ensemble.

-Schnell !

-Je vais t'en foutre
des "schnell" !

-Schnell ! Schnell !

-Non, mais ça alors.

...

-C'est épouvantable.
-Qu'est-ce qui se passe ?

-Les francs-tireurs ont attaqué les
Prussiens. On paie les pots cassés.

-Ils peuvent pas
nous laisser tranquilles ?

-Les voilà, là.

-Va aux chevaux.

-Oh !

Vive la France !

-Qu'est-ce qu'il a celui-là ?
T'es pas un peu fou ?

On crie "vive la France" quand
on a un fusil dans les mains.

-Un blessé ?

-Oui, mais nous,
qu'allons-nous devenir ?

-Eh bien, ça ne va pas ?

-Une balle dans le mollet.
-Vous allez venir chez nous.

Vous vous reposerez.
-Ca ne vous dérange pas ?

Il faut que j'aille à Uville.

-A Uville ?

-Vous n'avez pas entendu
le Prussien donner des ordres ?

-Forcément, l'état-major
occupe le château.

-Je sais ce qu'il me reste à faire.
-Vous pouvez aller au château.

-Au château ?

-Oui, peut-être.

-On interrogerait la sentinelle.

-Les sentinelles ne nous
diront rien. Allons au village.

Les gens en savent plus long.

-A Uville, tu connais
quelqu'un de sûr ?

-Le maire.

Voyez le maire ou le curé.
Tu vas les accompagner.

-Il est tard.
-Et le couvre-feu ?

-Si vous tombez sur une patrouille,
on ne meurt qu'une fois, pas vrai ?

Accompagne-les.
Et passe par le petit bois.

-Mes soeurs, vous ne venez pas ?

-Vous n'avez pas besoin de nous.
Vous ne craignez rien.

-Au revoir.
Et toi, pas d'imprudence.

Il a peur de rien. Et
à force de pas faire attention...

-Alors, au revoir, messieurs.

Adieu, M. Cornudet.

-On se retrouvera bientôt là-bas.

Merci, ma soeur, ça va.
Et vous, qu'allez-vous faire ?

-Nous continuons.

-Vous ne trouverez rien
avant 4 lieues.

-C'est pas la mer à boire.
J'en ai fait plus en Crimée.

Le général Saint-Arnaud
m'appelait la soeur Rantamplan.

Mes amis, bonne chance.
Soeur Nicéphore, en avant, marche.

...

On frappe à la porte.

-Herr Hauptmann !

Die mamz'elles.

-Heinrich. Mitbringen !

-Ja wohl !

-Voyons un peu.

-Allez, entrez !

-Schone !

Bonsoir, mesdames. Entrez par ici.

N'ayez pas peur.
On ne vous fera pas de mal.

Bien au contraire.

Je vous présente notre chef.

Le colonel comte Von Farlsberg.

Il faudra lui obéir. Ses ordres,
comme vous dites, sont des désirs.

Le lieutenant baron Otto Grossling,
notre virtuose.

Vous lui servirez d'instruments.
Il saura vous faire vibrer.

Le lieutenant marquis
Wilhelm Von Eyrik ou Fifi.

Bourreau des coeurs,
romantique et sentimental.

Et enfin, le plus beau,

le plus sympathique,
le plus charmant,

le capitaine,
baron Kelweigstein.

Et le roi des bavards.

-Nous ne comprenons pas.

-Je suis la comtesse de Bréville...

-Bonjour, comtesse.

Allez, allez, le manteau !

Messieurs,
aidez donc les princesses.

-Je ne plaisante pas. Je suis ici
chez mon cousin, le comte d'Uville.

-Et moi, je suis
votre cousin germain.

-Oh !

Mademoiselle, votre manteau.

-Votre manteau, mademoiselle.

-J'ai pas besoin de vous.
Je peux l'enlever toute seule.

-Mauvais caractère.

J'aime les mauvais caractères.

Je sais dresser
les animaux sauvages.

-Ne me touchez pas.
Je vous défends de m'approcher.

-Plus de docilité ou
je me plaindrai à votre directrice.

-Quelle directrice ?
-Je vous renverrai à votre maison.

Votre manteau, mademoiselle.

-Allons, votre chapeau, maintenant.

-Votre manteau, vite.

-Mettez-vous à votre aise.

Otez vos gants.

-Vous avez raison.
Pardon, j'avais pas compris.

-Raisonnable. C'est bien.

-Mesdames, prenez place.

Vous devez avoir faim.
Asseyez-vous.

Et soyez sages.
Nous allons boire à votre beauté.

Messieurs.

Au champagne.

-A vos ordres.
Allons petite, à table.

-C'est effrayant
ce qui nous arrive.

-Ils sont très gentils.

-S'ils m'approchent,
je les giflerai.

-Pour qu'ils exercent
des représailles !

-Ils verront à qui ils ont affaire.

-Ils ont vu tout de suite.

-Il ne faut pas trembler. Ca n'est
qu'un tir en votre honneur.

-Vous avez peur,
vous, des Françaises ?

Peur devant des ennemis.
Ce n'est pas beau.

-J'ai pas eu peur. J'ai cru que
le château sautait et vous avec.

-Elle est très drôle.

-Viens ici, toi.
-Je suis pas un chien.

-Viens t'asseoir près de moi.

-Vous près de moi.

Allons, vite !

-Moi, je viens près de vous.

Vous êtes la plus gentille.

-Me voilà, ma baronne. Me voilà.

-Vous faites erreur.
Je ne suis pas baronne.

-Non, pas possible.
Eh bien, moi, je te fais baronne

jusqu'à demain matin.

-Enfin, monsieur,
je suis la comtesse de Bréville...

-Assez, silence !
Ceci commence à m'exaspérer.

Vous êtes nos invitées pour
le plaisir, pas pour l'ennui.

Je vous conseille.
Soyez gaies, très gaies.

Et gentilles,
très gentilles. Et dociles.

Faites honnêtement votre métier.

Je veux qu'on soit spirituels,
et drôles. Très drôles.

-Mesdames, je vais
vous rendre gaies.

-Il faut boire pour être gaies,
et gaies pour me plaire.

-A vos verres, mesdames. Allons !

Mein Herr, ein, zwei, drei.

Ein, zwei, drei.

Il parle prussien.

-Verboten !

Interdit marcher
sur route après couvre-feu.

Vous, espions ! Vous, vous, kaput !

Vous, fusillés !

Vous, fusillés !

-Moi, avoir autorisation de votre
grosser général officier Rouen.

Moi, ami, ja ja ! Ja ! ja !

-Où alliez-vous ?

-Mais c'est une horrible méprise.

Le général baron Von Plattenburg
est à Rouen, mon hôte

et mon ami.
-Ich bin conseiller général.

Von Carré-Lamadon, moi.

-Lamadon ?

-Oui, Lamadon au carré.

-Lamadon.

Il parle prussien.

...

-Assez ! Silence !

-Je comprends pas.

-C'est facile à comprendre. Tu vas
être fusillé. Ca te suffit pas ?

-Videz vos poches !

-Nous attaqués route
par Prussiens dans diligence.

Nos chères femmes emmenées ici,
état-major, château Uville.

-A état-major ? Ici ? Mesdames ?

-Oui, mesdames frau
et nous, diligence.

Autorisation voyage par général
Rouen. Voilà nos laissez-passer.

Le général ami !

-Ja, ja !

-Vous... Amis...Général ?

-Oui, amis. Alors, nous,
parler tout de suite à officier.

-Demain matin.
Impossible maintenant. Officier...

...

-Toi, la forte tête, viens ici.

Nous allons faire flamber le punch.

Viens, toi.

Elle est encore là, celle-la.

Ein, zwei, drei, vier,

t'entends ?

Funf, sechs, sieben, acht...

T'entends le temps qui compte
une à une... les secondes.

Je n'aime pas les pendules.

Celle-là, je la tuerai
tout à l'heure.

Le temps que je passe
avec toi ne doit pas compter.

C'est du temps perdu,
du temps hors les pendules.

Messieurs !

Je condamne cette pendule à mort.

Elle vit son dernier quart d'heure.

Priez pour elle.

-Prier, plus tard !

Maintenant, j'ai soif.

Ces dames ont soif !

Au punch.

-A vous l'honneur, lieutenant.

-C'est toujours le diable
qui allume l'enfer.

Merveilleux, le rhum !

On a pris Toul,
tu peux prendre "rhum".

-Toi, tu es la plus gentille.

On voit que tu as
l'habitude des officiers.

Ce sont eux qui t'ont fait
aimer la musique ?

-Non, j'ai appris
le piano à la maison.

-A la maison.

C'est une bonne maison ta maison.

-Tu as l'alcool triste.

C'est bien.
J'aime qu'on soit romantique.

En France, toutes les filles
sont romantiques.

-Mesdames, messieurs !

-C'est un moment solennel.

Silence, la France !

-Je bois...

à nos victoires sur les coeurs.

Je bois à votre défaite, mesdames.

...

Je bois, enfin et surtout,

à nos victoires sur la France
et à nos conquêtes.

A nos drapeaux.

Je bois à Wissembourg,
à Reichshoffen...

A Forbach, à Gravelotte...

A Toul et à Metz.

Enfin, je bois... à Sedan !

Je vous en prie, messieurs.
Ceci ne regarde que moi.

Occupez-vous de ces dames.
Compliments.

Décidément, tu me plais beaucoup.

-Tu veux que je recommence ?

-J'aime qu'on me résiste. C'est
une habitude que j'avais perdue

depuis que je suis dans ton pays.

-Tu ne dirais pas ça
si j'étais un homme.

-On ne peut pas causer
avec les hommes de ton pays.

Quand on s'approche d'eux,
ils s'enfuient.

-Tu mens. Salaud !

-Comment dis-tu ? Salaud ?

Tu es merveilleuse.

-Profite de tes restes. Un jour,
on vous reconduira chez vous

à coups de crosse
dans les fesses.

-Tu es drôle. Continue.

J'adore être insulté. Surtout quand
je sais que quelques minutes après,

l'insulteur fera sa soumission.

-Tu me connais pas.

-Toi, tu vas me connaître,

mon amour.

-Je te connais très bien. On en
a vu un, on les a tous assez vus.

Me regarde pas comme ça.
J'ai pas peur !

-Patience.

J'ai tout mon temps.

Tu vas d'abord me demander pardon

devant mes camarades.

Très amusant.

Tu verras.

Je saurai ensuite
comment te punir.

-Me punir. Me punir !
Je suis pas sous tes ordres.

Retire ce cigare de ta bouche.

-Voilà un geste inconsidéré.

Fini, mademoiselle !

J'ai assez ri.

Il faut payer.

Payer !

Petite ordure française !

-Bravo. Fifi, il a tué la pendule !

Ah ! Ah ! Ah !

...

Von Eyrik !

Was ist denn loss ?

Mort.

-Vous êtes sûr ?

Où est la femme ?

-Elle s'est sauvée !

-Cette salope a tué Eyrik !
-Vous êtes ses complices.

On va vous fusiller !

Onze balles dans la peau.

-Qu'est-ce qui vous prend ?

Conduisez ces femmes
dans mon bureau.

-Schnell !

-Imaginez-vous le scandale si le
général était au courant de cela ?

Personne ne doit savoir
ce qui s'est passé.

Personne !

Et maintenant,

on va trouver une explication

pour justifier la mort
de ce pauvre Eyrik.

Quelle explication ?

On frappe.
Herein !

Karl.

Il lui parle en prussien.

La mort d'Eyrik

sera vengée.

...

...

-Voilà. Tout à l'heure,
on vous apportera une paillasse.

Et de quoi vous changer.

Ne vous inquiétez pas,

je pense que tout ira bien.
-M. le curé...

-Non, mon enfant.
C'est Dieu qu'il faut remercier.

...

-Que s'est-il passé ?

-Rien, mon cher. Rien. Nous avons
retrouvé ces dames au château.

Elles ont été bien accueillies.
Nous poursuivons. Vous venez ?

-Et Mlle Rousset ?

-Ca, vous me permettrez
de ne pas vous répondre.

Le major nous
a fait jurer le secret.

-Ce que je puis dire, c'est
qu'elle ne s'est pas bien conduite.

Ah non, pas très bien.
-Mais où est-elle ?

-Dieu seul le sait.
-Montez avec nous. N'y allez pas.

-Pourquoi ?
-C'est entre le major et nous.

-Vous avez vu le maire, le curé ?
-On s'est passés de leur concours.

Montez, nous allons du même côté.
-Je n'irai jamais de votre côté.

-Il y a une place pour vous.

-Ma place n'y est pas. J'ai horreur
des mauvaises fréquentations.

-Comment !
-Quoi ?

-Allez, roulez !

...

-Herein !

-Vous voilà enfin, M. le curé.

On vous a tout de même trouvé.

-Mais, colonel...
-Vous savez pourquoi vous êtes là ?

-Mais...
-Non, vous ne le savez pas ?

Vous ne savez pas ce qui
s'est passé cette nuit ?

Osez dire que vous ne savez pas.

-Quoi ?
-Tout le monde est complice.

Vous savez que le lieutenant
Eyrik a été assassiné cette nuit.

Et dans quelles conditions.
Vous savez

qui l'a tué.
-Vous me posez là une question !

-Un terroriste, comme d'habitude.

On a trouvé sur la route,
le lieutenant d'Eyrik.

Assassiné, d'un coup de couteau.

Il faut
que ces assassinats cessent.

Le village d'Uville va être soumis
à une discipline de guerre.

La loi martiale est proclamée.

Fini la faiblesse !

Je n'ai montré
que trop d'indulgence.

Quant à vous, M. le curé,

je vous conseille
de vous montrer plus discipliné.

Les obsèques du lieutenant
d'Eyrik auront lieu demain.

Faites en sorte que le glas
des morts retentisse

dans cette douloureuse
circonstance.

Je ne tolérerai aucune excuse,
aucune dérobade !

C'est dit !

...

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