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D'apr�s la pi�ce
de Hjalmar S�derberg

Gertrud...

Ah, tu es l� !

Je pars dans un instant.

Tu vas au syndicat, ce soir ?

oui, il y a r�union du bureau.

Moi, je vais probablement aller
� l'op�ra, dans ma loge habituelle.

- Que donne-t-on ?
- Fidelio.

Viens,

j'aimerais te parler un peu.

J'ai quelque chose � te dire.

- Ma m�re est-elle venue ?
- Non.

Elle va venir chercher son argent.

C'est �a que tu voulais me dire ?

Non.

Viens,

assieds-toi.

Dis-moi, Gertrud,

�a te plairait de devenir
la femme d'un ministre ?

Dis-moi d'abord avec quel ministre
tu veux me marier.

Le ministre Kanning.

Ah, quelle grande nouvelle !

Tu vas devenir ministre ?

Tu n'es pourtant pas
un vif partisan du gouvernement.

Non, mais il para�t

qu'un grain de sel
dans le gouvernement ne nuirait pas.

Et tu serais ce grain de sel ?

J'ai rencontr�
ce nouveau g�nie de la musique.

Erland Jansson, c'est bien �a ?

Erland Jansson,
si tu veux parler de lui.

oui, Erland Jansson.
Est-ce un vrai g�nie ?

on le dit.

Mais toi qui t'y connais,
qu'en penses-tu ?

Sais-tu qui j'ai vu aussi ?

Non.

Gabriel Lidman.

Je ne voulais pas te blesser.

Je sais.

Je lui ai dit de venir nous voir.

Viendra-t-il ?

oui. Du moins, il l'a dit.

Il a �t� longtemps absent.

- Combien ? Deux ans ?
- Trois.

Voil� quelques lettres.
Sans doute des factures.

Il y a une photo de Lidman
dans le journal.

Montre-moi.

Toujours le m�me.

oui, il n'a gu�re chang�.

Lui as-tu dit
que tu allais faire un discours ?

Il le savait.

Je serais contente de le revoir.

Pourquoi avais-tu rompu avec lui ?

Ne parlons pas de �a.

Ce chapitre de ta vie est oubli�.

Tu m'as dit que c'�tait fini,
et je te crois.

Tes relations avec Gabriel Lidman

ne me regardent absolument pas.

Tu �tais libre, � cette �poque.

Tu �tais une artiste,
lui, un �crivain c�l�bre.

C'�tait parfaitement normal.

Tu trouves ?

Naturellement.
Pourquoi ris-tu ?

Je souris seulement.

Quand je pense
� tous les pauvres gens

qui se permettent d'aimer

alors qu'ils ne sont
ni artistes ni c�l�bres.

Sais-tu
o� est ma grande serviette ?

Dans le hall.

Comme tu es belle, Gertrud !

C'est Gabriel
qui m'avait donn� ce miroir

pour que je puisse voir
quelque chose de beau

en me r�veillant.

- Ce sont ses paroles.
- Je sais.

Plus tard,
tu m'en as donn� un, toi aussi.

Maintenant, le sien est ici,
dans ton bureau.

Embrasse-moi, Gertrud.

Il fait nuit de bonne heure.

Alors, je dois partir.

Je cherche tes l�vres,
tu me tends la joue.

Ta chambre m'est ferm�e
depuis un mois.

Avant, j'y �tais bien accueilli.

Souvent, la nuit, je pense � toi.

Tu aimes peut-�tre un autre homme.
Mais qui ?

C'est s�rement ma m�re.

Bonjour.

- Bonjour, Gustav.
- Bonjour, maman.

Ces escaliers !

- Bonjour, Gertrud.
- Bonjour, belle-maman.

Assieds-toi.

Tu viens tard.

Je me suis endormie en lisant.
C'est la vieillesse.

- Quel livre �tait-ce ?
- J'ai d�j� oubli�.

De quel auteur ?

Je ne sais pas,
mais c'est un livre �trange.

Et le sujet ?

En fait, je ne comprends pas
la litt�rature moderne.

- Une tasse de th� ?
- Je pr�f�rerais du porto.

- Bien.
- Merci.

Gertrud est vraiment
l'�pouse id�ale.

C'est vrai.

- Je le dis � tout le monde.
- On te le demande ?

Non, mais on ne peut emp�cher
les gens de parler.

Bien que,
depuis que tu l'as �pous�e,

nul n'ait rien eu
� lui reprocher.

Du moins, jusqu'� pr�sent.

Comment s'appelait donc
cet homme ?

Lidman.

- Ce n'�tait que des ragots.
- Bien entendu.

Il para�t que tu es sur le point
de devenir ministre.

on dit tant de choses !

- Combien gagnerais-tu ?
- Il faut se sacrifier pour son pays.

Grand Dieu ! Tu le regretteras.

Pense � ton p�re
et aux sacrifices qu'il a faits.

Qu'en a-t-il retir� ?

Quelques d�corations.

Non, Gustav,
continue d'exercer ton m�tier.

Et oublie un peu la patrie.

Si je deviens ministre,
ce sera pour moi-m�me.

Pour que Gertrud
puisse aller au bal de la cour.

�a ne l'int�resse absolument pas.

Gertrud, que dis-tu � l'id�e
de devenir femme de ministre ?

Il n'y a encore rien de certain.

Le pr�sident du Conseil
va m'appeler.

J'allais oublier ton argent.

Je vais le chercher.

Il faut absolument que je te parle.
C'est tr�s s�rieux.

Maman, je dois aller � une r�union,
et Gertrud s'en va.

Il est d�j� tard,
et j'ai encore tant � faire.

Tiens, ton argent.

Merci, Gustav. Au revoir.

Au revoir, maman.

- Au revoir, Gertrud.
- Au revoir, belle-maman.

Qu'avais-tu � me dire ?

Une chose
que j'ai trop tard� � te dire.

Mais je n'ose plus attendre.

Tu vas avoir de la peine.

Gustav, je ne serai pas
la femme d'un ministre.

Que dis-tu ?

Je ne veux plus �tre ton �pouse.

Que veux-tu dire ?

Quand tu m'as donn� mon alliance,

tu m'as dit que si l'un de nous

d�sirait reprendre sa libert�,

l'autre devrait s'incliner.

Tu t'en souviens ?

Je m'en souviens.

� cette �poque,
�a m'avait fait de la peine.

Il me semblait impossible
de vivre l'un sans l'autre.

Quand j'ai compris que tu m'aimais,

je suis venue te dire
que je voulais �tre � toi.

Je m'en souviendrai toute ma vie.

Et maintenant, tu veux partir ?

Gertrud, je ne comprends plus !

Tout est tellement diff�rent,
� pr�sent.

Nous-m�mes, nous avons chang�.

Je t'aime, Gertrud.

Aimer...

C'est un bien grand mot.

Tu aimes tant de choses.

Tu aimes le pouvoir, l'honneur.

Tu t'aimes toi-m�me,
ton intelligence,

ainsi que tes livres et tes cigares.

Je suis s�re que tu m'as aim�e
de temps � autre.

Comment peux-tu parler ainsi ?

Quand nous sommes seuls
tous les deux,

tu peux rester des heures enti�res
� regarder en l'air

sans dire un mot.

Je pense � des choses.

- Des choses ?
- Oui.

Mes affaires, mon travail.

Ton travail, oui.

Nous y voil�.
Tu ne penses qu'� ton travail.

Prends-tu cela
pour de l'indiff�rence ?

C'est pire que de l'indiff�rence,

c'est un manque de sensibilit�.

Une femme aime en premier lieu
son mari.

Pour l'homme,
le travail passe avant la femme.

N'est-ce pas naturel ?

Bien s�r qu'il est
dans la nature de l'homme

de travailler, de cr�er.

Mais �a ne doit pas
lui faire oublier sa femme.

J'ai souvent l'impression
que je n'ai pas de mari,

que je n'existe pas pour toi.

Que me reproches-tu d'autre ?

La fa�on humiliante
que tu as de me montrer.

Le peu d'importance
que j'ai � tes yeux.

Que suis-je exactement pour toi ?

Tu n'essaies jamais de deviner
mes d�sirs ou mes pens�es.

Que je sois heureuse ou triste

t'indiff�re totalement.

Si j'ai bien compris,
tu me reproches

l'int�r�t que je porte
� mon travail.

L'homme avec qui je veux vivre

doit m'appartenir enti�rement.

Je dois passer avant tout.

Je ne veux pas �tre un simple objet

avec lequel on joue quelquefois.

Ma petite Gertrud,

l'amour seul
ne peut remplir la vie d'un homme.

Ce serait ridicule, voyons !

Peut-�tre bien

que ce serait ridicule.

Tu vois bien le peu d'importance
que j'ai pour toi.

Le vide que je laisserai en partant
sera insignifiant.

Me caches-tu quelque chose ?

Quelqu'un d'autre ?

Tu es libre de penser
ce que tu veux.

Tu aimes un autre homme ?

oui.

Et vous avez d�j�... ?

Non.

Mais vous allez le faire ?

Tu vas me rendre fou !

oh, non.

La femme qui pourrait
te rendre fou n'existe pas.

Tu le sais bien.

Qui est-ce ?

Tu crois que je vais te r�pondre ?

Est-ce un homme
qui d�sire t'�pouser ?

Je vais sans doute recommencer
� chanter et m'assumer seule.

Qui est-ce ?

Tout ce que je peux te dire,

c'est qu'il n'est pas
de notre milieu.

o� l'as-tu connu ?

As-tu l'intention
de partir pour toujours ?

Non, je voulais simplement
te le dire maintenant.

Nous pourrons en reparler plus tard.

Et demain, nous irons � la soir�e.

Pourrais-tu au moins me dire
comment c'est arriv� ?

Quand on comprend, tout est facile.

Que puis-je dire de plus ?

Je ne comprends pas moi-m�me.

Il n'y a qu'une chose
dont je suis certaine,

c'est que je suis tr�s amoureuse.

�a ne te fait rien
de me dire toutes ces choses ?

En somme,
tu me demandes ton cong�.

J'ai souffert trop longtemps.

Je ne savais pas comment te le dire.

C'est �pouvantable.

Tu as pris les choses
bien mieux que je ne l'aurais cru.

�a a �t� plus facile
que je ne l'imaginais.

o� vas-tu maintenant ?

Comme je te l'ai dit...

ce soir, je vais � l'op�ra.

Au revoir, Gustav.

Tu m'as attendue ?

oui, trop longtemps.

Pardonne-moi, mon amour.

Je vais essayer.

Tu m'aimes ?

Dis-le-moi.

Je t'aime.

Dis-le-moi encore.

Je t'aime.

Mais il faut
que nous parlions s�rieusement.

Que puis-je �tre pour toi ?

Nous sommes si diff�rents
l'un de l'autre.

Tu es tout pour moi,

ma nouvelle vie
dans la joie et le malheur.

- Le malheur ?
- Oui.

C'est un malheur pour moi
de t'aimer comme je t'aime,

sans bien te comprendre.

Je ne suis pour toi qu'un caprice.

Tu m'as envoy� des roses.

C'�tait pour ton premier concert.

Deux roses et une carte.

Je n'ai pas re�u de r�ponse,
ni de remerciements.

J'ai re�u d'autres roses.

Tu te souviens
de notre premier baiser ?

Je me souviens
d'une avalanche de baisers.

Des baisers qui me p�n�traient,

me faisaient perdre le souffle.

Je ne pensais plus qu'� toi.

Quand je t'ai vu, au concert,
je n'ai pu que t'aimer.

Et quand je te demande
d'�tre mienne, tu h�sites.

Pourtant,
tu dis que je suis tout pour toi.

oui.

Tu es tout pour moi.

Sais-tu comment tu l'es devenu ?

J'ai voulu entendre ta voix
pour savoir si je pouvais t'aimer.

Alors, je suis all�e te voir.

Dieu seul sait
comment j'en ai eu le courage.

Par chance, j'�tais chez moi.

Entrez.

Immortel enfant ail� et Dieu

Une fois de plus, mon c�ur a ob�i

� ton commandement s�v�re

De nouveau, je suis seule

Au milieu de ces gens satisfaits

Quand cesseras-tu d'�tre impitoyable

Envers moi ?

Dans l'ombre s'est form�e une perle

Dans la nuit, un r�ve est n�

Cach�, il vivra en moi

Etincelant et tendre

Dans mon c�ur r�sonne ce chant

Douloureux, tendre et cruel

Tandis que ma perle lumineuse

Grandit dans les t�n�bres

Jamais je ne l'ai entendue
chant�e comme �a.

Je suis fatigu�.

J'ai fait la f�te.

Comme d'habitude. Est-ce vraiment
n�cessaire pour �tre artiste ?

En tout cas,
je ne peux pas m'en emp�cher.

Nous voulions tuer le temps.

Nous nous sommes retrouv�s
dans un caf�, � 4h du matin,

� jouer aux cartes avec des filous.

Mais ils �taient sympathiques.

Tu as jou� aussi ?

Je dormais � moiti�,

tout en r�fl�chissant � un motif.

Je l'ai encore en t�te.

Si j'en avais le courage,
j'en ferais une symphonie.

Erland,

�a peut te faire du tort
de courir les caf�s.

Ce soir, reste chez toi, veux-tu ?

- Ce soir, je suis invit�.
- Chez qui ?

Un type qui vient d'offrir
un appartement � une fille.

Elle s'appelle Constance.

Je tiens � y aller.

N'y va pas.

Pourquoi ?

Je te le demande.

Moi aussi,
je t'ai demand� quelque chose.

Il y a tant de musique en toi
qui ne demande qu'� �tre �crite

et partag�e avec les hommes.

Si tu continues, elle va mourir.

Et peut-�tre plus t�t
que tu ne le crois.

Quant � tes inspirations
de cabarets puant la bi�re,

Erland, elles n'ont aucune valeur.

Erland, je t'en prie

comme je prierais
pour ma propre vie,

n'y va pas.

Je vis comme j'en ai envie.
J'ai �a dans le sang.

Si je te promettais,
j'irais quand m�me.

Dans ce cas, il vaut mieux
ne rien promettre.

Cette vie intense me pla�t.

Et demain, on recommence.

Gabriel Lidman, le grand po�te,

revient de l'�tranger.

on f�te ses 50 ans.

Comme si c'�tait un exploit.

on se verra, j'y vais aussi.

- Ton mari vient ?
- Oui.

Le politicien !

Bient�t ministre, � ce qu'il para�t.

Tu parles !

Que veux-tu dire ?
Tu ne le connais pas.

Pardon.

J'ai eu une longue conversation
avec lui.

C'est ce qui m'a retard�e.

J'ai repris ma libert�.

Je peux faire ce que je veux.

Maintenant ?

Tu m'as dit que mon chemin
ne serait jamais le tien.

Maintenant, il peut l'�tre.

� partir d'aujourd'hui,
je veux �tre tienne.

Cette nuit, j'ai fait un r�ve.

Quel r�ve ?

Je courais nue,
une meute de chiens derri�re moi.

Quand ils m'ont rattrap�e,

je me suis r�veill�e.

J'ai alors compris
que nous �tions seuls au monde.

Donne-moi ta bouche.

Ta bouche ador�e.

o� veux-tu aller ?

Chez toi.

Viens.

Gertrud.

oseras-tu ?

Je veux dire...

Erland...

je t'aime.

Si tu me demandes si j'oserai,
je te r�ponds...

oui, Erland.

J'oserai car je crois en toi.

M'aimes-tu assez ?

Je ne pourrai jamais
en aimer un autre.

Je ne saurais continuer � vivre

sans t'avoir appartenu.

Etrange femme.

Qui es-tu r�ellement ?

Je suis beaucoup de choses.

Par exemple ?

Je suis la ros�e qui s'�goutte
des feuilles d'arbres

et le nuage blanc qui passe

pour aller Dieu sait o�.

Quoi d'autre ?

La lune.

Le ciel.

Autre chose ?

oui.

Des l�vres.

Des l�vres qui cherchent
d'autres l�vres.

�a ressemble � un r�ve.

C'est un r�ve.

La vie

est un r�ve.

La vie ?

La vie

est une longue,
longue suite de r�ves

qui se m�lent les uns aux autres.

Et les l�vres dont tu parlais ?

Un r�ve.

Et les l�vres que tu cherchais ?

Un r�ve aussi.

Joue.

Que d�sires-tu ?

Une nocturne.

De Debussy ?

De toi.

En rentrant du syndicat,

j'ai beaucoup r�fl�chi.

Il y a des personnes
qui passent leur vie � r�ver,

alors que d'autres
sont d�bordantes d'activit�.

Lentement et in�vitablement,

la vie nous file entre les doigts
quoi que nous fassions.

Je me demandais

comment ce que j'ai
de plus cher au monde

�tait sur le point de m'�chapper

sans que je sache
pourquoi cela s'�tait produit.

Ceci m'a fait penser � ces vers :

"Garde bien le tr�sor
que Dieu t'a envoy�

'Afin qu'il ne t'�chappe pas".

on ne veille jamais trop
sur son bien,

sur ce qu'on
ne voudrait pas perdre.

J'ai eu envie de voir ma femme,

de me promener � nouveau
dans les rues avec elle � mon bras,

comme nous le faisions si souvent,

au temps de nos nuits heureuses.

J'ai eu l'id�e
d'aller la chercher � l'op�ra.

Je peux vous �tre utile ?

Ma femme a d� partir avant la fin.

Elle n'est pas venue, ce soir.

- Vous en �tes s�r ?
- J'�tais ici toute la soir�e.

Vous la connaissez ?

Madame Kanning a chant� ici.

Ici, chez toi, je revis enfin.

Si tu savais
comme je suis heureuse !

Tu es redevenue toi-m�me.

Maintenant, nous vivrons ensemble.

Crois-tu que nous le pourrons ?

Je t'aime.

Mon amour n'attend plus que toi.

Tu ne vas pas aller
chez Constance ?

Au Florabakken .

Aujourd'hui, nous portons
des flammes resplendissantes

Le feu br�le,
clair comme vos paroles

Nos flambeaux br�lent
en votre honneur

Soyez le bienvenu
sur votre terre natale

VoyeZ, nous hissons
des torches d'or

Nous qui avons tant voyag�,
�pris de libert�

Soyez cl�ment
pour les jeunes c�urs du pays

Confiez-nous de votre main
de nouvelles missions

Aujourd'hui, nous portons
des flammes resplendissantes

Le feu br�le,
clair comme vos paroles

Nos pens�es libres
sont votre honneur

Nous nous battrons
pour nos convictions

Nous exorciserons
le pouvoir de l'hiver

Tel est notre but pour l'avenir

VoyeZ, nous sortons
des sentiers de la vie

Dans la belle lueur de l'espoir

Mon cher Gabriel Lidman,

nous sommes ici au nom
des �tudiants et de la jeunesse

pour acclamer
le grand po�te de l'amour.

Aujourd'hui,
la plupart des jeunes sont �lev�s

par des parents dont la vie
n'est faite que d'habitudes

qui n'ont rien � voir avec l'amour.

L'ancienne g�n�ration
a tendance � consid�rer l'amour

comme quelque chose
de bas et de laid.

Vous ne partagez pas cette opinion.

Dans votre esprit, l'amour

n'est v�ritablement l'amour

que lorsqu'il y a union
des c�urs et des sens.

Dans votre Hymne � l'amour,
vous avez si bien d�crit

ces deux �tres
qui se sont donn�s l'un � l'autre.

Leur amour est si grand
qu'il donne � leur union intime

une chaleur et une tendresse
�ternelles.

Je me permets de citer
quelques lignes :

"L�vres contre l�vres

"lls plongeaient de plus en plus
l'un en l'autre

"Lui avait l'impression
de se mouvoir dans l'espace

"Dans un brouillard blanc,
une �toile rouge lui apparut

"Tout d'abord sans �clat,
pr�te � s'�teindre

"Ensuite plus lumineuse
et plus proche

"Elle grandit et se transforma
en un fleuve de feu �tincelant

"ll br�lait sans douleur

"Et ce feu lui rafra�chissait
la langue comme un vin l�ger"

Dans cette extase �rotique,
nous assistons

� la rencontre de l'infini
et de l'�ternit�.

Voil� ce qui fait la grandeur
de votre conception de l'amour.

C'est un amour sans limite.

C'est pour cet amour que l'homme
a �t� cr�� et appel� sur terre.

Pour moi, il existe deux choses
qui ont toujours �t�

et sont encore
d'une importance primordiale.

Ces deux choses sont l'amour

et la pens�e.

L'amour, on vient d'en parler.

En ce qui concerne la pens�e,

il nous faut beaucoup de courage

pour oser penser juste.

Ce sont les pens�es justes
qui nous m�nent � la v�rit�.

Cette v�rit�
dont la valeur est inestimable.

Ce qui importe le plus est la pens�e

qui nous m�ne � la v�rit�.

La v�rit� pure et sans r�serve.

Dans cette recherche continuelle,

il convient de rester
fid�le � soi-m�me,

de ne faire aucune concession.

Ayons le courage de penser juste.

Souvenons-nous de ce
qu'un philosophe fran�ais a dit :

"Une �me loyale
n'a point � cacher ses pens�es."

Honorable recteur,
Mesdames, Messieurs...

C'est pour moi un grand honneur
de parler ce soir

de mon vieil ami Gabriel Lidman.

Gabriel Lidman
est l'aristocrate de nos po�tes.

Le trait fondamental
de son caract�re est la franchise.

Il est franc envers et contre tout.

Il d�sapprouve le m�diocre,

m�me si celui-ci se cache
sous de nobles apparences.

Il y a dans sa nature

quelque chose d'�trange

qui le fait para�tre
infiniment mod�r�.

Lorsqu'il parle,
il le fait d'un ton si doux

que l'on ne peut s'emp�cher
de l'�couter...

Il ne donne jamais
dans le path�tique.

�a ne va pas ?

Ce doit �tre la chaleur.

J'ai une horrible migraine.

Il est parfois ironique,
mais jamais d'une ironie mordante.

Il aime le silence.

Il s'en inspire en tant qu'�crivain.

�a ne va pas mieux ?

Vous voulez vous reposer ?

Merci. �a ne dure jamais.

Chacune de ses phrases est choisie

et aussi souple

que la lame d'une �p�e.

Les expressions vagues,

la sentimentalit�,

le pathos affect� et le mensonge
lui d�plaisent infiniment.

Ici, vous ne serez pas d�rang�e.

Dois-je fermer la porte ?

S'il vous pla�t.

Ma�tre Nygren
voudrait parler � Madame.

C'est toi, Axel ?

Je te croyais � Paris.

Je suis revenu pour quelques jours.
J'ai vu Lidman.

C'est gentil d'�tre venu.

Il para�t
que tu as tr�s mal � la t�te.

Tiens,
voil� des pilules sensationnelles.

- Vraiment ?
- Je t'assure.

De Paris ?

Toutes les vedettes les connaissent.

Puis-je avoir un verre d'eau ?

oui, tout de suite.

Maintenant,
vous pouvez retourner � la f�te.

Si vous le pensez, madame.

oui, et merci mille fois.

�a a �t� un plaisir pour moi.

Alors ?

Je me sens d�j� mieux.

Axel, comme je suis contente
de te revoir !

Tu n'as pas chang�.

Toi non plus.
Toujours aussi rayonnante.

Tu �crivais un livre,
il me semble...

oui. Sur le libre arbitre.

Je vois que tu crois toujours
au libre arbitre.

Moi, mon p�re
�tait un sombre fataliste.

Il nous a appris
que tout �tait pr�destin�.

Je t'ai souvent entendu dire :

"Vouloir, c'est choisir."

Lui nous disait :
"on ne choisit pas.

"on ne choisit
ni sa femme ni ses enfants.

"Lls nous sont donn�s
sans qu'on les ait choisis."

La destin�e d�cide de tout.

Tu sais � quoi t'en tenir.

Je pr�f�re choisir mes maris
moi-m�me.

Tes maris ?

Tu reviens bien de Paris ?

- Que fais-tu l�-bas ?
- J'�tudie.

La psychologie ?

Et la psychiatrie.
Il y a de gros progr�s.

C'est int�ressant.

oui, nous sommes 5 ou 6
� travailler ensemble.

Comment ?

Nous nous hypnotisons entre nous

et nous �tudions
la transmission de pens�e.

Nous avons trouv� une femme
qui a un sixi�me sens.

Nous discutons et nous
nous empoignons all�grement.

- � quel sujet ?
- � propos de tout.

Psychoses et n�vroses,
r�ves et symboles.

Comme je t'envie...

Viens � Paris, �a t'amusera.

Je n'en doute pas, mais...

J'ai fait ce r�ve, cette nuit.

Ma�tre Kanning
a termin� son discours.

Il va bient�t �tre l�.

�a m'a fait plaisir de te revoir.

Quel dommage que tu repartes d�j� !

Gertrud, Dieu merci,
tu n'es plus malade !

Je me sens mieux, maintenant.

C'est gr�ce aux pilules d'Axel.

- Merci.
- Il n'y a pas de quoi.

Au revoir.

Porte-toi bien.

Au revoir, Axel.

J'esp�re te revoir bient�t.

Il faut que je te parle.

Hier soir, ta porte �tait ferm�e.

Je dormais.

C'est impossible.

Pourquoi ?

Je suis rentr� de l'op�ra
en voiture.

Tu es pass� � l'op�ra ?

Ce n'est pas
ce que tu voulais me demander.

Tu veux savoir si j'y suis entr�...

N'est-ce pas ?

Tu ne dis rien.
Sais-tu pourquoi ?

Tu ne veux pas mentir.

Tu n'�tais ni � l'op�ra

ni � la maison.

� quoi bon parler de �a ?

Je veux que tu saches

que je ne suis pas all� � l'op�ra
pour t'espionner.

Je d�sirais te voir.

Tu me quittais, j'en �tais malade.

Je t'en prie, n'en parlons plus.

R�ponds-moi, Gertrud...

o� �tais-tu hier ?

Gustav,
apr�s notre conversation d'hier,

cette question n'a aucun sens.

Je suis ton mari, Gertrud.

Je suis encore ton mari.

Je ne te reconnais plus.

Est-ce toi qui parles ainsi ?

En me faisant croire
que tu allais � l'op�ra,

tu savais ce que tu voulais.

oui, je savais ce que je voulais.

Je n'ai menti que pour te m�nager,

et non par hypocrisie ou l�chet�.

Tu sais que je suis franche.

oui, h�las !

Il n'y a pas plus franc que toi.

Mais je ne te l�cherai pas,
sois-en s�re !

Tu veux m'enfermer ?

Sois raisonnable.

Tu resteras avec moi, cette nuit.

Une derni�re nuit.

Apr�s, tu pourras aller

o� tu voudras.

Tu pourras m�me te laisser tomber

dans la boue et le d�shonneur,

si c'est ce que tu veux.

Tu ne sais plus ce que tu dis.

Je vais me reposer un peu.

Ah, te voil� !

Comment va Gertrud ?

Son malaise est pass�, maintenant.

Parlons un peu de toi.

Comment te sens-tu
depuis ton retour au pays ?

La terre natale est bonne.
J'ai bien dit "la terre" :

L'air, les champs et les bois.

Mais les gens, Kanning !
Les gens...

Hier, je me suis retrouv�
par hasard dans une soir�e,

une soir�e tr�s m�lang�e.

J'�tais l� pour m'amuser,

alors, le mieux
est encore d'en rire.

De quoi parlions-nous ?
Ah, oui, je vais retourner � Rome.

Tu vas devenir ministre, para�t-il ?

Il semblerait,
si on en croit les journaux.

Mais oui, il faut bien croire
en quelque chose, en ce bas monde.

Ma�tre Kanning,
le recteur voudrait vous parler.

J'arrive.

Viens t'asseoir.

Tu es encore jeune
et pure comme une mari�e.

La lumi�re me fait mal aux yeux.

Tu n'as pas l'air content.

Hier, j'�tais en mauvaise compagnie.
C'est ma faute.

Tout n'est qu'un passage.
Le monde n'est rien.

Autrefois,
tu attendais tout de la vie.

Tu es devenu c�l�bre,

et maintenant,
tu dis que le monde n'est rien.

Que t'arrive-t-il, Gabriel ?

Je me sens vieux, Gertrud.

Je me demande
pourquoi je suis revenu.

J'allais te poser la m�me question.

J'avais un peu le mal du pays.

Il y avait surtout une rue

� laquelle je pensais souvent.

Un jour, en plein soleil,
j'ai pleur� dans cette rue.

Moi aussi, j'ai souvent pleur�.

Je ne trouve pas
que ce soit si p�nible.

�a soulage.

Parlons de choses agr�ables.

Tu es revenu en triomphateur.

Triomphateur ? Ah, oui...

Nous ne parlons pas la m�me langue.

J'ai perdu
le seul combat qui m'importait.

Pourquoi m'as-tu quitt� ?

N'en parlons pas maintenant.

Comme je le disais, hier,
j'�tais en mauvaise compagnie.

Je devais d�ner avec un camarade
puis d'autres sont venus.

L'un d'eux nous a emmen�s
� une f�te chez son amie,

Constance.

Au Florabakken .

Comment le sais-tu ?

J'ai entendu parler d'elle.

La ville n'est pas grande.

Je suis donc all� avec eux

m'asseoir � la table de courtisanes.

Et que s'est-il pass� ?

Tu m'as rendue curieuse.

Qu'est-ce qu'ils jouent
en ce moment ?

"Le Chant de la nuit",
d'Erland Jansson.

Ah oui, je l'ai entendu � Rome.

J'ai �t� �mu quand j'ai su

que le compositeur
�tait un de mes compatriotes.

C'est une belle m�lodie.

oui, elle est belle.

Je croyais qu'Erland Jansson
devait jouer ici, ce soir.

Il para�t. Mais �a m'indiff�re.
Il ne me pla�t pas.

Tu le connais ?

Malheureusement.

J'aurais pr�f�r� ne pas le conna�tre.

o� l'as-tu connu ?

Je le connais aussi.

Pourquoi m'as-tu quitt� ?

Nous nous �loignons
de ce que tu disais.

Tu voulais me raconter cette f�te.

Erland Jansson �tait l�.

Il est arriv� dans la nuit.

Et alors ?

�a ne te d�pla�t pas
de t'amuser avec des courtisanes.

Il peut en faire autant.

oui, mais je ne l'aime pas.

Il crie ce que l'on doit
garder pour soi.

Quoi, par exemple ?

Il se vante de ses ma�tresses.

Ce n'est pas �l�gant de sa part.

N'est-ce pas ?

Dans cette ambiance d'alcool,
de jeu et d'adult�re,

il parle tout haut
de sa derni�re conqu�te.

Il nous a dit son nom.

Son nom ch�ri.

Ai-je eu tort de te raconter �a ?

Je ne sais pas.

Je ne sais pas.
Je ne sais plus rien.

Je me sentais oblig� de te le dire.

Bien s�r. Il le fallait.

Aide-moi � comprendre !

Que dire ?

Je ne comprends vraiment

que ce que je fais moi-m�me.

J'ignore tout de �a.

Il devait �tre malade.

Il n'en avait pas l'air.
Mais il avait bu.

De plus, il est bien jeune.

oui, il est tr�s jeune.

Il n'est pas de notre milieu.

Tu vas rompre avec lui ?

Je l'aime.

Je l'aime.

C'est de la folie, Gertrud.

Personne ne peut te conseiller
ni m�me t'aider.

Je savais que c'�tait de la folie.

Mais j'avais si peu � perdre,
Gabriel.

Il y avait un tel vide dans ma vie.

Je me sentais si seule.

Ma vie s'est bris�e, cette nuit.

Quand on voit
ce qu'on a aim� le plus au monde

�tre tra�n� dans la boue
par une nouvelle jeunesse,

on se sent subitement vieux.

Pourquoi nous sommes-nous revus
de cette fa�on ?

Rien n'arrive
comme on se l'est imagin�.

Comment te l'�tais-tu repr�sent� ?

Tu le prends trop � c�ur.

Non, ne me quitte pas ainsi.

Le recteur m'a pri� de te dire
qu'il avait esp�r� t'entendre.

Que lui as-tu r�pondu ?

Que je pensais que tu allais chanter
une chanson ou deux.

Mais je n'ai rien promis.

D'accord, je veux bien.

o� devrai-je chanter ?

Lci.

Et qui m'accompagnera ?

Monsieur Erland Jansson.

Il n'y a pas de piano.

Je m'en charge.

Je te pardonne

Malgr� mon c�ur bris�

Au fond de ma douleur

Je vois que tu souffrais

Et je te pardonne

Et je te pardonne

Malgr� ton front
rayonnant de jeunesse

J'imagine
combien ton c�ur �tait lourd

Je le savais avant toi

Je te pardonne

Ami � jamais perdu

Tu m'as attendu longtemps ?

Quelques minutes.

Je n'ai pas pu venir plus t�t.

Comme tu as mauvaise mine.

Je sais.

Mais j'ai � te parler.

Pourquoi t'es-tu trouv�e mal
hier soir ?

J'�tais exc�d�e, je venais d'avoir
une sc�ne avec mon mari.

Il a �t� brutal ?

Pourquoi dis-tu �a ?

Il t'aime et tu veux le quitter.

Il ne saurait �tre m�chant.

C'est vrai que je l'ai trouv�
plut�t sympathique.

Que lui reproches-tu ?

Nous pourrions rester amis
sans que tu le quittes.

Je veux partir,
c'est pourquoi je voulais te voir.

Tu es venue me dire adieu ?

�a d�pend de toi.

Que veux-tu dire ?

Erland, pars avec moi.

C'est impossible.

Parce que tu n'as pas d'argent ?

Je n'en ai pas.

J'en ai assez pour commencer.

Je devrais vivre de ton argent ?

Tu me m�priserais.

Alors, tu ne sais pas
ce qu'aimer veut dire.

Je me m�priserais aussi.

Ne le fais-tu pas d�j�,
de temps en temps ?

oui. �a m'arrive.

Mais ce n'est pas parce que je fais
ce dont j'ai envie.

Au fait, je dois t'avouer
que je suis quand m�me all�

chez Constance.

Il fallait que j'y aille.

oui, il le fallait.

Il le fallait.

Le mot-cl� pour tout.

C'est vraiment l'argent
qui t'emp�che de partir ?

Il faut que je r�fl�chisse.

Tu disais

que nous pourrions nous aimer
sans que je divorce.

Comme c'est laid.

�a n'avait pourtant pas l'air
de te g�ner, avant-hier.

Parlerons-nous jamais
le m�me langage ?

Erland, pars avec moi.

Nous n'avons pas besoin
de nous marier. Vivons ensemble.

Je t'aime.

Pars avec moi.

Tu me quitteras
quand tu ne m'aimeras plus.

Et apr�s ?

Apr�s...

Apr�s,
plus rien n'aura aucune importance.

Je ne peux pas partir avec toi.

Je ne suis pas libre.

Tu as dit "pas libre" ?

Elle est plus �g�e que moi.

Elle m'a aid�
quand j'�tais dans le besoin.

De plus, elle attend un enfant.

Tu ne m'en as jamais parl�.

Je ne pensais pas
qu'entre nous, ce serait s�rieux.

Que croyais-tu ?

Je croyais que tu cherchais
une aventure.

L'aventure est termin�e.

Tu m'en veux ?

Je t'aime.

Mais je pars.

Et tu vas te marier.

Viens avec moi.

o� ?

Chez moi.

Je t'aime, mais tu ne m'aimes pas.

Je ne veux plus t'appartenir.

Tr�s bien.

Non, je ne t'aime pas.

Si je t'aimais, je partirais.

Je r�ve d'une femme,

mais tu n'es pas cette femme.

Celle dont je r�ve est chaste, pure,
ob�issante, et elle m'appartient.

Tu es trop fi�re.

Je pensais que c'�tait une fiert�
de grande dame, mais c'est pire.

C'est ton �me qui est fi�re.

Laisse-moi, Erland.

Nous ne pouvons pas
nous quitter comme �a.

Pardonne-moi.

Te pardonner ?

Je voudrais croire en un dieu
pour lui demander de te prot�ger.

Tu ne crois pas en Dieu ?

Et toi ?

Je ne sais pas.

Il doit bien y avoir
un �tre sup�rieur.

Il y a tant de choses �tranges.

Va-t'en, maintenant.

on vous demande au t�l�phone.

Excuse-moi, veux-tu ?

Tu es l�, Gabriel ?

Je suis venu vous dire au revoir.
Je pars demain.

D�j� ?

Et toi ? Tu restes ici ?

Non.

Je vais partir aussi.

Depuis longtemps,
je me sens d�sorient�e, ici.

Tu pars et je pars.

Pourquoi ne pas partir ensemble
et vivre ensemble ?

Ne dis pas de b�tises.

La nuit, tu n'as jamais entendu
mon c�ur t'appeler ?

Si j'avais la nostalgie du pays,
c'�tait � cause de toi.

C'�tait parce que
je d�sirais te revoir

et entendre ta voix.

Comme tout est �trange.

Je te savais mari�e.

Mais peut-�tre y avait-il
un grand vide dans ta vie.

Rien ne se passe
comme on se l'imagine.

Non, rien ne se passe jamais
comme on se l'imagine.

Gertrud, as-tu aim� ton mari ?

Aim� ?

Je ne sais pas.

Te souviens-tu
de ta profession de foi ?

Que veux-tu dire ?

on ne se souvient pas
de tout ce qu'on a dit.

La voil�, ta profession de foi :

"Je crois aux plaisirs de la chair

"et � la solitude irr�m�diable
de l'�me."

oui, �a a l'air d'�tre de moi.

Je n'ai pas oubli�.

Tu m'as dit ces mots
au moment o� je croyais

que notre bonheur �tait une r�alit�.

Tu m'as arrach�e � ce r�ve,
et tout s'est termin� entre nous.

Je me noyais
dans les plaisirs de la chair.

Le r�sultat en fut mon mariage.

Je m'en doutais.

Gertrud, viens avec moi.

Non, Gabriel.

Pour moi,
il ne reste que la solitude.

Tu as quand m�me rompu
avec cet Erland Jansson ?

Je ne suis rien pour lui.

Alors, pars avec moi.

Comment peux-tu croire
qu'il soit possible de revivre

ce qui est mort et enterr�
depuis longtemps ?

Viens, asseyons-nous ici un moment,

comme nous le faisions, jadis,
chez toi.

Ne crois pas que j'ai oubli�
tout ce que je te dois.

Tu m'as fait conna�tre
l'�trange miracle de l'amour.

Tu as fait de moi une femme.

Tout mon c�ur et tout mon �tre
t'appartenaient.

Nous ne faisions plus qu'un.

Et jamais de honte entre nous.

L'amour m'a purifi�e
de tout ce qui �tait bas et laid

et m'a fait d�couvrir
ce qui �tait bon et beau.

J'avais trouv� en toi
l'homme pr�s de qui passer ma vie.

Je me demandais

si j'avais vraiment m�rit�
tant de bonheur.

Pourquoi m'as-tu quitt� ?

Crois-tu vraiment

que c'est moi qui t'ai quitt� ?

Ne sais-tu pas que c'est toi
qui m'as repouss�e ?

Petit � petit, doucement.

Je n'ai jamais aim� que toi.

Je te crois.
Autant que tu pouvais aimer.

Qu'�tais-je pour toi ?

Tu �tais las de mon amour.

Quand je l'ai compris,

je suis partie.

C'est peut-�tre vrai.

Le travail m'a �loign� de toi.

Mais jamais je n'ai voulu rompre.

Tu ne pouvais pas rompre.

Il valait mieux que ce soit moi.

C'est ton travail qui nous a s�par�s.

Et l'honneur, la c�l�brit�,
l'argent, tout �a...

Pour toi,
l'amour �tait devenu un fardeau.

Tu voulais
les plaisirs de la chair,

et non l'amour.

C'est affreusement vrai.

J'en avais bien l'impression.

Je vais te dire
comment j'en ai eu la certitude.

C'est � une �poque o�,
depuis longtemps,

ton travail n'avait plus de sens.

Une p�riode difficile
pour moi aussi.

Un jour, je suis all�e te voir.

Suivant mon habitude,
j'ai mis un peu d'ordre.

J'ai voulu t'�crire un mot.

Des bouts de papiers que tu utilisais
pour tes notes tra�naient.

Sur l'un, il y avait mon portrait

et des mots
qui ont tout bris� pour moi.

"L 'amour de la femme et le travail
de l'homme sont ennemis."

L�, j'en ai eu la certitude.

Et c'est ce mis�rable papier
qui a g�ch� ma vie !

G�ch� ? Tu as atteint le but
que tu t'�tais fix�.

Ce qu'on a gagn� n'est rien.

Non, il faut choisir.

Et on s'aper�oit
que ce qu'on a perdu

�tait la seule chose qui comptait.

Toujours.

Quand la v�rit� m'est apparue,

j'ai senti mon c�ur vieillir.

J'�prouvais la honte et le d�go�t
d'�tre femme.

J'ai vu � quel point
l'homme qui devenait c�l�bre

ne comprenait rien � l'amour.

Il m�prise l'amour,

il d�daigne l'amour.

Tu es devenu pareil

et je ne t'aime pas.

Ma vie n'a dur� que trois ans,
le temps de ton amour.

Et tu m'as quitt�.

Comment as-tu pu ?

Comment as-tu pu ?

Je savais
que �a te ferait de la peine.

J'ai su, en lisant tes lettres,

que tu avais beaucoup souffert.

Tu es devenu c�l�bre.

Mais pour moi,
tu es froid comme la pierre.

J'ai besoin d'un amour passionn�.

La c�l�brit� m'indiff�re.

La c�l�brit� n'est rien.

La nuit est profonde.
L'espace, immense, infini.

Mais la terre est petite.
Les gens, minuscules.

Ce que je me rappelle de ma vie,
c'est mon amour pour toi.

Tu m'as appris
que l'amour �tait tout.

on ne doit pas �tre seul.

J'ai v�cu trop longtemps seul.

Il n'est pas n�cessaire
d'�tre nombreux, deux suffisent.

Nous sommes faits
l'un pour l'autre.

oui, il faut �tre deux.

Maintenant, tu t'en rends compte,
alors qu'il est trop tard.

Il n'est pas trop tard.

Tu peux encore me suivre.

Nous vivrons pr�s de la mer.

Rien ni personne
ne pourra nous s�parer.

Rien, sauf la mort.

Il n'existe pas de bonheur en amour.

L'amour, c'est de la souffrance.

L'amour, c'est le malheur.

Il y a un grand vide dans ton c�ur.

Je ne peux rien faire pour toi.

Ne me demande rien.

Trop tard

et en vain.

Le livre de ma vie
pourrait s'appeler ainsi...

"En vain."

Je m'excuse
de t'avoir fait attendre.

Comment te sens-tu ?

Je me sens tr�s bien. Merci.

Le pr�sident du Conseil
m'a retenu.

Il faut que je m'en aille.

Prenons une coupe de champagne.

Le 374.

Je voudrais parler � Axel Nygren.

C'est toi, Axel ?
C'est Gertrud.

Tu sais, je pense aller � Paris.

Pourras-tu me faire inscrire
� tes cours � la Sorbonne ?

Dans ton groupe, si possible.

oui, je t'�crirai.

Quelle est ton adresse ?

Num�ro 72. Merci.

Au revoir, Axel. � bient�t.

Tiens, Gertrud !
Tu arrives au bon moment.

Du champagne ?

J'ai accept� d'entrer au minist�re.

- Mes f�licitations.
- Merci.

Et les miennes.

Tu as mauvaise mine.

Et tu dis que tu te sens mieux ?

Je me sens simplement fatigu�e.

Je vais me reposer.

Tu n'as rien mang�.

Je n'ai pas faim.

Comme tu veux.

Mais tu es femme de ministre.

Il ne me reste plus qu'� �tre
heureuse de ce grand honneur,

qui ne durera pas longtemps.

oui, Gabriel sait
que nous nous quittons.

Tu le lui as dit ?

oui, nous partons
chacun de notre c�t�.

Permettez-moi
de vous dire au revoir.

Au revoir, Kanning.

Au revoir, Lidman.

Nous reverrons-nous un jour ?

Je ne sais pas.

Au revoir, Gertrud.

Au revoir, Gabriel.

Bonne nuit, Gustav.

Je vais me coucher,
je suis fatigu�e.

J'ai r�fl�chi.

Je crois avoir trouv� une solution.

R�ponds-moi.

Est-ce fait,
ce dont nous avons parl� hier ?

Tu le sais bien.

Je le sais.

Mais Gertrud, ne me quitte pas.

Reste pr�s de moi.

Garde ton nouvel amour,

puisqu'il a tant d'importance
pour toi.

Mais reste aupr�s de moi.

Vivons en amis.

Je ne te demande que �a.

Tu me demandes de rester
parce que tu esp�res et tu crois

que le lien qui est rompu
pourrait se renouer.

N'est-ce pas vrai ?

Je pars.

Avec ton nouvel amour ?

Non, seule.

Le nouvel amour ne veut pas de moi.

Grand Dieu !

Un homme que tu aimes

et qui n'est pas heureux
de cet amour !

C'est inconcevable.

Ce n'est pas lui que je fuis.

Mais je veux me trouver.
Voil� pourquoi je pars.

Bonne nuit, Gustav.
Je suis si fatigu�e.

Dis-moi que tu m'as aim�.

Pourquoi me tourmentes-tu ainsi ?

Quand nous nous sommes rencontr�s,

mon amour �tait d�j� mort.

Mais mes sens vivaient encore,

et la nature r�clamait son d�.

Il y a eu entre nous quelque chose

qui ressemblait � de l'amour.

Quelque chose qui "ressemblait �"...

Va-t'en !

Je ne veux plus te voir !

Ni entendre parler de toi !

Gertrud !

Ma�tre Nygren demande � vous voir.

Axel Nygren.

Vous avez dit Axel Nygren ?

Faites-le entrer.

Tu n'as pas oubli�
mon anniversaire.

Je suis venu t'offrir
mon dernier livre.

Il sort la semaine prochaine.

C'est un tr�s beau livre.

Racine.

En souvenir de notre Paris.

Merci, Axel.

Assieds-toi.

Tu vois, je vis ici en ermite.

oubli�e, effac�e,

et �a me convient.

J'ai besoin de solitude,

de solitude et de libert�.

Voil� le journal.

- Lavez la cuisine, je vous prie.
- La cuisine... Entendu.

Voil� toute mon aide m�nag�re.

Que fais-tu de tes journ�es ?

Je fais mon pain,

je lave mes dessous,
je raccommode mes bas.

Tu as la radio ?

oui, il faut vivre avec son temps,
savoir ce qui se passe.

Je t'ai �crit, derni�rement.

Ta lettre est l�. Regarde.

Tu aurais pu me r�pondre.

Non, Axel.

� un vieil ami,
on ne peut �crire � la machine.

Tu as donc encore un peu
d'amiti� pour moi ?

J'ai une grande affection

et j'ai encore
beaucoup de tendresse pour toi.

Combien de temps est pass�
depuis nos cours ensemble ?

�a doit faire 30 � 40 ans.

Et notre amiti�
a dur� tout ce temps.

Une amiti�
qui n'a jamais �t� de l'amour.

Mais tu as �t� un grand ami.

Tu es encore jeune.
Ta peau est si blanche et si lisse.

J'aurai des rides
et ma peau jaunira.

Sais-tu � quoi je pense ?

Tu veux tes lettres ?

Une �trang�re pourrait tomber dessus,

et nul n'a besoin
de lire ces tendres mots...

venus du fond de ton c�ur.

Tiens.

Est-ce que je peux les br�ler ?

Ces lettres sont � toi.
Fais-en ce que tu veux.

N'as-tu jamais �crit de po�mes ?

Si. En r�alit�,

j'ai �crit un po�me, un seul,
� 16 ans.

Le voici.

Veux-tu que je te le lise ?
Il y a 3 strophes.

Je t'�coute.

Regarde-moi. Suis-je jolie ?

Non, mais j'ai aim�.

Regarde-moi. Suis-je jeune ?

Non, mais j'ai aim�.

Regarde-moi. Suis-je en vie ?

Non, mais j'ai aim�.

Eh oui, la Gertrud de 16 ans

a �crit mon �vangile d'amour.

Te souviens-tu de tes propres mots ?

"Dans la vie,
une seule chose importe. Aimer."

Et rien d'autre.

Rien d'autre.

Es-tu toujours du m�me avis ?

Ne regrettes-tu rien ?

Non, je ne regrette rien,
et je maintiens ce que j'ai dit.

Il n'y a rien d'autre dans la vie
que la jeunesse et l'amour.

Une douceur infinie
et un bonheur paisible.

Un jour, aux portes du tombeau,
je me pencherai sur mon pass�.

Je pourrai me dire :

"J'ai beaucoup souffert,

"je me suis souvent tromp�e,

"mais j'ai aim�."

Tu penses beaucoup � la mort ?

oui, j'ai d�j� achet� ma s�pulture.

Je sais que je serai enterr�e
au pied d'un m�rier.

Hier, j'ai command�
la pierre tombale.

J'ai m�me trouv� une �pitaphe.

Ton nom, je suppose ?

Non, on n'y inscrira que deux mots.

Amor omnia.

"L'amour est tout."

oui, l'amour est tout.

J'ai dit au jardinier

de ne faire pousser que de l'herbe.

Au printemps,
il y aura des an�mones.

Si tu passes un jour par l�,
cueille une an�mone

et pense � moi.

Consid�re-la comme un mot d'amour

qui a �t� pens�,
mais jamais prononc�.

Maintenant,
il vaut mieux que tu partes.

Nous pourrions encore nous enfuir
� Paris, comme autrefois.

Un jour, ta visite...

ne sera plus qu'un souvenir
parmi tous mes souvenirs.

De temps en temps,
je me perds dans mes souvenirs

et j'ai l'impression de regarder
un feu qui s'�teint.

Adieu, Axel.
Merci d'�tre venu me voir.

Merci pour ton livre.

Adieu, Gertrud.

Sous-titrage : TVS - TITRA FILM