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-C'est ouvert.

IVI. Jacottet, le DRH,
a eu un empêchement, aujourd'hui.

Ça vous donne
le temps de vous installer.

Pour l‘instant, il y a pas
grand—chose. Un ordinateur.

Je vous laisse les clés.
-IVlerci.

-À bientôt. Bienvenue.
-IVlerci.

La porte se ferme.

Téléphone

Tu me dis

que mon poste n'existe plus
depuis le mois de juin ?

-C'est un peu ça, oui.

-lVlais Isabelle Leinsdorf
aurait pu me prévenir pour que...

Avant que je démissionne d'Oxford
et que j'emménage à Lyon.

-Je suis d‘accord.
Je pensais que t‘étais au courant.

Mais Isabelle Leinsdorf m'a chargée
de te présenter le poste créé

suite a la suppression de celui
que tu devais occuper.

-lls ont supprimé un poste
et en ont créé un autre derrière ?

-Oui, en termes d'économies,
c‘est assez peu efficace,

mais j'ai vu des choses
plus aberrantes que ça.

Ils se sentaient mal d‘avoir recruté
quelqu'un pour un poste supprimé.

-D'accord.
Etje devrai faire quoi?

-Ton poste,
c‘est de travailler aux idées.

-Aux idées ?
-Oui, tu devras trouver des idées

pour le maire en dehors
des discours, ça, c‘est nous.

Ton boulot,
c‘est de prendre du recul.

-lVlais c‘est pas un travail.

-Quoi ?
-Prendre du recul.

Je sais même pas par rapport
a quoi prendre du recul.

-Par rapport
à l‘action municipale quotidienne.

Tu devras faire de la prospective
sur le terrain des idées.

-C'est un peu une manière de dire
que je dois faire des fiches ?

-Les idées pourront prendre
la forme de notes, oui.

-Quelle est la différence
entre les notes et les fiches ?

-Les fiches, c‘est plutôt
pour la télé. Ici, on dit "notes".

-Qui me donnera les sujets
des notes à rédiger ?

-Tu les choisiras librement.

Il y a bien des sujets
que tu trouves pertinents, non ?

On frappe.

Bonjour, je ne fais que passer.
Le conseil municipal

est dans 15 minutes, maintenant.

Je vois que Melinda
vous a tout expliqué.

Merci beaucoup, Alice.
C‘est très important,

vous savez. Et donc,

on en rediscute très vite, OK ?
-Bien sûr.

-À bientôt.

Brouhaha

*—Nous allons commencer
notre conseil.

Sonnefle

Conformément à l'article L2121-15

du Code général
des collectivités territoriales,

je vous propose de nommer
une secrétaire à main levée.

Mme Lucie Tanguy.

*—lVlme Patricia Abramovicci.

*—Présente.
*—lVl. Arnaud Azoulain.

*—Présent.
*—lVlme Cecilia Brouillard.

-Là, c‘est la presse,
tu as compris.

-Présent.

-La place au centre, c‘est celle
du maire. De part et d'autre,

ses adjoints.
Derrière, le cabinet.

Sinon à ma droite, c‘est la gauche
et a ma gauche, c‘est la droite.

Mesdames et messieurs,
vous avez tous pris connaissance

du PV dela séance du 28 mai 2017

paru au Bulletin officiel
du 16juin 2017.

Si personne n‘a d'observation,
je le mets aux voix.

Par délibération numéro 2017-1700,
vous serez appelés à vous prononcer

sur l'approbation
de l‘état descriptif de division

en volumes établi
au 35 rue Paul Chenavard,

a la demande
des hospices civils de Lyon

sous réserve du vote de celle—ci.

-C'est pas très lyrique.

-C'est l'exercice.
*—La ville de Lyon

dispose d'un siège au sein
de l'assemblée générale de I‘AFUL.

Je vous propose la candidature
suivante, celle de Mme Ney.

Qui est pour ?
Qui est contre ? Qui s'abstient ?

Nous passons aux questions écrites
du conseil du 4e arrondissement.

M. le maire, vous avez la parole.

-lVlerci, M. le maire.

M. le maire,

vous le savez, nous sommes
particulièrement attachés,

dans le 4e arrondissement,

j'aurais pu rajouter "à la ville
de Lyon", a la concertation

de nos habitants

lorsque nous envisageons
de faire évoluer nos quartiers.

Ces concertations nous permettent
d'enrichir nos projets

en prenant en compte,
en fonction de nos contraintes,

les propositions des concitoyens.
-Le maire, il va bien ?

-Oui, oui.

Tu verras, quand il dit ce que je
lui écris, il est assez flamboyant.

*—Notamment a travers

les réunions en soirées
ne nous permettent pas

de toucher de larges pans
de notre population.

Brouhaha

-Les EL pour la piétonisation
de la presqu'île, c‘est bon ?

-On les aura à 15h.
-OK, ça ira.

-N'hésitez pas.
Merci de votre sincérité.

A bientôt.

On frappe.

-Alice, vous pensez pouvoir
me lire ça dans l'heure ?

-Oui, pas en entier.

-Très bien. Le maire
va vous recevoir dans une heure.

Non, dans 30 minutes, maintenant.

-D'accord, OK.

Téléphone

Allô ?
*—Allô, Alice Heimann ?

-Oui.
*—Le maire va vous recevoir.

-Je dois monter tout de suite ?
*—Oui, il ira pas dans votre bureau.

-Très bien, j‘arrive.

-Vous êtes Alice Heimann ?
-Oui.

-Asseyez-vous.

-Alice.

Vous allez nous sauver.
Allez-y, il vous attend.

-Oui ?

-Bonjour.

-Bonjour.

-Je ?
-Oui, oui.

Vous voulez une dédicace ?
-Non, j‘étais en train de le lire.

-Vous me raconterez. Moi, je l‘ai lu
en diagonale entre 2 trains.

Donc, vous êtes

Ia philosophe ?

-Je sais pas. Non,
je suis pas du tout philosophe.

-D'accord,
vous êtes pas philosophe ?

-Non, mais j'ai donné des cours
de philosophie à l'étranger.

J'ai fait de longues études
de lettres et étudié la philosophie.

-Vous vous y connaissez un peu.
-Oui, c‘est ça, un petit peu.

-Je vais essayer
de vous exposer ma situation.

Je vais essayer de le faire
en peu de mots, d'accord ?

J‘arrive plus a penser.

Plus du tout.

Vous voyez ce que je veux dire ?

-Non, pas vraiment.

-Vous connaissez mon parcours ?

-Je sais que vous êtes
un homme politique.

Vous êtes socialiste.
Vous êtes le maire de Lyon.

-lVloi, j'ai toujours eu des idées.

Au début, c‘était même mon métier.

J‘avais 25, 40, 50 idées parjour.

Je travaillais dans la publicité.

Assez jeune, j'ai fait
de la politique. J'ai organisé

des campagnes, j'ai travaillé
dans des ministères. J'ai conseillé

énormément de monde. Les idées
venaient seules, dès le réveil.

J'utilisais même un dictaphone
pour ne rien oublier.

Après, je me suis présenté
à des élections,

j'ai conduit des projets importants
jusqu‘à leur terme.

En toute modestie,
j'ai profondément changé ma ville.

Et puis je me suis réveillé
un matin, j‘avais plus d'idées.

Enfin, ça s‘est pas passé
comme ça exactement,

mais vous voyez, quoi.
-Vous entendez quoi par ”idée",

exactement ?

-Vous savez ce qu‘est une idée.
-Pas vraiment, non.

Les philosophes ont donné
plusieurs définitions.

-Oui, la philosophie...

Isabelle Leinsdorf

m‘avait conseillé
d‘aller voir un psychanalyste.

Elle a même voulu
me présenter un coach.

Là, j'ai flairé tout de suite
l'imposture, le truc vulgaire,

le symptôme de notre époque.

Je me suis dit que je résoudrais
mieux mon problème

avec la tradition philosophique

plutôt qu'avec
des thérapies a la mode.

-La philosophie, c‘est très bien,
mais c‘est pas une thérapie.

-Je n'ai pas besoin de thérapie.

Non, je vais très bien.

J'ai plutôt l‘impression
d'être à court de carburant.

Si j‘osais une métaphore,

je dirais que je suis une F1
avec un moteur très puissant,

mais je sens
que je suis en panne sèche.

Ça se voit pas encore,
la force de l'inertie

me permet encore de rouler
très très vite, mais…

le moteur, lui, tourne a vide.

En fait, je…

J'ai l‘impression que ça fait 20 ans
que je pense plus.

La politique
est l'affaire de ma vie,

je lui ai tout sacrifié, c‘est plus
qu‘une vocation, mais à force...

Comment vous vous appelez ?
-Alice Heimann.

-Bon, Alice Heimann,
il faut que vous me fassiez penser.

-Bonjour.

Au moins, j'ai un emploi du temps,
un bureau.

J'ai des repères structurants.
Pour le reste, je verrai.

-Tu sais sur quoi
ça peut déboucher ?

-Non, pas du tout.

Je peux même pas dire
ce qui m'intéresserait.

-Je suis comme toi.

A force de faire des études,
de passer des concours,

on sait plus ce qu'on veut faire
ni ce qu'on a aimé.

J'ai pas lu pour le plaisir depuis
des années. On sait plus qui on est.

On sort lessivé, épuisé,
transparent. On a vieilli,

on est désabusé,
et en même temps,

on revient a la case départ, quand
on sait pas ce qu'on va faire.

-C'est pas Gauthier, Ià-bas ?
-Où ça ?

-Là-bas, a côté des toilettes.

-Ah ouais.

-Je lui ai pas parlé
depuis hyper longtemps.

Peut-étre 6 ans, je crois.
-Ah bon, qu'est-ce qui s‘est passé ?

-Je sais pas. On se voyait trop,
on était devenus trop proches.

-Salut.
-Salut.

-Salut.

-Ça va ?

C'est drôle.

-Ouais.

-Delphine vient?

-Oui, oui, elle va venir, là...

Delphine, c‘est ma femme, en fait.

D‘ailleurs,
elle veut te parler, je crois.

-Comment ça ?

-On lui a dit que mon ex-meilleure
amie travaillait pour le maire,

alors elle veut te parler.
-lVlais de quoi ?

-De la fin du monde, j'imagine.

-D'accord.
-Ben, la voilà, je…

Voilà, Alice, Delphine,
Delphine, Alice.

-Bonsoir.
-Bonsoir.

Je vais dire bonjour à Guillaume.
-Je viens avec toi.

-Elle est belle, hein.
-Ça a l'air de t‘étonner.

-Non, pas du tout.

J'ai toujours dit
que je te trouvais beau.

-C'était ta manière de dire
que tu voulais pas de moi.

-On se revoit? On prend
un verre la semaine prochaine ?

-Ouais, d‘accord.

Téléphone

-AIIÔ ?

Oui.

Là, tout de suite ?

-Alice, le maire va arriver.

Tu dois faire le trajet avec lui.

Il a un emploi du temps hyper
chargé, mais il veut te parler.

Tu l'attends.
-OK.

Coups de sifflet

Attendez.

Merci.

Sirènes

-Avec un parti, tout ça.
"Alors comment tu fais

"si t'es plus
avec les socialistes ?"

Je lui dis : ”Tu dis que c‘est
une démarche, que c‘est hors parti.

"C'est même pas une démarche,

"c'est une idée.
On est sur de l‘idée."

*—Jean Chamerolle a été

un des premiers résistants
à être déportés

au camp de Mauthausen.

Il y meurt d'épuisement
et de privation

le 24 janvier 1944.

Jean Chamerolle était royaliste.

Danièle Chabron venait d‘une
famille de démocrates chrétiens.

Certains de leurs compagnons
étaient communistes,

d'autres francs—maçons,
d'autres juifs.

Ce sont des hommes et des femmes
aux origines,

aux parcours,
aux convictions très diverses,

parfois opposées,

qui unirent leurs forces dans
ce combat au service inconditionnel

dela liberté.

La Résistance n‘a pas vu s‘opposer

la gauche et la droite.

Elle a réuni en son sein
des individus différents,

certains de gauche,
d'autres de droite,

qui ont œuvré ensemble
contre le nazisme

et la collaboration.

Leur combat
est le nôtre aujourd'hui,

il n'autorise aucun repos.

C'est au prix
de cette intransigeance salutaire

que nous devons mériter
ce que nous avons hérité d‘eux :

cette civilisation,

qui doit se vivre
comme une exigence

bien davantage
que comme une évidence.

Cette liberté qui doit
se prendre comme un risque

bien davantage
que comme une rente.

Cette paix, enfin,
dont ils ont payé le prix

et dont, trop souvent,
nous ignorons la valeur.

Je vous remercie.

Applaudissements

-ALLONS ENFANTS DE LA PATRIE

LE JOUR DE GLOIRE EST ARRIVE

CONTRE NOUS DE LA TYRANNIE

L'ÉTENDARD SANGLANT EST LEVE

L'ÉTENDARD SANGLANT EST LEVE

-Je me fais une sortie culturelle
par semaine.

Avant—hier, j'étais a un spectacle
de poésie poétiste.

-Je connais pas.
-Non ? Ah, mais c‘est dingue.

-J'y vais, le maire veut me voir.
-Ah, d‘accord.

-C'est une pétition
pour la crèche du 9e arrondissement.

Si vous pouvez regarder.
-Avec plaisir.

-Bonjour.
-Alice, je pensais a vous. Montez.

J'ai un autre déplacement,
on va parler pendant le trajet.

On est pas trop en retard ?
-Non, ça va aller.

-J'ai adoré votre note
sur la modestie.

C'est très bon
pour faire redémarrer la machine.

C'est très bien écrit,
c‘est très bien charpenté.

Et c‘est très clair.
-Merci.

-Je dis pas ça pour vous flatter
ou pour que vous me remerciiez.

J‘aimerais
que vous approfondissiez.

On devrait en parler a la mairie.
On pourrait déjeuner ensemble ?

Ah, on est déjà arrivés.
C'était très très court.

Bon, ben, Alice, merci beaucoup.

-Au revoir.
-A bientôt.

Merci beaucoup.

Bonjour. Comment allez-vous ?

Ça me fait très plaisir
de vous rencontrer.

-Alice, il est très content
de la note.

C'était une très bonne idée,
ce thème, la modestie.

Le maire aimerait que tu participes
a un comité de réflexion

qu'on a monté en marge du
fonctionnement habituel du cabinet.

C'est un peu de la prospective,
tu vois.

On essaye de fabriquer une boîte
à outils sur l‘avenir de Lyon.

La réunion, c‘est mardi, à 18h.

Tu viendras ?
-D'accord.

-C'est ce que vous incarnez.

C'est-à-dire un théâtre
très proche, à la fois civil

et qui ne hait pas
le divertissement.

Allez, on vous suit.
Allez-y.

-Bonjour.
BONJOUR.

-C'est bon
pour la visioconférence ? Allez-y.

-Bonjour a tous. On met en place
une visioconférence

avec Patrick Brac, qui ne peut pas
être parmi nous aujourd'hui.

-En attendant
la mise en place technique,

je vais rappeler
ce qu'on s‘était dit

la dernière fois et les pistes
qu'on proposait d'emprunter.

*—Bonjour.

*—Bonjour, Patrick Brac
sera là dans 2 minutes.

-Simplement pour vous rappeler
que le maire

veut donner au projet Lyon 2 500
une dimension très moderne.

Une histoire si longue
doit être présentée

comme un atout majeur
pour la ville de Lyon,

pour sa place en France
et dans la mondialisation.

Et enfin, que dans les 2 500 ans
de l‘histoire de Lyon,

il y a 2 500 ans
de l‘histoire d'hier

qui aident à relever
les défis de demain.

-Ce n‘est pas une commémoration,
mais un chantier de réflexion

résolument tourné vers l'avenir.

A partir de l‘expérience Lyon,
il s'agit de construire

des pistes pour une réinvention
profonde de la citoyenneté.

Lyon doit être un laboratoire
de ce qui se fait

et de ce qui se fera de mieux

en France, en Europe,
dans le monde.

-Ah. Patrick ?

Patrick ?

*—Oui, Isabelle.
-Bonjour, Patrick.

*—Bonjour.

*" soupire.

Ah, bonjour a tous.

Je suis heureux
de vous retrouver.

Alors je voulais juste
vous lire quelques notes

que j'ai prises

et qui vont peut-étre nous aider.

En tout cas, on en discute.

"C'est la ville,
bien plus que le peuple,

"qui souvent est conservateur,
qui a changé le monde.

"C'est la Ville, fondamentalement,
qui est de gauche.

"Je parle pas de ses habitants,
mais de la ville dans son essence,

”dans ce qu'elle a de plus profond,
de plus métaphysique.

“L'être de la ville
est de gauche."

C'est pourquoi, dans notre petit
groupe de réflexion,

nous avons une idée,
une modeste proposition.

Une idée qui donnerait forme
a cet agencement du vivre—ensemble,

si particulier et si précieux.

Il s‘agirait de fonder,
depuis Lyon,

une union internationale

des mégapoles pour le progrès.

L‘UIMPP.

On parle d‘une union politique
internationale d‘envergure inédite.

On parle de la naissance d‘une
nouvelle forme de fédéralisme,

d'un fédéralisme choisi,
d'un fédéralisme transversal,

qui n‘a pas de frontière. On parle
d‘une autre idée de la Nation.

Lyon 2 500, c‘est très bien.

Mais si vous voulez tourner
votre action vers l'avenir,

il faut une proposition forte.
Un Lyonnais, aujourd'hui,

a bien plus à voir
avec un Milanais,

un habitant de Bangkok,
de New York, de Sao Paulo,

qu'avec un habitant
d‘une petite ville de France.

Il faut imaginer un pays virtuel
composé de mégapoles progressistes,

tolérantes, dynamiques...

Bip

Elie rit.

-Patrick ?

Patrick ? Qu'est-ce qui...

Téléphone

-AIIÔ ?

D‘accord, je monte.

-Bonsoir, installez—vous,
mettez-vous a l'aise.

-Bonsoir.

-Vous voulez boire

quelque chose ?
-Heu, je sais pas. Du whisky.

-Je vous dis ça, mais je pense
qu'on a absolument rien.

J'ai juste une machine Nespresso.

-Alors ça ira, merci.
-On va vous en trouver.

-Vous embêtez pas, c'est...
-Oui ?

C'est le maire.
Ce serait possible

d‘avoir une bouteille de whisky ?

Oui, d‘accord. Merci.

Vous connaissez les Birkenstock ?

-Oui, ce sont des chaussures.
Je connais de nom...

-Non, c‘est des espèces de sandales
allemandes très confortables.

Etje sais pas
où je les ai mises.

Ah, les voilà. Elles sont la.

Donc, vous ne me trouvez pas
suffisamment modeste ?

-C'est pas exactement la question
que je soulève dans mes notes.

-Oui, mais moi,
c‘est la question que je vous pose.

-Difficile de vous répondre,
je vous connais pas.

Etje suis peu habituée
aux pratiques politiques.

Je sais que votre fonction
vous oblige à offrir un spectacle,

mais je parlais de ce que
le politique peut prendre en charge.

Disons que je parlais
de sa juste ambition.

-Et vous trouvez ma politique
trop ambitieuse.

Pariez, hein. Sentez-vous libre.

-Je ne connais pas précisément
votre politique, ici.

Je suis pas là pour faire,
comment ça s'appelle, un audit.

Vous m'avez demandé
de nourrir votre réflexion.

-Allez-y, non mais, parlez.

-Je trouve intéressant

de se demander ce que peut
le politique, aujourd'hui.

-Oui… Continuez, asseyez-vous,
je vous en prie.

-Je pense que c‘est important
de rester progressiste,

mais de l'être
dans un cadre limité.

Pas limité par un prétendu réalisme
économique, l‘argument classique,

mais parla limite
des ressources de la planète.

On frappe.

Entrez. Et qui décide
de ce que sont

les limites des ressources
de la planète ?

Posez ça là, merci.
-ll n‘y a pas vraiment de débat.

L‘énergie quasi—gratuite,
c‘est fini.

Nos avancées sociales étaient
indexées a ça. Alors que fait-on ?

-Alors, pour vous,
il y a pas de débat?

-Sur la raréfaction des énergies
fossiles et leur nocivité, non.

Enfin, peut-être qu'il y a un débat
aux USA, chez les Républicains.

-Pour vous, ce sont les experts
qui décident de la politique ?

-Non, puisque les politiques
font comme si de rien n'était.

Comme si la croissance revenait
et que le pétrole coulait à flots.

-C'est drôle, un type est venu ici
ilya2ou3ans,

il m‘a fait un discours brillant
qui ressemblait à votre histoire,

sur le fait que le progrès social,
selon lui,

n‘avait absolument rien à voir
avec les luttes politiques.

Que c‘était simplement le résultat
de l‘exploitation humaine

du charbon et du pétrole,
que chaque RMlste

avait des centaines d'esclaves
en équivalent énergie

et que donc, logiquement,
chaque RMlste, aujourd'hui,

est beaucoup plus riche
que l‘empereur Auguste.

Et il a fini par vouloir me vendre
des centrales nucléaires

car c‘était ce qu'il y avait
de moins polluant.

Les experts ont toujours
quelque chose a vous vendre.

Je crois aux idées, au progrès,
a la croissance infinie.

A l'infinie ingéniosité humaine.

Je crois aux vertus
des luttes sociales.

J'ai la conviction que l‘humanité
ira vers toujours plus de droits,

toujours plus
d‘instruction pour tous,

de dialogue, de culture.

Je vous retourne la question.
Comment on fait ?

Comment on fait quand on est
un homme de gauche comme moi

et qu'en face de vous la droite
et une partie de la gauche

disent d‘une seule voix :

"Plus rien n‘est possible
que la gestion de la pénurie." ?

-Je vais être brusque.

-Allez-y.

-Vous n'avez pas l‘impression d'être
devant un mur infranchissable

depuis 30 ans

et de ne plus pouvoir régler
un seul problème ?

C'est ce dont les citoyens
ont l'impression.

L'impression
d‘une impuissance infinie.

-Cette impuissance infinie,
comme vous dites,

c‘est une invention journalistique.

Je vais pas vous faire le bilan
de mon action, mais je pourrais

vous faire visiter
des HLM, des hôpitaux.

Je pourrais vous présenter
des gens que nous avons aidés,

des réfugiés, des chômeurs,
des femmes seules.

De là où je suis, je ne me sens
pas du tout impuissant.

-Donc ma note
vous a pas du tout intéressé ?

-Si, si, si, si... Qu'est-ce que
vous faisiez, avant ?

-Des études, principalement.

Et ces dernières années,
j'ai beaucoup voyagé.

-Et après ?
Vous voudriez faire quoi, après ?

Vous allez pas rédiger
des notes toute votre vie.

-J'ai commencé il y a 3 semaines,
j'ai le temps d‘y penser.

-Mais qu'aimeriez-vous faire,
après ?

-Je sais pas.

-Vous avez bien une idée, quelque
chose qui vous intéresse, non ?

-Non.

-Vous êtes mariée ?
-Non.

-Un copain ?

-Non. Et vous ?

-Moi, j'ai été marié,

mais ça n‘a pas marché.

Quand on fait de la politique
à mon niveau,

il faut un partenaire
et un conjoint très compréhensif.

C'est un cliché, mais je vais
vous le dire quand méme,

j'ai tout sacrifié à ma vocation.

Je dis bien vocation, je parle pas
de mon métier ou de mes convictions.

La politique, c‘est comme
la musique ou la peinture.

C'est toute la vie,
tout le temps, ou rien.

Bon, continuez
à m'écrire des notes,

ça m'aide pas vraiment encore,
mais ça va faire son chemin.

Voilà, ne vous découragez pas.

AbœmŒ.
-A bientôt.

-Dites-moi, Alice...
-Oui ?

-Vous avez assisté
à une réunion du machin, là ?

-Heu, Lyon 2 500 ?

-Vous en pensez quoi ?

-Pas beaucoup de bien.

-Ça vous dit de reprendre tout ça ?
-J'ai jamais fait ça de ma vie.

-C'est un comité de réflexion.

Vous savez ce qu‘est un comité

et vous savez réfléchir.

Bon, pensez—y cette nuit
et vous me dites ça demain.

-D'accord.

-Bonne soirée.
-Bonne soirée.

-Ben, rentrez. Vite.

Non, pas vous. Elle.

-Non.

Alice, vous me faites penser

que je dois vous parler
de Patrick Brac.

-D'accord.

-Non. Non. Oui.

Bon, Alice, c‘est d'accord
pour Lyon 2 500 ?

-Je sais vraiment pas.
-Vous avez eu la nuit pour y penser.

On va dire que c‘est oui.

-D'accord.

Et les notes ?
-Vous continuez.

Ne me dites pas que ça fait trop,
vous n'avez rien d‘autre

a faire.
D‘ailleurs, je vais être honnête,

j‘avais pas lu votre note, hier,
enfin, pas entièrement.

Je l‘ai lue, cette nuit,
plus attentivement.

Y a certains éléments
qui m‘ont un peu ébranlé,

mais ce que je comprends pas bien,
c‘est ce concept de décence commune.

-Chez George OnNeII.
-Oui, je comprends pas bien.

-Pour OnNeII, être de gauche,

c‘est ne pas perdre contact avec
le peuple, avec les gens simples.

-Ça, c‘est une évidence.
C'est une exigence que je partage.

-L'ennemi, pour lui,
c‘est l'intellectuel de gauche

qui a des idées
qui le font passer pour un rigolo.

llpense

que pour faire vivre l'idéal
socialiste, il y a des valeurs,

des rapports au monde, avec lesquels
la gauche ne peut pas rompre

au risque de se couper du peuple
et de la vie.

Si la gauche se coupe de tout ça,
elle n‘est plus

qu‘une stratégie cynique de prise
de pouvoir politique, universitaire.

-C'est un peu vaseux, tout ça, non ?

Et le progrès,
qu'est-ce qu'il en dit, ONVèII ?

-Comment ça ?

-Quoi, comment ça ?
Ben, le progrès.

-Le progrès n‘a de sens

qu'avec un récit
qui va d'un pointA à un point B.

Le progrès,
c‘est s‘approcher du point B.

Vous avez un récit précis, vous ?

Les socialistes,
ils ont un récit précis ?

Dans le récit des riches,
payer moins d‘impôts,

ça peut être un progrès.
-On nous attend.

-Non, on nous attend pas,
on m‘attend, mol.

Il faudra qu'on en parle.
-D'accord.

-Bonjour. Ça va ?

Bonjour, ça va ?

Ça va bien ? Bonjour.

Elie soupire.

Discussion inintelligible

Elie rit.

On frappe.

-Oui ?

-Isabelle aimerait te voir.

-Maintenant ?
-Oui, c‘est urgent.

-Qu'est-ce qui se passe ?
-Isabelle veut absolument te voir.

Attends la deux secondes.

-Attendez-moi dans mon bureau.

J‘arrive tout de suite, Alice.

-Pardon, mais t'es Alice Heimann ?
-Oui.

-Je suis la sœur de Bruno, on s‘est
rencontrées quand t'étais à l'Ecole.

-Ah oui. Que fais-tu ici ?

-Alice.
Excuse—mol.

-C'est vrai pour Burtin ?
-Oui.

-C'est sorti ?
-Oui, ce matin.

-L'lnternational s'en occupe ?
-Non, la Com.

-C'est
sur l'interview du ”Progrès" ?

-Je sais pas. Demande à Thomas.

-Bonjour.
-Bonjour.

Alice, je vais avoir besoin
que tu ailles aider la Com.

Ils ont quelques difficultés
avec l'article du "Progrès".

Ensuite, j‘aurai besoin de toi
pour une histoire de normaliens

et de sans-papiers.

En fait, il faut qu'on se voit
pour parler

de Lyon 2 500.

Pierre, tu appelles Camille

au cabinet
du 1er secrétaire à Paris.

Je dois lui parler avant midi.
Voilà, c‘est tout.

-Bonjour, vous faites partie
de l'itinérance, c‘est ça ?

-Oui.
-Suivez-moi.

-Non, la priorité...

-Alice Heimann,
qui travaille a la prospective.

Isabelle veut qu'elle vous aide.
-OK. On en était où ?

-"ll n‘y a pas que l'écologie.

”Il y a surtout de l‘écologie."
-Surtout.

-"L'écologie, une priorité.

"Pas la seule."
Ou "Pas la seule priorité".

-Mais on avait...

Excusez—mol,
qu'est-ce qui se passe ?

-"Tous nos choix doivent être
conditionnés par l'écologie,

"mais l‘écologie ne doit pas
diriger tous nos choix."

-Ça provoque un scandale ?
-Oui.

Les Verts menacent de se barrer.

-On reste Ià-dessus ?

Autre chose ?
-"L'écologie

"est une composante
essentielle de la gauche..."

-La gauche, c‘est une ratatouille ?
Faut pas trop d'aubergines ?

C'est la merde.
-Il faut forcément une formule ?

-T'as le temps d'écrire un bouquin
pour dans 8 minutes ?

Ensuite, il faut le résumer
en 140 caractères.

-Il faut qu'on essaye d'intégrer

la composante écologiste
de la majorité municipale

dans la critique du maire

et après,
on réduit un peu la critique.

Un truc du genre : "Les écolos
de la majorité municipale savent

"que l‘écologie n‘est pas tout."

Après, on brode Ià-dessus.
-Et dire que démocratie

et écologie sont pas incompatibles,
mais que nous ne transigerons pas

sur la démocratie ?
-Je comprends rien.

-Comment ça ?

-C'est pas clair, c‘est mal dit.

-Mais on peut y réfléchir, non ?
-On a pas le temps.

Autre chose ?

-"L'écologie
est une nécessité vitale,

”mais n‘est pas au-dessus..."

-Tu veux qu'on ait
un maire de droite ?

-Alors, on en est où ?
-On aura quelque chose

dans 15 minutes max.

-Alice, t'as quelque chose ?
-Oui, le maire pourrait dire

que l‘exigence écologique
est une nécessité vitale,

mais qu'aucune politique, y compris
celle visant a la préservation

de l'environnent n‘est au-dessus
du débat démocratique.

-C'est très bien.
On bosse Ià-dessus.

Alice, viens.

-Je viens maintenant?

-Tu as fait Lyon ou Ulm ?
-Lyon.

-Bien, je devais recevoir
une délégation de normaliens

responsables d‘une association
d'aide aux sans-papiers.

Je suis débordée,
c‘est toi qui va les recevoir.

-Je connais pas le dossier.

-On peut pas faire autrement,
désolée.

Il a pas payé ses impôts depuis 98 ?
-C'est "L‘Obs".

-Le maire le sait?
-Oui.

-Il est au courant pour Camille ?

-Oui, il est d‘accord.

-Le Ministre
des Affaires européennes

ne paye pas ses impôts depuis 1998.

-Ah…

-Ça change pas mal de choses
a Paris

et pas mal de choses
pour le prochain congrès.

-Le congrès ?
-Des socialistes.

Le maire devra peut-étre
reprendre le parti.

Hé ben, vas-y.
-Où ?

-Voir tes anciens camarades.
Ils seront contents de te voir.

-Viens, je t'accompagne.

-Bonjour.
BONJOUR.

-Désolée pour l‘attente.
-45 minutes.

-Mais on avait rendez-vous
avec Isabelle Leinsdorf.

-Isabelle est confrontée
à un certain nombre d‘urgences.

-Et la situation de 45 sans—papiers
dans un gymnase n'en est pas une ?

Les canalisations du dortoir
des hommes sont toujours bouchées.

Ça fait 2 mois.

Il y a d'autres problèmes d'hygiène,
on a une liste de 53 points.

-La mairie avait promis son aide
et son soutien logistique.

-On pourrait au moins
voir Mme Ricaud ?

Penser qu'on se calmerait en nous
envoyant une ancienne normalienne,

c‘est du pur cynisme.
Tu connais rien au dossier.

-Je ne me suis pas présentée.
Je m‘appelle Alice Heimann,

je travaille aux idées et a
la prospective au cabinet du maire.

Bon, je n'ai pas une connaissance
exhaustive du dossier,

mais je vais transmettre
votre message

de la manière
la plus fidèle possible.

-J'espère que votre connaissance
non-exhaustive du dossier

vous permettra
de transmettre notre message

de manière effectivement fidèle.

Nous allons commencer
par les problèmes de canalisations.

-Donc, on commence
par les sanitaires.

Je vous écoute.

-Salut.
-Ça va ?

-Qu'est-ce que t'as fait à Daniel ?
-C'est qui, Daniel ?

-Le directeur de la Com.
Il veut te tuer.

-Alice, le maire a 5 minutes
pour te voir. Dans 3 minutes.

-Le maire ? Donc, en fait,
tout le monde va vouloir te tuer.

Notification

-C'est marrant, tu vois.
J'ai beau avoir 40 ans...

-Non, mais arrête de te vieillir.
T'as pas 40 ans.

-Pratiquement.

Bon, j'ai beau avoir
presque 40 ans,

je me sens toujours de gauche.

-Ça m'étonne pas,
t'es un mec formidable.

Elie rit.

Mais souvent, quand même, on dit:

"Je suis toujours de gauche,
mais…"

-C'est vrai. Bon,
je suis toujours de gauche,

mais je trouve que nos arguments
manquent quand même de mordant.

C'est vrai, tu vois, je...

Quand je lis ou que j‘entends
un texte de mon camp,

évidemment,
je suis en adéquation avec lui.

Tant sur le plan de l'argumentation
que pour ma sensibilité politique.

Mais ces arguments, même justes,
ne doivent plus vraiment convaincre.

-La droite
est pas plus convaincante.

-Ça dépend
de quelle droite tu parles.

Les progressistes ont du mal
car les gens ont l‘impression

que leur vie s‘aggrave
plutôt qu'elle s‘améliore.

Et puis t'as des droites qui font
plus semblant d'être progressistes.

Il y a même une droite qui siphonne
des écrivains de gauche comme ONVèII

et en extrait que ce qu'il y a
de potentiellement réactionnaire.

Quand je lis ces articles, je suis
pas dupe, je vois l'imposture.

Mais je trouve
qu'il y a un mordant,

il y a une pertinence immédiate
que je trouve plus du tout a gauche.

Et ça, la gauche
le sous-estime totalement.

Pour elle, la droite se confond
avec la puissance économique,

elle aura toujours
pour agenda caché un truc en rapport

avec le capitalisme.
Mais c‘est faux, tout ça.

On va se retrouver avec une
extrême-droite ultraréactionnaire

et anticapitaliste sur les bras
sans comprendre ce qui nous arrive.

Tiens, on est bientôt arrivés.

Tu verras, c‘est l'appartement
de Delphine, c'est...

C'est une grande famille bourgeoise
lyonnaise éclairée, tu vois.

Beaucoup, beaucoup,
beaucoup d‘argent.

Par contre, je suis désolé,
c‘est un peu le bordel, là.

Delphine, je suis avec Alice.

-Salut.
-Bonsoir.

Excusez—mol, j'ai oublié que
j‘avais un truc a faire, je reviens.

-Entre.

-AIIÔ ? Oui.

-Tu travailles
sur la fin du monde, c‘est ça ?

-Tu connais Donna Haraway ?

-Oui. Enfin, je lis peu de
philosophie contemporaine, mais…

-Après mon expo sur l'anthropocène,
j‘étais dans une impasse.

Les catastrophes,
les méfaits du capitalisme,

la fin de l'humanité...
J'ai eu envie de réagir,

de prendre des initiatives, de pas
plonger dans Ie catastrophisme.

En fait, l‘ancien monde,
c‘est un compost.

Et nous sommes tous du lichen.

Du vivant qui doit vivre en symbiose
avec une autre forme du vivant

sur un monde effondré
dont on pourra se nourrir.

-T'avais un chien ?
-Non, j'ai pas de chien.

Mes grands-parents, oui, je crois.

-Avoir un chien,
c‘est vivre en symbiose

avec une autre forme du vivant,
ça a rien d‘extraordinaire.

Une amibe, un virus, un chien,
c‘est la même chose.

Tu parles de ça avec Théraneau ?

-Heu, de... du lichen ?

Non.

Evidemment, vous parlez droite,
gauche, baisse des impôts locaux.

Pendant ce temps—là,
il fait 35 degrés en Sibérie

et des bactéries congelées depuis
longtemps vont nous attaquer.

-Non, mais je pense que Théraneau
a des peurs plus immédiates.

Avant de penser a la fin
de l‘espèce humaine,

il craint la fin de la démocratie,
de l'État de droit,

de ce cycle historique—lé.

-L'art essaye de voir
un peu plus loin,

de jouer avec un coup d‘avance.

C'est une erreur de penser que
c‘est le fascisme qui nous attend.

Ce qui nous attend, c‘est
l‘effondrement définitif, absolu.

On peut aussi penser que
cet effondrement est une chance

si on sait inventer
le récit qui va avec.

-C'est toi aussi, les robes ?
-Oui.

-Tu fais plein de trucs.
-Ben oui.

Les gens pensent souvent
que les artistes travaillent pas.

Il faut que je parle
avec Théraneau.

Tu crois que je pourrais ?

-Heu, je sais pas,
il faut voir.

-C'est très important, hein.
Alice, même si t'es pas familiarisée

avec ce que je te raconte, tu dois
comprendre que c‘est fondamental.

-Oui, je te promets,
je vais essayer.

Et ça, c‘est quoi ?

-C'est une recherche
pour l'opéra de Lyon.

Une mise en scène
de Ia ”Tétralogie".

-Tu vas voir Wagner, finalement?

-On est obligés,
tout le cabinet y va.

Et puis j‘adore l‘opéra.

-Bonjour.

Asseyez-vous, je vous en prie.

On va manger vite fait,
bien fait, d'accord ?

Bon, alors,
il faut accélérer Lyon 2 500.

Merci beaucoup.
Accélérer nettement.

J'ai donc décidé
de nommer Alice Heimann

responsable
du comité de préparation.

Il fallait une tête pensante
brillante,

fonceuse, nous l‘avons.

Je veux que Lyon 2 500 s‘adresse

a tous les Lyonnais,

aisés ou modestes, Lyonnais
depuis longtemps ou pas,

diplômés ou non.
A chaque action

que nous allons mener,
nous devons

nous poser la question :
qu‘attendent de nous les Lyonnais ?

Et plus particulièrement
ceux qui ont perdu espoir

dans la gauche
et ceux qui croient plus

en la politique. Mangez,
il y aura pas de 2e service.

Ça va, les notes, ça va.

Vous êtes capables de retenir
2—3 choses pendant 2 heures, non ?

Je fais pas un cours sur Spinoza.

Alice Heimann, est-ce
qu'elle prend des notes ? Non.

Son cerveau est encore capable
de retenir des choses.

Bon, il faut rester modeste.

Comme dit Alice,

conscients de nos limites.

Pas de mégalomanie,
pas de gigantisme.

Et en même temps,
nous devons faire de Lyon

la 1re ville de France.

La plus attrayante,

la plus moderne, la plus adaptée
au monde d'aujourd'hui.

Nous devons faire le pont entre
nos racines les plus profondes

et la modernité la plus avancée.

Le pont aussi,
entre les privilégiés,

qui vivent
une mondialisation heureuse

et ceux qu'il faut défendre

plus que jamais. C'est
un programme ambitieux, précis.

Nous allons révolutionner
la ville et ses usages.

Nous allons inventer le grand récit
démocratique de notre temps.

-Bonjour.

-Merci beaucoup.

-Tu sais, en fait,

ton nouveau bureau crée
un énorme scandale à la mairie.

-Un scandale ?

-C'est un bureau traditionnellement
attribué à un membre du cabinet

qui a un poste beaucoup
plus élevé que le tien.

Une pétition circule et demande
que tu retournes dans l‘autre.

-Mais je m'en fous du bureau.
-Ben, eux pas.

-C'est n‘importe quoi.

-La Com est furieuse contre toi,
ils veulent piloter Lyon 2 500.

-Qui te raconte ça ?

-Un mémo a été envoyé à Isabelle.
-Il dit quoi ?

-Que t'es pas la bonne personne
pour mener Lyon 2 500,

qu'il faut faire appel
a des pros de l'événementiel,

que ça sert a rien de confier
le comité à une intello.

-Tout ça pour un truc
qui a même pas commencé.

Vibreur

Oh, c‘est Patrick Brac.

-Tu réponds pas ?

-ll m‘a laissé plein de messages,
j'ai oublié de le rappeler.

Je sais pas quoi lui dire,
c‘est aberrant son idée d'UIMPP.

-C'est un proche d‘Isabelle.
-Et alors ?

-ll finance plein de projets a Lyon.

Tu ne peux pas l'ignorer.
-Je le rappellerai demain.

-Bon, vous reconnaissez Lyon,
votre ville.

Qu'est-ce que ça vous dit?

Par exemple, vous.

-Heu, je sais pas.
La vie nocturne,

les bars, les amis.

-D'accord.
Donc, l‘idée de convivialité.

Une ville, c‘est un endroit
où on vit avec les autres.

A ce stade, est-ce que vous avez
quelque chose a ajouter ?

*—L'histoire.

*—L'histoire ?
*—L'histoire de Lyon.

Mon fils a réalisé une exposition
sur la Résistance avec sa classe.

Ça l'a passionné.

-Voilà, je suis très heureux
que vous parliez de l'histoire.

-C'est assez moche.

*—Et si je vous dis
que Lyon a 2 500 ans ?

-Oh, putain, il a balancé
l‘info trop tôt, la.

*—Je peux intervenir brièvement?

*—Bien sûr, vous êtes là pour ça.

*—Il y a pas de rapport avec ça.
*—C'est pas grave.

On est là pour parier.

*—Parce que vous parlez d‘histoire.
Vous nous demandez

comment on trouve la presqu‘île
quand vous la transformez

en Parc Astérix.

Moi, je suis imprimeur.

J‘adore les livres
qui sont bien fabriqués.

Je trouve que ce qu'on fait
maintenant, c‘est de Ia saloperie.

Enfin, voilà, il y a 6 ans,
j'ai acheté une vieille imprimerie.

Avec ses vieilles machines,
ses caractères en plomb.

C‘était la dernière imprimerie
a l‘ancienne de la région.

Donc j'ai commencé mon activité.

Ça tournait a peu près
pour que je perde pas trop d‘argent.

Les livres étaient beaux,
mes clients étaient contents.

A un moment, il m‘a manqué un peu
d'argent pour être à l‘équilibre.

J'ai demandé de l‘aide a la région,
a la mairie.

J‘avais besoin d'un coup de pouce
pour faire survivre

le dernier endroit, a Lyon,
où on fabriquait des vrais livres.

Bon, au bout de plusieurs semaines,

après avoir été baladé
de service en service,

un monsieur m‘a dit
que l'avenir, c‘était le numérique

et on m‘a proposé de suivre
une formation pour étudier

je sais pas quel logiciel,
pour faire je sais pas quoi.

*—Oui ?

Peut-être que faire vivre
l‘histoire d‘une ville,

c‘est aider, un peu,

à faire perdurer de la beauté
du passé dans la vie des gens.

-Daniel, on se voit demain ?
-Ouais.

-Au revoir, merci beaucoup.

Excusez-mol.

-Bonsoir.
-Au revoir.

-J'étais a la réunion.

-Ben… je vous ai pas vue.

-J'étais derrière une vitre,
en fait.

Je travaille a la mairie
et ce que vous avez dit m‘a touchée.

-D'accord.

Peut-être on pourrait se revoir…

Enfin, se voir pour en discuter.

-Ben… oui.

-Demain, vous êtes libre ?

-Oui.
-Vous aimez Wagner ?

Salut.

-Salut.

-Ça va ?
-Ça va.

Ben, merci.

-Je sais pas pourquoi
je vous ai proposé ce soir,

on va pas pouvoir parler.

-C'est pas grave.

On parlera une autre fois.

-Alice, Isabelle veut te parler.
-D'accord.

-Tout de suite, en fait.

-Et elle est où ?

-Elle m‘a dit de te bloquer là.

-Me bloquer physiquement?
-Oui, physiquement.

Attends, je l‘appelle.

-On y va et puis tu...
-Non, tu restes là.

-Je suis là.

Alice, il paraît que
tu n'as pas rappelé Patrick Brac.

-Non, je vais le faire demain.

-À ton niveau de responsabilité,

tu ne peux pas
ne pas rappeler Patrick Brac.

Il est furieux.

Heureusement, je lui ai dit
que t'étais pas bien.

Il sera là ce soir. Vous allez
discuter et tu t‘excuseras.

-Mais je lui dis quoi
sur son projet invraisemblable ?

-Je compte sur toi et sur ton sens
des responsabilités.

-C'était qui ?

-La directrice de cabinet du maire.

-Et Patrick Brac ?
-Un type super riche.

-Bonsoir.
-Bonsoir.

-Bravo pour le bureau.
Ça va, il est pas trop grand ?

-Ça va.

-Merci. Excusez-mol.

Pardon.

-Y a ton patron qui est arrivé.

-Oui.

-Est-ce qu'on se tutoie ?
-Oui, bien sûr.

Je suis désolée, il m'appelle.
-Oui, je vois.

-J'arrive. Pardon, excusez-mol.

-Ah, tiens, je vais vous présenter
quelqu'un de très intéressant.

Alice Heimann, M. Brown.

Alice est philosophe et elle a
la gentillesse de me conseiller.

L‘orchestre s'accorde.

-Désolée.

Excusez—mol.

Excusez-mol.

Merci.

-Tu faisais quoi, avant?

-J'ai fait de longues études
de lettres

et après,
j'ai enseigné à l'étranger...

Applaudissements

Musique classique

Je vais devoir aller
au cocktail, à la mairie.

-Ben, je vais rentrer chez moi.

Tu dois voir un tas de gens, non ?

-On aura pas du tout parlé.

-Tu m‘avais prévenu.

C'est pas grave,
la musique était belle.

On aura l‘occasion de se revoir
pour en parler, j‘espère.

-Alice ?

Tu fais quoi ?
Tu vas au cocktail ?

-Oui, faut que je voie
les gens de la mairie.

-Alors, ça t‘a plu ?
-Ouais, c‘était beau.

Brouhaha

-Bonsoir, Alice.

-Faut que je te prévienne, Delphine
veut absolument parler a Théraneau.

Elie m'en a parlé
toute la soirée hier.

J'ai essayé de Ia dissuader,
mais plus j‘essayais,

plus elle était persuadée
que c‘était son devoir

le plus impérieux. Tu vois ?

-Alors, l'art total,
ça vous a inspirée ?

-Oui, c‘était très beau.

Désolée de pas vous avoir rappelé,
j‘étais pas très très bien.

-J'ai appris que vous aviez
un très grand bureau, maintenant.

Ça vous monte pas a la tête,
j‘espère.

La modestie,
c‘est une qualité importante.

Notamment en politique.

Y a tellement de gens qui sont pas
en contact avec les gens.

-Vous savez, je viens de commencer.

-Oui, vous étiez à Oxford,
c‘est ça ?

-C'est ça.

-C'est l'idéal pour perdre
le contact avec le soi.

Le prenez pas mal.

Oh là là,

vous êtes susceptible, vous.

-En fait, je voulais vous rappeler
après avoir pris le temps

de trouver les mots justes
pour vous parler de votre projet.

En fait, je suis une besogneuse.

J'ai besoin de penser a ce que
je dois dire pour bien le dire.

-Vous n‘êtes pas simplement
un peu trouillarde ?

Vous êtes très belle,
en tout cas.

-Ça va ?

-Patrick Brac,

Delphine.
-Bonsoir.

-C'était très beau.

-Oui ? Je m'en rends plus compte.
Tu me présentes à Théraneau ?

Là, maintenant.

-A bientôt.
-A bientôt.

-Hein, Alice, c‘est important.
-Je sais pas,

je t'avoue que je sais
même pas s'il est resté.

-Mais en même temps,
les événements...

-Il est la.

Onyva?

-Delphine.

-Delphine Bérard,

je suis une amie d'Alice.
-Enchanté. Je suis ravi.

J‘étais persuadé qu‘Alice
n‘avait pas beaucoup d‘amis.

-Je viens vous proposer
un traité de paix.

-Parce que nous sommes en guerre
avec Saint—Etienne ?

-Un traité de paix
avec les autres espèces.

Une nouvelle alliance.

-Mais… Quelles espèces ?

-La société industrielle,
sous sa forme de société

dépendante aux énergies fossiles
est condamnée.

-Oui, d‘ailleurs, on a lancé un plan
pour le développement durable

et pour la croissance verte.

-Si on ne fait rien, vous savez
comment sera Lyon dans 50 ans ?

Un amas de gravats.
L'humanité aura disparu.

Il y aura peut-être quelques
petits mammifères et des insectes.

Il faut inventer d'autres symbioses
avec d'autres formes de vie.

On doit se voir.
Il faut transformer Lyon 2 500.

Il faut faire quelque chose
sur la disparition

de l‘espèce humaine, sur le moment
où elle se réinventera.

Il faut inventer
un nouveau récit.

Et les artistes
et les scientifiques ont besoin

des politiques
pour l'inventer et le répandre.

-Vous avez participé
au spectacle de ce soir ?

-Oui,
j'ai travaillé sur les décors.

-C'est remarquable,
je vous félicite, bravo.

Je vais rentrer à pied.
Vous m‘accompagnez ?

Excusez—mol,
je vais rentrer chez moi.

-Bien, ben, bonne soirée.

-Ça va ?

-Elle est sympa, votre copine.

C'est une enthousiaste.

Discussion inintelligible

Discussion inintelligible

-Vois ça avec Christian,

c‘est lui qui a
le planning du maire a Paris.

A priori, j'ai rien contre,
mais tu vois ça avec lui.

Faut que je te laisse,
on va a la Sucrière.

Oui, au revoir.

Excuse-mol.

Alice, il faut qu'on parle
rapidement, mais sérieusement.

D'abord, je suis très contente
du travail que tu as fait

avec le maire.
Il va beaucoup mieux.

Il est plus combatif
depuis que tu es là.

-Merci.
-Mais bon,

je vais être directe.

T'es devenue
trop importante pour lui.

-C'est-à-dire ?

-Paul va prendre le parti
au prochain congrès.

Ensuite, il sera le candidat
socialiste a la présidentielle.

L‘influence que tu as sur lui,
il faut qu'elle cesse.

Je lis les notes
que tu lui envoies.

Elles Ie stimulent,

mais elles lui obscurcissent
l'esprit, aussi.

Ça, pendant les prochains mois,
on peut pas se le permettre.

-Elles lui obscurcissent l'esprit ?

-Ouais. Faut qu'on se concentre
maintenant sur le message.

Le temps de la prospective
est terminé.

-T'es en train de me dire qu'il doit
a nouveau arrêter de penser.

-Paul va devenir un des hommes
les plus importants de France.

Et demain, du monde, peut—être.

Je suis désolée,
mais le jeu n‘est plus le méme.

Et je te remercie, Alice.

-Bon, Alice, j'ai réfléchi,

on va tout annuler Lyon 2 500.

C'est une idée grotesque, non ?
-Oui, oui.

Je vois pas comment
ça pouvait se terminer autrement.

Au début, il y avait des élus,
des responsables associatifs,

et finalement, j'ai assisté à des
réunions de marketing qualitatif.

Allez pas chercher plus loin.

-Mais en même temps, les militants,
les universitaires,

ils ne savent
qu‘organiser des colloques.

Ils parlent avec d'autres
intellectuels en circuit fermé.

On est bien obligé de faire appel

a des sociétés extérieures
pour avoir des idées innovantes.

-Faudrait qu'on nous écoute un peu.

-Le problème des intellectuels,

c‘est qu‘ils pensent
qu'un raisonnement rigoureux

est une fin en sol.

Mol, avec un raisonnement
rigoureux, je peux rien faire.

D'abord,
je perds les élections.

Je suis impuissant face
aux populistes, à l'opposition.

J'ai besoin d‘intuitions,
d‘idées fortes.

J'ai besoin de courage.

L‘appel du 18juin,
c‘est pas l‘acte d'un intellectuel,

c'est... je sais pas, moi.

En juin 1940, les intellectuels
étaient complètement paumés.

Vous avez qu'à lire
les écrivains de l'époque.

-Vous avez lu "L‘Etrange Défaite"
de Marc Bloch ?

-Non.
-Vous voyez ce que c‘est ?

-Non.

-C'est une analyse brillante
de la situation en juin 40.

Ça a été écrit par un historien,
un intellectuel, donc.

Il a été fusillé par les nazis
pour actes de résistance.

Lisez-Ie et on en parlera après
des intellectuels.

-Vous énervez pas.

Vous savez
ce que je dois faire, ce soir ?

-Non.

-Faut que je dîne
avec mon ex-femme

pour lui annoncer que je risque
de me présenter a la présidentielle.

Ça m‘a complètement empêché
de dormir.

Ça m‘a empêché de dormir.

C'est pour ça
que je suis un peu fatigué.

Vous pouvez pas savoir a quel point
les femmes m‘impressionnent, Alice.

-Tu fais quoi,
exactement, à la mairie ?

-Je conseille le maire.

-Tu lui donnes
quels genres de conseils ?

-Je sais pas si j'ai très envie
d'en parler maintenant.

En fait, je suis censée
lui donner des idées.

-Des conseils ou des idées ?
-Non, plutôt des idées.

J'ai vraiment bien aimé
ce que t'as dit

la dernière fois sur...

sur le livre,
sur ton imprimerie.

J'ai fait des études de lettres,
je viens de là

etj'ai tendance a l‘oublier,
alors ça m‘a touchée.

-Mais… Oh, je sais pas comment

formuler ça...

Comment tu t'es retrouvée là ?
C‘est l‘horreur, non ?

-Non, pas exactement, non.

-J'ai eu un peu affaire
a des hommes politiques.

A chaque fois, ce qui m‘a frappé,
c‘est la nullité intellectuelle

du milieu. C'est pas imaginable
tant que tu l‘as pas constaté.

Ils sont la, ils lisent pas.

lis s‘intéressent à rien.

Chez eux, tout est du vent.

lis s‘intéressent à leur carrière.
Derrière ça, c‘est le néant total.

-Il y a toujours eu des princes
et des philosophes, non ?

C'est idiot de demander à Louis XIV
d'être Molière ou La Fontaine.

-Je sais pas si Louis XIV
était aussi bête, quand méme.

-Je sais pas,
j'ai jamais discuté avec lui.

Excuse-mol,
je te trouve vraiment cool.

Je comprends pas comment
tu peux frayer avec ces gens—là.

Elie pleure.

-Ça va pas du tout.

-Oui, je vois bien, je...

Qu'est-ce qui se passe ?

-Je sais pas, je...

Je suis complètement déprimée.

J'ai l‘impression
de rien avoir dans ma vie.

Mon boulot, c‘est pas un boulot.

J'ai l‘impression
que la politique me rend bête.

Je sais pas quoi faire de ma vie,
y a rien qui m'intéresse.

J'ai pas d‘enfant, j'ai pas de mec.

J'ai pas de famille, j'ai 30 ans.

-T'as le temps, encore.
C'est pas comme si t'étais...

-Non, non, pas tellement,
franchement.

Je veux pas d‘enfant, je veux juste
me dire que je pourrai en avoir.

Ça te dérange pas
si je vais me mettre en pyjama ?

-Non, non, vas-y.

-Merci.

Gauthier ?

-Oui ?
-Tu viens ?

Delphine
t'a pas posé de questions ?

-Non, non, non.

Tu sais, elle est pas là,
en ce moment.

Elle est à l‘hôpital psychiatrique.

Elie rentre demain.

Non, mais ça va, t'inquiète pas.

C'est pas la 1 re fois.

Et puis la, ça lui arrive
de moins en moins souvent.

Non, t‘en fais pas.

C‘estjuste la contrepartie
de sa lucidité.

Son rapporte extrèmement étroit
a la réalité.

Elle se raconte pas d‘histoire,
alors c‘est sûr,

de temps en temps, elle nous laisse
un peu sur le bord du chemin.

Je sais pas si c‘est la folie
qui lui fait voir la vérité

ou si c‘est la vérité
qui la rend folle.

Mais bon, allez,
ne pense pas a ça, ce soir.

-Mais toi, ça va ?

-Oui, oui, ça va. Je suis
un tout petit peu angoissé,

mais ça... ça va.

Allez, dors.

Vibreur

Oui, allô ?

Oui.

Ne quittez pas, je vous la passe.

Alice ? Alice ?

C‘est Paul Théraneau.

-AIIÔ ?

*—Alice ?
-Oui ?

*—ll fallait
que je vous parle absolument.

Heu...

J'ai dîné avec ma femme, ce soir,
et ça m‘a fait un drôle d'effet.

*—Pourquoi ?

-Je sais pas, c‘est une intello,
un peu dans votre genre.

Elie arrête pas de me répéter,
à chaque fois que je la vois,

que le monde politique,
c‘est de la merde.

Au moins,
vous n‘êtes pas comme ça, vous.

Vous n‘êtes pas comme ça,
n'est-ce pas ?

*—Non.

-Je vous réveille ?

*—Non, non.

-Je sais pas pourquoi
je parle de tout ça avec vous.

J'ai l'impression qu'on est
un peu pareil, on a peu d‘amis.

Moi, j'ai jamais été très doué
pour l‘amitié.

Comme j'essaye
de trouver un peu un sens

a ce que je fais
en parlant avec vous...

Je vais tout arrêter, je pense.

J‘en peux plus, moi, de la vanité
de toutes ces choses.

Lyon 2 500, c‘était une idée
complètement idiote, évidemment.

Je vais pas non plus
me présenter au congrès.

Non, je vais finir mon mandat,

simplement, discrètement,
sans coup d'éclat.

Vous êtes là ?
-Oui, oui.

-Je sais pas,
je sens comme un blanc.

Vous me répondez pas ?

Vous me trouvez vide ?

Vous trouvez
que je ne dis rien d‘intéressant ?

Vous pensez comme ma femme, quoi ?

*—Mais non, vous n‘êtes pas vide.

Vous me dites tout ça
pour que je vous flatte.

-Bon,
alors j'arrête de me plaindre.

Ça va, vous ?

-Heu, oui.

*—Moi, ma femme, ça avait pas l‘air
d‘aller très fort.

Bon, bonne nuit, Alice.

Vraiment merci
pour la conversation.

Vous sauvez pas mal
de mes journées, en ce moment.

*—Merci.

C‘est toujours un plaisir
de parler avec vous.

-Bon, ben, a demain.

Elie soupire.

Bonjour.

-Bonjour.
-Bonjour.

-lnstallez-vous.

Pardon.

Bon, vous connaissez tous ici

mes difficultés récentes.

A la fois personnelles,
professionnelles et même politiques.

Cette sensation
de ne plus vraiment être a ma place,

d‘avoir fait le tour
de quelque chose

et surtout d'être à court d‘idées
et donc d'énergie.

J'ai décidé

de m'éloigner peu a peu
des affaires de la mairie.

A moyen terme, Mathilde Jurençon

prendra les rênes entières
de la mairie.

Alors, à partir delà,

il y a 2 possibilités
qui s‘ouvrent à moi.

La première,

c‘est la retraite politique.

En même temps,
je suis encore un peu jeune,

je suis en bonne santé,
en assez bonne forme physique.

Et la politique, surtout,
je sais faire que ça.

La seconde possibilité,

c‘est un engagement différent.

Une autre manière
de servir ma ville et mon pays.

J'ai donc décidé
de présenter une motion

au prochain congrès
des socialistes.

Si ma motion est votée, il faudra
construire un projet présidentiel

qui intégrera ces orientations,
mais on en est pas encore là.

Isabelle, il faut réorganiser
largement le cabinet.

Il faut trouver
et former quelqu'un

qui puisse vous remplacer si,
je sais pas...

Si vous étiez obligée
de m‘accompagner a Paris. Grégoire,

il faut absolument que j‘aille
a Paris prévenir Patrice.

C‘est la moindre des choses.

Alice,

on va écrire tous les 2
le discours de ma vie.

-J'avais un cadeau, mais je sais
pas si c‘est toujours d'actualité.

-Rousseau.

"Les Rêveries
du promeneur solitaire".

”Me voici donc seul sur la terre,

"n'ayant plus de frère,
de prochain, d'ami,

”de société que moi—méme.

"Le plus sociable
et le plus aimant des humains

”en a été proscrit
par un accord unanime.

"Ils ont cherché
dans les raffinements de leur haine

"quel tourment
pouvait être le plus cruel

"à mon âme sensible

”et ils ont brisé violemment
tous les liens

"qui m‘attachaient a eux.

"J'aurais aimé les hommes
en dépit d‘eux—mêmes."

Merci, Alice.

Téléphone

-AIIÔ ?

Non, je ne quitte pas.

Oui, bonjour, Henri.

Ecoute, rien de spécial.

Paul finit de rédiger
son discours, seul.

Il est très concentré,
très déterminé.

On fera rien avant ce soir,
ça sert a rien.

Non, il n‘y aura pas de majorité,
le Nord bloque tout.

On attend, confiants.

Et Paul se prépare.

Il interviendra tard
dans la soirée.

-Vous savez qu‘ils veulent
me faire lire un autre discours ?

-Oui, Isabelle m‘a dit.

-Il a été écrit
par une boîte de communication.

-Celle de Lyon 2 500 ?
-Non, une grosse boîte parisienne.

Je sais pas,
ils testent des idées, des thèmes,

sur un panel de Français.

-Vous l‘avez lu ?
-Oui, je l‘ai lu en diagonale.

Je l‘ai validé, c‘est pas mal.

Bon, on a pas trop de temps,
on y va.

Le 3e paragraphe,
vous pouvez me le relire ?

-"II ne suffit pas de dire que
nous allons lutter contre la finance

"comme si elle était une armée
abstraite, sans soldat.

”Cette armée est concrète et
de quoi et de qui est-elie faite ?

"Par exemple, ici, en France,
la réponse est simple,

"simple, mais terrible. Le monde
de la finance, ce sont nos enfants.

"Oui, les enfants de la République.

"Je vais même aller plus loin,
ce sont nos meilleurs élèves,

"ceux-là mêmes que notre école
républicaine a révélés,

"accompagnés, instruits,
élevés jusqu‘à l‘excellence."

-C'est un peu violent, non ?

-Non, je crois pas.
Vous aimiez bien.

-Allez-y, continuez.

-"Ceux que l‘on appelait autrefois
l'élite de la République.

"Ils étaient hier scientifiques,
ingénieurs, professeurs,

"médecins, architectes, généraux.

"Aujourd'hui, ils se pressent,
dès leur vingtaine,

"aux portes des plus grandes banques
et entreprises financières.

"Mes amis, mes camarades,
qu'avons-nous fait de nos enfants ?"

-C'est quand même violent.

-"Qu'avons-nous fait de nos enfants,
les plus brillants d‘entre eux,

"ceux qui auraient mené
notre pays vers le progrès social,

"vers une solidarité plus efficace ?

"Pour reprendre la célébre phrase
de Mario Vargas Llosa :

"'A quel moment la France
s'est-elie foutue en l‘air ?"'

-Non. "Pour paraphraser
Mario Vargas Llosa :

"'A quel moment la France
s'est-elie foutue en l‘air ?"'

C‘est moins lourd.

-"Pour paraphraser
Mario Vargas Llosa :

"'A quel moment la France
s'est-elie foutue en l‘air ?'

"A quel moment son école
a-t-elle retourné la République

"contre elle-même ? A quel moment
a-t-elle fabriqué cet individu,

”sans attachement national,
sans sentiment de solidarité ?

"Quand a-t-elle enfanté ce citoyen
du monde qui part travailler

”dans tous les Wall Street du monde
et qui paye de moins en moins

"ses impôts en France ?"
Voilà, on en est la.

-C'est vraiment très bon.

Il y a une répétition de "monde",
mais je pense que ça va passer.

Donnez—moi vos notes.

Je vais vous dicter. Si quelque
chose ne va pas, dites—le,

on reprend, d'accord ?

"C'est a la République
de répondre..."

-"C'est a la République
de contre-attaquer", non ?

-"C'est a la République
de contre-attaquer..."

Non, "c'est a la République
de faire sa révolution".

-Non, la République
a déjà fait sa révolution.

-Non, la France
a fait sa révolution

et on est en république.

-"C'est a la République
de faire sa révolution."

-C'est bon, cette formule, non ?
-Ouais…

-"C'est a la République de faire
sa révolution et c‘est a son bras

”le plus puissant d‘agir. Je veux,
bien sûr, parler de l‘école.

"Eten particulier
de nos meilleures écoles,

”celles que le monde entier
nous envie..."

Ça va pas trop vite ?
-Un peu trop vite.

-Un peu trop vite ? Alors...

"Eten particulier de nos meilleures
écoles, celles que le monde entier

”nous envie.
Rappelez-vous, il fut un temps

"où les écoles d'ingénieurs
formaient des ingénieurs

”et non des banquiers.
Il fut un temps

"où les écoles de commerce
formaient des entrepreneurs

”et non des banquiers.
Il fut même un temps

"où l'Ecole Nationale
d'Administration

"formait des serviteurs de l'État
et non des banquiers."

-C'est bien, ça.
-Oui, c‘est bon.

Dans les notes,
on avait écrit "ENA",

mais Ecole Nationale
d‘Administration, c‘est bien mieux.

Vous aviez raison.

Maintenant, allons au passage
sur la modestie.

-À quelle heure vous parlerez ?
-Minuit, une heure. Si je parle.

-Comment ça ?

-Je prendrai la parole
si je le juge nécessaire.

On frappe.

Entrez.

-C'est le discours, M. le maire.
-Merci, Jean—Pierre.

Allez-y, on y va sur la modestie.

-Attendez, attendez. Voilà.

"La droite va nous dire,

"j'ose dire la droite, mais aussi
une partie dela gauche..."

-Non, mettez ça entre parenthèses.

Je viens de dire du mal
des enfants de profs,

je vais pas dire du mal
de l'autre moitié du parti.

-"La droite va nous dire : 'On ne
peut pas se passer de la finance.‘

"Nous avons besoin de toujours plus
emprunter de l‘argent.

"Peu importe
s'il n‘y a plus d‘argent,

"si le système économique
est a bout de souffle.

"Aux meilleurs d‘entre nous
de trouver des moyens

”de fabriquer l‘argent dont
nos économies malsaines ont besoin."

Economies "boursouflées"
au lieu de "malsaines".

Vous pensez pas ? Entrez.

-Paul, ça se corse.

Le blocage risque d‘arriver
plus vite que prévu.

-Je peux finir
mon discours ou pas ?

-2 minutes.

-Bon, alors,
"aux meilleurs d‘entre nous

”de trouver des moyens
de fabriquer de l'argent."

Ça, on l‘a dit.
"Si la richesse vient à manquer,

"si les milliards des banques
ne sont plus que du vent

"dissimulé
dans des paradis fiscaux..."

Du vent dissimulé,
c‘est pas possible.

-Mais qu'est-ce qu'on met
a la place ?

-Heu, alors attends...

Excusez-mol, je vais prendre
votre place.

Alors, je dis :

"Si la richesse vient à manquer,

"si les milliards des banques
et des plus riches

”ne sont plus que du vent dissimulé
dans des paradis fiscaux,

"alors, peut—être,

”le temps des chemises françaises
fabriquées en Chine

”pour un euro est-ll révolu,

"celui des pots de yaourts
fabriqués à 3 000 km

"des yaourts eux—mêmes
appartient-ll au passé ?

"Peut—ètre est-ll temps de rendre
le fonctionnement de nos sociétés,

”de nos économies,
plus simple, moins fou,

"plus juste, plus décent.

"Ça doit être cela,
la gauche, aujourd'hui.

“Peut-ètre est-ll enfin venu,
le temps de l'instruction pour tous,

”de la responsabilité de tous.

“Peut-ètre est-ll enfin venu

”le temps de la modestie."

Bon, vous imprimez,

vous distribuez ça a tout le monde
et vous leur dites

qu'il remplace
et qu'il annule l'autre discours.

OK ?
-OK.

-Merci beaucoup, beaucoup.

*—C'est vrai que cette attente
fait douter ses partisans.

Finalement, s'il n‘y va pas,
qu'est-ce qui se passe ?

Le problème des socialistes,

c‘est qu‘ils n‘ont pas
de banc de touche.

Il n‘y a pas d'alternative,
Paul Théraneau est le mieux placé.

*—Non, il ne fait pas négliger
l'option Laurence Simeuse.

Et plus qu'un plan B,
je pense que c‘est

le plan A pour beaucoup.
-Le maire finit son discours

et à 22h45,
les communiqués de presse suivent

avec le discours
en pièce jointe.

-Le discours de tout a l‘heure.

*—De la lassitude.
Il a déjà une longue carrière.

Ou est-ce qu'il y a
quelques réglages,

quelques négociations
de dernière minute ?

-C'est Vanessa.

Elie aimerait
que vous parliez tout de suite.

Certains s‘impatientent.

-Vous lui dites de patienter
encore un peu, d'accord ?

*—Une partie des militants
socialistes n‘est pas convaincue.

Il va maintenant devoir montrer
une nouvelle image...

-Julien, t'es pas
au centre des congrès ?

-Non, ils sont encore là-haut.
Je sais pas ce qui se passe.

Brouhaha

Vibreur

-Oui ?

Je sais pas. On attend.

-Isabelle ?

-C'est certain, ça ?

C‘est Simeuse
qui va faire le discours à 22h.

-Qu'est-ce qui se passe ?

Ça veut dire quoi ?

-Ça veut dire que le parti
a décidé de plus attendre le maire.

Que Simeuse va opérer une synthèse
et mettre tout le monde d‘accord.

-Mais elle va pas se présenter
a la présidentielle ?

-Non, elle organisera des primaires.
Ce soir, ça arrange tout le monde.

On avait une fenêtre de tir,
on l‘a ratée.

Y aura pas de discours ce soir
et Théraneau sera jamais président.

-Alors, on est au chômage.

On sort ? Je vais fumer.

Ton discours était excellent,
vraiment.

Provoca nt,

c‘est risqué, mais inattendu.
Très mordant.

-Mordant ?
-Oui, mordant, c‘est vrai.

J'y retourne. Je vais rédiger
mon CV, ça va me calmer.

-Bonjour.
-Bonjour.

-Entrez.

J'ai fait quelques petits travaux.

C‘est plus lumineux,
mais je sais pas si je vais rester.

Vous voulez un café ?
-Je veux bien, merci.

-Votre fille, ça va ?

-Oui.

-J'ai reçu des photos. Elle est
très belle, elle vous ressemble.

Vous n‘êtes pas trop fatiguée ?

-Non, ça va, elle fait
ses nuits, maintenant.

-Et le travail, ça vous plaît ?

-Oui, oui, j'aurais préféré
rester en France, mais…

-Vous travaillez pour la France,
quand même, non ?

-Je rencontre des gens et ça
me laisse beaucoup d‘opportunités.

-Des possibilités,
toujours des possibilités.

Et le pays ?

-Méconnaissable.

C‘est l‘aspect le moins agréable
de mon travail.

J'y étais pas retournée depuis
10 ans, même les gens ont changé.

L'ambiance dans les cafés,
dans les restaurants...

Ce que disent les plus jeunes,
sudout

-Ça m‘a fait penser a une
de vos notes. Merci, d‘ailleurs,

vous n‘étiez pas obligée
à continuer de m'en écrire.

-Je les écris aussi pour moi
et pour l‘ambassade.

-Ça m‘a fait penser
a ce que vous disiez

sur la perte du crédit moral de...

-La perte du crédit moral

qui affecte
les formes civilisées de la vie.

-De la perte du crédit moral

qui affecte les formes civilisées
de la vie.

C‘est bien dit.

Avant, les électeurs exigeaient
toujours plus de droits,

toujours plus de démocratie.

Et dans les dernières années
de mon mandat,

j'ai eu l‘impression qu‘ils
se méfiaient de la démocratie.

Bon, j'arrête de vous embêter.
Vous n‘êtes plus payée par la mairie

pour me faire réagir à vos notes.

-Mais vous, ça va ?

Vous savez ce que vous allez faire,

maintenant?

-Je suis un petit peu comme vous.

Je me réjouis des possibilités.

On me propose de donner des cours,

de faire des conférences.
Je sais vraiment pas.

-J'ai un petit cadeau pour vous.

-Vous avez un cadeau ?

C‘est gentil.

Je l'ouvre ?
-Oui.

Vous l‘avez lu ?
-Oui, je l‘ai lu.

Je me suis remis à lire.
Enfin, un petit peu.

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